Si vous êtes féru d’Histoire et en particulier de celle de l’URSS, vous avez déjà toutes les raisons de vous laissez prendre entièrement par les œuvres de Svetlana Alexievitch. Quant aux autres… Il ne nous reste plus qu’à vous convaincre en 5 points !
1. Des témoignages pour dénoncer et rendre hommage
La guerre n’a pas un visage de femme, La Fin de l’homme rouge, Les Cercueil de zinc, Derniers témoins, La Supplication : Tchernobyl sont des témoignages.
Svetlana Alexievitch utilise des voix intimes et sans autre vêtement que celui d’une vérité émotionnelle propre. Ses ouvrages se tissent à mesure des paroles retranscrites sans fioriture. Grâce à ces multiples échanges, le lecteur voit une URSS qui se divise entre les adorateurs de Staline et les nouvelles générations, qui ne tendent plus vers les mêmes idéaux ; mais il entend aussi ces enfants devenus grands et auxquels les guerres ont laissé le goût de souvenirs amers ; il ressent le combat de ces populations pour l’amour de leur patrie et il se dresse d’empathie sous des non-dits qui sont devenus traumatismes, comme le fut le triste événement de Tchernobyl…
En 2015, elle reçoit le prix Nobel de la littérature pour « ses écrits polyphoniques, hommages à la souffrance et au courage de notre temps. »
2. Rien que la vérité comme manière de combattre
Dans ses œuvres, Svetlana Alexievitch donne la parole à ceux auxquels les historiens ne se sont jamais intéressés.
La retranscription des témoignages est elle-même au plus près de la réalité et aucun ornement superflu (sauf peut-être syntaxique) ne vient entraver, enjoliver ou aggraver la lecture. C’est sûrement pour cela que ses livres se lisent si bien et nous font adhérer au pacte « auteur-lecteur » si rapidement. Le seul but de notre romancière de voix est d’être honnête et de se battre, même si son arme est la plume et celle des interrogés, leurs souvenirs.
« C’est difficile d’être une personne honnête, mais il ne faut pas faire de concession devant un pouvoir totalitaire. »
3. Des histoires de sentiments plus que de faits
En affirmant vouloir se consacrer non pas aux faits, dont l’histoire s’occupe très bien, mais aux émotions, Svetlana Alexievitch regarde le monde « sous les yeux d’une littéraire et non d’une historienne ». Ainsi, elle marque un éloignement certain avec tout ce qui relève de la temporalité historique, pour tendre prioritairement vers la temporalité humaine et l’intériorisation des faits.
Même si la guerre reste le sujet omniprésent de ses ouvrages, l’objet de ses recherches aspire plus à la retranscription des sentiments à travers une toile de fond historique.
« Très tôt, je me suis intéressée à ceux qui ne sont pas pris en compte par l’Histoire. Ces gens qui se déplacent dans l’obscurité sans laisser de traces et à qui on ne demande rien. »
4. Une éducation à travers les livres
Notre auteure le dit elle-même lorsqu’elle écrit son livre La Fin de l’homme rouge :
« Ce que j’ai compris en écrivant ce livre, c’est qu’il n’existe pas de mal chimiquement pur, de catégories d’individus concernés, mais qu’il est dilué dans toute la société. »
Le mal est toujours mélangé à d’autres substances plus ou moins bonnes et qui, ensemble, font la complexité de l’être humain mais aussi de l’Histoire faite par lui. Rien n’est foncièrement mauvais ou bon et c’est pour cela qu’il est bien loin d’être simple d’expliquer les faits… D’où l’importance du témoignage.
Et bien qu’elle ne se décrive pas comme une héroïne, par le fait qu’elle fut hantée depuis très jeune par ces voix que seuls ses ouvrages ont permis de faire entendre, elle n’en reste pas moins, une porteuse de lumière.
5. La recherche d’un outil pour continuer de survivre, faire connaître et exister
En Ukraine, on parle de « roman de voix » pour qualifier le travail d’un ouvrage par des témoignages.
« C’est le genre que j’ai choisi et dans lequel je vais poursuivre mon œuvre. Les sujets ne manquent pas, le mal prend tellement de formes ! Depuis Dostoïevski, personne n’a mieux parlé de cette question. Toutes ces guerres après la chute de l’Empire et personne qui soit capable d’en expliquer la nécessité. »
Dostoïevski a toute sa vie cherché ce qu’il y avait d’humain en l’homme, Des pauvres gens aux Frères Karamazov. Et ce fut à Chalamov de lui rétorquer que dans un camp, il suffisait de quelques jours pour que l’homme disparaisse. Ces auteurs, à côté desquels nous pouvons ajouter Alexandre Soljenitsyne, Ossip Mandelstam et Imre Kertész (entres autres), ont tous essayé de trouver le moyen d’utiliser leur plume de telle sorte qu’elle devienne l’arme permettant de décrire l’indescriptible sous les ruines d’un ancien langage et sur les fondations d’un nouveau. Et Svetlana Alexievitch fait indéniablement partie de cet aréopage d’écrivains.