Critique

Goliath : duel au sommet

09 mars 2022
Par Lisa Muratore
Gilles Lellouche se glisse dans la peau d’un avocat idéaliste qui veut combattre le lobby agroalimentaire.
Gilles Lellouche se glisse dans la peau d’un avocat idéaliste qui veut combattre le lobby agroalimentaire. ©Caroline Dubois/SINGLE MAN

Avec Goliath, le réalisateur Frédéric Tellier s’attaque à un sujet aussi brûlant que révoltant : la lutte contre les pesticides face au lobbying agroalimentaire. Un combat des temps modernes avec Gilles Lellouche, Pierre Niney et Emmanuelle Bercot dans l’arène.

Après David contre Goliath, voici Patrick contre Mathias ! Frédéric Tellier, à qui l’on doit l’excellent L’affaire SK1 (2015), revient cette fois-ci avec Goliath, un passionnant bras de fer moderne sur l’usage mortel des pesticides et leur commercialisation par de grandes firmes d’agrochimie.
Il retrouve ici Pierre Niney, avec qui il a déjà collaboré dans Sauver ou périr (2018). Mais exit le rôle du téméraire sapeur-pompier : cette fois-ci, le comédien incarne un lobbyiste obnubilé par la performance. Face à lui, Gilles Lellouche se glisse dans la peau d’un avocat parisien spécialisé en droit environnemental, et Emmanuelle Bercot dans celle d’une professeure de sport et ouvrière qui milite contre l’utilisation de la tétrasine, un pesticide considéré comme cancérigène par l’OMS. Après le suicide d’une agricultrice, les destins de ces trois personnages vont s’entrechoquer ; et offrir un drame social captivant.

Des personnages déterminés

Tous les films de Frédéric Tellier mettent en scène l’engagement de ses personnages dans leur profession et dans leur combat face à la détresse humaine. Là où Raphaël Personnaz incarnait un enquêteur du 36 quai des Orfèvres confronté à des crimes sordides dans L’affaire SK1, le cinéaste interroge dans Goliath la ténacité des individus pour l’appliquer à un sujet d’actualité. Ce troisième film fait ainsi émerger un réel engagement politique de Frédéric Tellier ; bien que la bataille soit perdue d’avance – puisque le système finira par broyer la santé, les convictions et l’humanité des trois personnages principaux.

Même le personnage de Pierre Niney, pourtant du côté du pouvoir, est perdant. Avec ce long-métrage, l’acteur se glisse dans un rôle à contre-emploi, aux antipodes des comédies grâce auxquelles il a été découvert, loin de ses précédentes interprétations, dans Amants (Nicole Garcia, 2021) et Boîte noire (Yann Gozlan, 2021). Il en ressort une incarnation aussi envoûtante qu’effrayante d’un marchand de doutes, déconnecté de la réalité et prêt à tout pour défendre les intérêts du lobby agroalimentaire. Cette posture ébranle la vie de l’idéaliste Gilles Lellouche qui offre des instants d’une grande sensibilité, tout comme Emmanuelle Bercot, dans la peau du personnage de France.

Pierre Niney dans le rôle de Mathias, un lobbyiste véreux.©Caroline Dubois/SINGLE MAN

L’importance des symboles

Goliath est riche en symboles. Au-delà de l’inéluctable duel qui se joue, le film se révèle en effet d’une rare poésie, au sein de laquelle l’usage des couleurs et de la photographie tient un rôle majeur. La délimitation entre les deux camps mis en scène se constate visuellement, entre les zones ternes dénuées d’humanité et la vie à la campagne, parmi les agriculteurs.

La violence larvée que porte le sujet choisi par le réalisateur est représentée sans fard : Goliath est un film brutal – suicide, maladies, attaques, protestations, etc. Malgré cette dureté, ce qui frappe le plus rudement reste la cruauté d’une organisation contre laquelle on ne peut rien et qui déverse son poison sur les populations. La distance entre les trois personnages renforce d’ailleurs cette violence, se faisant preuve que ce système absurde contamine chaque strate de la société : la tétrasine n’attaque pas simplement les agriculteurs, mais corrompt aussi l’humanité des lobbyistes.

Bien que le sujet puisse paraître stéréotypé, Goliath évite habilement le piège du cliché que la métaphore de son titre annonce pourtant. Par sa mise en scène subtilement dosée, efficace et kafkaïenne, Frédéric Tellier livre une analyse accablante mais nécessaire de l’échec du capitalisme.

Emmanuelle Bercot incarne France dans Goliath.©Caroline Dubois/SINGLE MAN

Un thriller politique

L’appréhension constante permet à Goliath de flirter avec le genre du thriller, à l’heure où les crises écologiques, sanitaires et politiques se font de plus en plus angoissantes, et demandent des réactions de plus en plus rapides. Si plusieurs films et documentaires ont déjà levé le voile, outre-Atlantique, sur ce genre de débâcle systémique – L’Affaire Pélican (Alan J. Pakula, 1993), Michael Clayton (Tony Gilroy, 2007) et, plus récemment Dark Waters (Todd Haynes, 2020) – le cinéma français pourrait bien avoir trouvé, avec Goliath, un moyen de protester à son tour. À l’instar du film réalisé par Emmanuelle Bercot, La Fille de Brest (2015), qui s’inspirait du scandale du Médiator, Goliath prend donc pour point de départ l’actualité brûlante pour en faire un sujet de fiction engagé qui ne peut qu’éveiller chez le spectateur un précieux sentiment de révolte.

Goliath, de Frédéric Tellier, avec Gilles Lellouche, Pierre Niney, Emmanuelle Bercot. 2h02. En salle le 9 mars 2022.

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Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste
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