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Hommage à Régine Deforges : 1935 – 2014

04 avril 2014
Par Mika
Hommage à Régine Deforges : 1935 - 2014
©DR

Au-delà du monde du livre elle aura contribué à l’émergence de points de vues en marges, en considérant le monde comme un territoire qui ne serait pas défini et en rejetant les idées qui le figent, Régine Deforges l’exhorte à abandonner ses entraves morales, physiques. Nous perdons un chantre de la liberté, un messager de vie dont il faudra sans nul doute s’inspirer dans les années à venir pour brûler nos propres corsets, pour libérer notre poitrine et notre âme.

Comment faire tenir la grandeur dans un cadre quand on sait que l’objet de ce billet rejetait toute idée de cloisonnement ?

Parce qu’il faut le dire, pour ceux qui l’ignoreraient encore. Régine Deforges, la « scandaleuse » , était une femme libre et combattait toute idée de rétrécissement des êtres et des raccourcis qui tendent à les réduire. C’est un 15 août 1935, à la date où Marie, quelques siècles auparavant, rentrait dans la gloire du Ciel, que Régine s’incarnait pour proposer une idée de la femme antagonique à celle de la Vierge. Oui les desseins de Dieu sont décidément impénétrables.

Après une enfance dans le Poitou, où de son aveu, elle dévore tout et n’importe quoi pourvu que ce soit des livres, elle se marie et monte sur Paris. L’envie d’écrire viendra plus tard, elle n’y pense pas, ne s’en trouve pas digne. Installée dans la capitale, elle est employée à la librairie du drugstore des Champs Elysées. C’est l’époque de la guerre d’Algérie et elle se positionne déjà dans des choix militants en proposant de mettre en avant des livres contestataires, activistes. Tour à tour bibliophile, journaliste, relieur, elle décide enfin d’écrire sous l’injonction de  Dominique Aury, l’auteure sulfureuse d’Histoire D’O, dont Régine publiera un livre d’entretiens. Convaincue de « se faire entendre » par celle qui sera son amie, Régine Deforges planche sur son premier bouquin et c’est en 1976 que sort Blanche et Lucie. Mais c’est avec le cycle de La bicyclette Bleue sous Mitterrand en 1981 qu’elle rencontrera un véritable succès populaire.

Parallèlement à l’édification de son œuvre propre, Régine Deforges est éditrice et publie des textes méconnus d’Aragon, Apollinaire, de Mandiargues notamment, dont la teneur clairement érotico-pornographique participe d’un choix éditorial assumé : faire rentrer  la littérature érotique au panthéon d’œuvres à part entière et non comme un sous-genre. Bien sûr les scandales furent nombreux et à répétitions les tribunaux se chargèrent, en vain, de recadrer la scandaleuse en la condamnant. Il en faut bien plus à Régine, « mythe transgressif », elle dont la dimension contestataire s’étend par delà sa propre liberté. Son indépendance est un terreau dans lequel elle puise des ressources incroyables pour porter des messages uniques, inédits. L’affaire « Madeleine Chapsal » sera une autre démonstration de son indomptable caractère. Dans son journal d’hier et d’aujourd’hui Chapsal dénonce les magouilles des Prix littéraires, les complots inter-jurés. Provocant la colère du milieu littéraire Chapsal est exclue du Prix Femina. Par solidarité et pour défendre la liberté de parole Régine Deforges « démissionne » alors de son rôle de jurée et participe de la large diffusion des coulisses des Prix littéraires.

Profondément féministe Deforges s’inscrit dans la lignée des femmes qui leur donnent une voix en brisant les codes qu’on leur a imposés et dont elle souhaite les libérer. Sexualité en figure de proue, Deforges balaye les stéréotypes d’une femme qui serait derrière les fourneaux en attendant que son mari rentre du travail. Elle se sera toute sa vie, efforcée de briser les tabous inhérents à son sexe dans notre société, en imposant un ton, en assumant ses positions jusqu’au bout à une époque où parler de la sexualité féminine avait un sens réellement subversif.

Article rédigé par
Mika
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