Louis Pasteur vieillissant et ses mousquetaires de la recherche bactériologique, ne pouvaient que donner un excellent roman scientifique et historique. Au-delà c’est pourtant par le personnage particulier d’Alexandre Yersin, injustement méconnu du grand public, que le romancier Patrick Deville prend rapidement la tangente et nous emmène à sa suite sur les traces de ce singulier homme de science. Erudit et brillant !
Louis Pasteur vieillissant et ses mousquetaires de la recherche bactériologique, ne pouvaient que donner un excellent roman scientifique et historique. Au-delà c’est pourtant par le personnage particulier d’Alexandre Yersin, injustement méconnu du grand public, que le romancier Patrick Deville prend rapidement la tangente et nous emmène à sa suite sur les traces de ce singulier homme de science.
Alexandre Yersin (1863-1943), alors jeune recrue de l’Institut Pasteur à ses débuts en 1887, après de brillants travaux sur la diphtérie – aux côté d’Emile Roux – et la tuberculose, choisira de se rendre en Asie pour assouvir son insatiable curiosité (« Je ne serais pas fâché de quitter Paris car le théâtre m’ennuie, le beau monde me fait horreur, et ce n’est pas une vie que de pas bouger »). Médecin de la Compagnie des Messageries Maritimes (MM), le scientifique passera de marin à explorateur cartographe en Indochine, de cultivateur-éleveur à négociant pour financer ses recherches, et s’occupera de mille et une choses encore jusqu’à sa mort en 1943.
En 1894, à Hong Kong il découvre le bacille de la peste, revient un temps en Europe pour travailler à l’Institut Pasteur, et finira par trouver le vaccin de cette Yercinia pestis lors d’un séjour en Chine. Célébrité immédiate pour le « vainqueur de la peste », mais Yersin en curieux boulimique repartira de plus belle dans ses recherches et observations scientifiques, collaborant notamment avec Michelin pour le caoutchouc tiré de l’hévéa, développant la production de quinine, s’intéressant à l’électricité, etc. Ultime curiosité, après sa disparition on lui découvrira même une passion tardive mais profonde pour la littérature…
L’astuce, et il fallait y penser, est de donner à voir l’étonnante biographie d’Alexandre Yersin à travers le format littéraire du carnet de voyage. De fait peu de dates, et un texte subtil qui parvient à une profusion de détails et d’informations sans indigestion pour le lecteur. L’historique et l’anecdotique font corps, s’entremêlent avec grâce, et tout est dit et bien dit : faussement discrète la littérature, souvent au sortir d’une phrase, au détour d’un paragraphe, et parfois parée d’un humour très fin, en ressort d’autant plus brillante. Avec son écriture par touches successives et sensibles, sa forme impressionniste pour rendre hommage et justice à une aventure scientifique et un destin personnel hors du commun, Peste & Choléra est tout à la fois un documentaire, une biographie, un roman historique, un récit d’aventure, et au-delà une belle réflexion sur le génie et la postérité.
On refermera ce roman avec admiration devant l’ampleur du travail d’épure effectué par Patrick Deville : A l’image du parcours de Yersin, le romancier s’est attaché à donner le meilleur de lui-même sans transiger avec la densité des évènements d’une époque et d’une vie bien remplies.
Véritable carte postale positiviste à destination de notre modernité désenchantée, Peste & Choléra avec sa mécanique de précision et sa musique singulièrement poétique est une île sereine qui n’a cure de la marée montante (et vite retombée, bis repetita placent !) de cette rentrée littéraire 2012.
Et si d’aventure le lecteur cherchait Yersin dans les contrées de la lointaine Asie, qu’il sache qu’il est aussi dans ces pages, fantôme du passé lisant par-dessus l’épaule de Deville, et murmurant : « C’est finement observé Monsieur le romancier ! »
[MAJ] C’est le lundi 05 novembre 2012 que Patrick Deville, s’est vu décerné également le Prix Femina pour son roman Peste & Choléra. Et là pour le coup on se remet à croire aux prix Littéraires… – A noter que le Prix Femina du roman étranger a été attribué à Certaines n’avaient jamais vu la mer de Julie Otsuka (Phébus), autre très belle surprise de cette rentrée littéraire que je vous recommande vivement !