Le décès à 82 ans du réalisateur du célèbre Tombeau des lucioles et des Contes de la princesse Kiguya endeuille le cinéma japonais et, plus largement, le cinéma mondial, tant son héritage est immense. Plus discret que son ami et comparse Miyazaki, Takahata occupe néanmoins une place primordiale dans l’histoire de l’animation.
Un parcours exemplaire mais pas orthodoxe
L’envie de travailler dans l’animation vient à Isao Takahata après la découverte, en 1953, du dessin animé Le Roi et l’oiseau (le dessin animé s’intitule alors La Bergère et le ramoneur) de Paul Grimault. Cet étudiant en littérature française, passionné de Jacques Prévert (qui a co-écrit le film), y trouve sa vocation. Mais contrairement aux us et coutumes du métier, Takahata ne dessine pas ses propres films. Une singularité qui lui permettra d’expérimenter différents styles picturaux tout au long de sa carrière, au gré de ses collaborateurs-dessinateurs et de ses envies.
Takahata devient employé de la prestigieuse Toei en 1959 et met en scène son premier film en 1968 : Horus, prince du soleil. C’est en travaillant sur ce projet qu’il rencontre Hayao Miyazaki. Les deux hommes se lient d’amitié. Leur complicité humaine et professionnelle les unira pendant près de 50 ans et sera à la base de la fondation des célèbres studios Ghibli en 1985. C’est au sein de cette entreprise qu’il fera toute sa carrière, y réalisant six de ses neuf films. En 2013, Le Conte de la Princesse Kaguya offre à Takahata la consécration internationale avec une nomination aux Oscars. Il s’agit de l’aboutissement d’un parcours artistique réfléchi et exigeant.
Un cinéaste rare, un homme engagé
Né en 1935, Isao Takahata a connu les heures sombres du Japon durant la Deuxième Guerre mondiale. Il a notamment survécu à un bombardement américain sur Okayama en 1945, l’enfant doit alors fuir en pyjama, accompagné de sa petite sœur. Cet épisode le marquera à jamais et le fera évoluer en un pacifiste convaincu. La paix et le savoir sont ainsi au cœur de sa vie.
Perfectionniste, Takahata menait des recherches très approfondies pour chacun de ses films. Le moindre détail (la forme des pains dans la série Heidi sur laquelle il a débuté par exemple) était ainsi très étudié. Cet artiste cultivé et doté d’un savoir encyclopédique, allié à une profonde modestie, n’envisageait pas de présenter des faits approximatifs. C’est cette rigueur et cette précision de chaque instant qui a permis aux studios Ghibli de devenir le fer de lance de l’animation japonaise.
Une œuvre atypique et intemporelle
La succincte filmographie (en tant que réalisateur) de Takahata ne contient que des films importants, dont se dégage indéniablement Le Tombeau des Lucioles. Cette œuvre grave, bouleversante, d’un humanisme profond a marqué des générations de spectateurs. L’histoire d’un frère et d’une sœur fuyant les horreurs de la bombe atomique est évidemment tirée de l’expérience du cinéaste.
Cependant, l’impact émotionnel de ce film ne doit pas éclipser d’autres œuvres tout aussi fortes : Pompoko est une farce-fable drôle et impertinente sur le thème de la responsabilité écologique de l’homme. Mes voisins les Yamada impressionne par son style en aquarelle (rendu entièrement par ordinateur) et ces saynètes au vitriol d’une famille un peu rock’n’roll. Le Contes de la princesse Kaguya est renversant de poésie et de virtuosité technique. Les films de Takahata dessinent le portrait d’un homme soucieux des traditions et d’un artiste à l’écoute des moyens techniques de son époque, permettant de restituer les émotions de ses histoires. Avec Miyazaki, Takahata a façonné le cinéma japonais d’animation et il lègue aujourd’hui au monde un héritage riche qui ne manquera pas à son tour d’inspirer des vocations.
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