Dans un premier roman virtuose et efficace, Louise Morel se paye le consulting et ses absurdités – avant d’offrir une fenêtre berlinoise de liberté à son personnage.
Louise Morel est passée par l’une des principales agences parisiennes de conseil en stratégie ; elle est maintenant analyste financière pour un grand groupe à Berlin. Elle connaît donc aussi bien le monde de l’entreprise que la capitale allemande – et les paradis artificiels que cette dernière promet à la jeunesse européenne depuis qu’elle en est devenue, il y a quelques années déjà, l’Eldorado.
Marianne vient d’une bonne famille, a fait les bonnes études, décroché le bon métier – et vit même avec le bon mari, Charles. Consultante dans une entreprise renommée de conseil, elle se consacre toute entière à sa carrière. Après un prologue virtuose – description d’un entretien d’embauche qui nous fait pénétrer, bien malgré nous, dans les rouages de l’entreprise – l’autrice déploie le quotidien chargé de son personnage. Avec humour et intelligence, elle traque les médiocrités, les absurdités, les nombreux lieux où le sens s’échappe pour laisser place à l’habitude, au conditionnement social, et surtout au vide.
Puisque les entreprises fonctionnent jusqu’à épuisement de leurs ressources humaines, il faut bien que d’autres prennent la relève. Et l’honneur des consultants en stratégie, c’est ça : être d’ultimes bons petits soldats. Après avoir viré les employés épuisés, ils les remplacent en abattant la tâche plus vite et plus proprement qu’eux. À mi-chemin entre l’intérimaire et le mercenaire, le consultant analyse le problème, synthétise la situation, propose des solutions et le plan d’action qui va avec. Une sorte de super-héros capitaliste à la rescousse du profit en berne, dont l’emblème serait un tableur plein de chiffres, ou bien peut-être une slide et quelques graphes.
Louise MorelRessource humaine
Un déplacement professionnel à Berlin suffit à ouvrir le champ des possibles à Marianne, qui s’agrippe pourtant à son quotidien comme à une bouée de secours existentielle, qui chérit sa routine « comme un talisman, une armure magique, une pierre philosophale qui transforme la terreur en rage de vaincre ». C’est qu’une partie de la capitale allemande, malgré sa grisaille et ses immeubles au « petit air désespéré », vit au rythme de sa jeunesse fêtarde, alcoolisée, droguée, fortement politisée.
Mais Louise Morel évite soigneusement les clichés : Marianne n’échappera pas à son destin de consultante bien rangée ; et la fête, après tout, n’est pas plus « égalitaire » que le monde de l’entreprise et les rouages bourgeois dans lesquels ses personnages cherchent à s’inscrire – quoi qu’il en coûte. D’une plume superbe qui réussit brillamment à intégrer le vocabulaire abscons des entreprises, l’autrice livre un roman d’initiation résolument moderne, à l’époque du capitalisme sauvage et de son pendant, non moins bestial, la fête.
Seuls les idiots pensent que sauver les apparences ne sert à rien. Sauver les apparences, c’est l’essentiel.
Louise MorelRessource humaine