Critique

Petite nature de Samuel Theis : la vie devant soi 

10 mars 2022
Par Félix Tardieu
Aliocha Reinert dans "Petite nature"
Aliocha Reinert dans "Petite nature" ©2021 AVENUE B PRODUCTIONS - FRANCE 3 CINEMA

Le premier long-métrage en solo de Samuel Theis – co-réalisateur de Party Girl, lauréat de la Caméra d’or au Festival de Cannes 2014 – brosse avec pudeur le portrait d’un jeune garçon, Johnny (Aliocha Reinert), dont les sentiments naissants ne tardent pas à déborder d’un monde étriqué.

Pour son premier film en solo après avoir co-réalisé Party Girl avec Claire Burger et Marie Amachoukeli, l’acteur et metteur en scène Samuel Theis pose de nouveau sa caméra à Forbach (Moselle), ville de son enfance, et parvient à saisir avec une aisance déconcertante le désir balbutiant d’un jeune garçon dans un monde qui ne semble pas enclin à intégrer la différence, le pas de côté et l’écart par rapport aux normes attendues de la virilité. Johnny vit dans une cité HLM avec sa mère dans un monde où les hommes sont étrangement absents.

Ou plutôt si, ils sont omniprésents, mais comme en bordure du monde de Johnny, qui n’a que faire de traîner avec les garçons de son âge ou de sympathiser avec les amants passagers de sa mère qui confie à son fils la charge de sa petite soeur et de s’occuper du foyer du haut de ses dix ans, tout en lui reprochant sa « fragilité » dans un environnement réglé par la violence. Johnny rêve d’autres possibles, d’une vie ailleurs qu’à Forbach.

©2021 AVENUE B PRODUCTIONS - FRANCE 3 CINEMA

Petite nature est un film impressionnant de maîtrise, aussi engageant sur le fond que sur la forme. Le film de Samuel Theis rayonne tant sur le plan de la mise en scène que de la dramaturgie, de la direction d’acteurs – le jeune Aliocha Reinert, stupéfiant de justesse, l’actrice non-professionnelle Mélissa Olexa, qui interprète la mère de Johnny, ou encore Antoine Reinartz dans la peau du maître d’école qui prend le garçon sous son son aile – et du soin apporté au cadre. Le film de Samuel Theis assume pleinement son esthétique baignant entre réalisme et naturalisme (à noter le contraste très travaillé entre les intérieurs de l’appartement de la cité HLM où Johnny habite et la maison du maître d’école dans laquelle le jeune garçon rêve de s’introduire, comme par effraction) mais évitant habilement le piège du sensationnalisme, du film voyeuriste et moralisateur. 

©2021 AVENUE B PRODUCTIONS - FRANCE 3 CINEMA

Petite nature prend ainsi le pouls de la jeunesse avec une rare délicatesse avec un sens aigu de l’ambiguïté et de l’incertitude. Le film s’installe précisément dans cette zone de flou, dans ce bain indéterminé des sentiments qui traversent le personnage de Johnny. Son physique androgyne n’a rien d’angélique dans le regard de Theis – soit le contre-pied total de Mort à Venise (1971) de Visconti –  qui se place à la hauteur d’un désir enfantin qui ne souffre d’aucune frontière, d’aucun interdit.

Le film reste constamment dans le point de vue de Johnny, qui cherche dans le regard de l’autre quelque chose que l’autre ne peut logiquement pas lui rendre. Dans Petite nature, l’amour impossible entre le maître et l’élève est vécu comme un véritable drame, là où du point de vue des adultes celui-ci n’est rien d’autre qu’un impensé, un tabou, une impossibilité morale, quelque chose d’hautement irrationnel. Cette incompréhension, ce malentendu entre les êtres qui n’appelle pas à être immédiatement raisonné, confère au film son ampleur poétique.

Petite nature de Samuel Theis – avec Aliocha Reinert, Antoine Reinartz, Mélissa Olexa, Izïa Higelin – 1h35 – en salles le 9 mars 2022.

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Article rédigé par
Félix Tardieu
Félix Tardieu
Journaliste