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Bore-out : plus désœuvré que débordé au travail

20 avril 2018
Par Noëlle
Bore-out : plus désœuvré que débordé au travail

« Le travail c’est la santé, ne rien faire c’est la conserver » chantait Henri Salvador en 1965. Vraiment ? Anxiété, fatigue, tristesse… Loin d’être une source d’épanouissement, l’épuisement au travail par l’ennui, ou « bore-out », rongerait entre 15 à 30% des salariés européens, contre 10% de victimes de born-out. Plus désœuvré que débordé au bureau : une réalité encore taboue.

S’ennuyer à mourir ?

Vous avez beau étirer vos pauses café et cigarette, dérouler une énième fois votre fil d’actualité, trier vos mails : les aiguilles dans leur cadre s’enlisent inexorablement dans une nouvelle journée de travail sans fin. De longues traversées du désert que vous tentez tant bien que mal de maquiller par des pratiques palliatives qui ne vous laissent au fond rien de vraiment précis, que quelques rides au front et la peur de l’ennui. La déprime n’est pas loin, et pour cause…

Le manque de stimulations intellectuelles, de responsabilités, de projets à long terme pèsent et renvoient au travailleur une image dévalorisante et anxiogène de ses compétences. Insatisfaction, anxiété, tristesse, honte, perte de l’estime de soi, manque d’enthousiasme…. C’est quand au contraire il faudrait redoubler d’efforts pour parvenir à s’extraire de l’atonie générale que le moral est au plus bas. Faute de motivation, le travailleur se voit confier encore moins de tâches. Le cercle vicieux du bore-out est en place.

Un phénomène nommé pour la première fois en 2007 par les consultants suisses Peter Werder et Philipper Rothlin dans Diagnose Boreout (2016) qui estiment à 15% la proportion des salariés européens affectés par l’épuisement par l’ennui au travail. Une population que le professeur Christian Bourion (Le Bore-out syndrom, quand l’ennui au travail rend fou, 2016) évalue plutôt autour de 30%.

Les circonstances amenant au bore-out

– La mise au placard. Privation de travail, retrait du téléphone professionnel, absence de mails, plus de convocations aux réunions, isolement physique. Voici les signes avant-coureurs de la mise au placard. Le travailleur jugé « obsolète » par sa direction, faute de formation ou d’activité, est écarté des prises de décision et relégué à des tâches subalternes.

– La mauvaise adéquation de l’offre aux réels besoins de l’entreprise. Une circonstance souvent répandue, selon Aurélie Boullet, dans les collectivités territoriales (Absolument dé-bor-dée ! Ou le paradoxe du fonctionnaire, 2016). Les employés sont surqualifiés ou trop nombreux pour les responsabilités qui leur sont confiées.

– L’ultra-spécialisation des tâches. Digne héritière de l’Organisation scientifique du travail mise en place par Taylor au début du XXe siècle, la division scientifique du travail est particulièrement répandue dans le privé. Pour diminuer les temps morts, la production est séquencée en tâches délimitées, externalisées ou réalisées par des employés assignés à un champ d’action restreint, sans possibilité de prendre de nouvelles responsabilités. C’est le serre-boulon de Chaplin dans les Temps Modernes, le « travail en miette » de Georges Friedman (Le travail en miettes, spécialisaiton et loisirs, 1956).

Comment expliquer le tabou autour du bore-out ?

Si certains s’en accommodent avec plaisir et tâchent de se faire oublier, l’inactivité pèse au plus grand nombre des travailleurs. Mais à qui et comment en parler ? À l’heure du chômage de masse, l’assurance d’un emploi rémunéré représente déjà une chance. Se plaindre d’être « payé à ne rien faire » contredit la logique populaire qui voudrait que l’oisiveté soit un luxe.

Avouer son manque de responsabilités c’est aussi faire l’aveu implicite d’une sorte d’échec professionnel. Il est plus valorisant pour soi et aux yeux d’autrui d’être débordé (sollicité, attendu et donc reconnu), que désœuvré (oublié). Enfin, attirer l’attention sur le caractère superflu de son poste n’est pas sans risque auprès de son employeur.

Ce vide pesant, d’après la philosophe Simone Weil, peut devenir « plus douloureux que la faim » (Conditions premières d’un travail non servile, 1942). Ne laissez pas le cercle vicieux du bore-out vous faire oublier que le travail peut (doit ?) être un lieu d’enracinement et d’épanouissement.

Que faire ?

Avant tout, pendre du recul. L’ennui est le temps privilégié pour une remise en question. Profitez de cet espace pour réfléchir à vos motivations professionnelles profondes. Votre situation vous convient-elle ? Souffrez-vous au travail ? Si oui, pourquoi (collègues, salaire, métier, secteur…) ? Si vos tâches sont source de frustration, est-ce parce que vos responsables ne vous en donnent pas assez ? Trop ? Sont-elles enrichissantes (bien que rébarbatives parfois) ? 

Cherchez par tous les moyens à établir un dialogue et solliciter votre hiérarchie pour continuer à vous développer (formation, nouveau projet, idée d’innovation). Tentez de toujours paraître motivé, prêt à prendre de nouvelles responsabilités. Redéfinissez vos tâches et votre plan de carrière avec vos supérieurs lors de votre entretien annuel obligatoire. 

Dans le cadre d’un CDD, ces expériences peuvent vous permettre de mieux orienter vos futures recherches. Pour les plus liés, en dernier recours, si votre situation le permet, commencez à chercher un autre emploi et/ou démissionnez.

Un peu de lecture 


Absolument-de-bor-dee-Absolument dé-bor-dée ! Ou le paradoxe du focntionnaire, Zoé Shepard, 2011

À Bac +8, Zoé Shepard (alias Aurélie Boullet), littéraire diplômée du prestigieux Institut national des études territoriales, est embauchée dans une mairie de province et déchante vite. Dans un univers où incompétence rime avec flagornerie, ses journées sont rythmées par des réunions inutiles, des rapports à rédiger en dix jours quand deux heures suffisent, des pots à tout-va, des heures à potiner à la machine à café, des chefs « débordés » par les jeux en ligne. Un portrait au vitriol des dysfonctionnements de l’administration régionale qui ne fut pas du goût de tous au moment de sa publication.

Bore-out

Le Bore-out, quand l’ennui au travail rend malade, Dr François Baumann, 2016

L’épuisement professionnel par l’ennui au travail ou « bore-out » (de l’anglais bore : ennui), faute d’une activité construite, d’une motivation qui permette d’utiliser l’énergie que l’on garde en soi, est tout sauf de la fainéantise mais une souffrance taboue qui affecte de plus en plus de travailleurs. Quelles en sont les causes ? Quels sont les traitements, les solutions, les issues ? Comment s’en sortir et se reconstruire ? Comment restaurer un équilibre durable ?

Le-bore-out-syndrom

Le Bore-out syndrom, quand l’ennui au travail rend fou, Christian Bourion, 2016

On connaît le syndrome du burn-out, moins celui du bore-out : il touche pourtant davantage de personnes et mène au même désastre psychologique. Fondée sur de nombreux témoignages, l’enquête de Christian Bourion, Docteur ès sciences économiques, spécialiste de la gestion du travail, aborde les symptômes et les risques psychiques encourus par des salariés victimes de ce syndrome. Mais aussi, et surtout, les conséquences économiques de ce qu’il considère comme un véritable fléau dans une société où le travail demeure une valeur prioritaire, malgré une législation trop rigide en la matière qui empêche toute fluidité.

Article rédigé par
Noëlle
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