Critique

Habemus Piratam, de Pierre Raufast : le diable est dans les détails

05 mars 2022
Par Stéphanie Chaptal
Habemus Piratam, de Pierre Raufast : le diable est dans les détails
©Nellie Raufast

[Rentrée littéraire] Dans un polar qui mêle vie à la campagne et péripéties aux quatre coins du monde, Pierre Raufast livre une réflexion humoristique sur la cybercriminalité et la façon dont elle peut influencer les vies.

Quel rapport entre la vie dans un petit village de campagne et le vol du manuscrit final d’une trilogie de best-sellers ? Le dark web et le cyberpiratage ; ou, plus exactement, un ancien as du clavier qui a décidé de se ranger des voitures et de se mettre en règle avec son Créateur. Et pour cela, il va à confesse tous les vendredi, juste après Georgette – qui régale d’ailleurs le curé de ses tricheries au Scrabble avec Claudine. Lassé des embrouilles de ses paroissiennes octogénaires, le brave prêtre va découvrir dans les confessions de l’ancien pirate un univers insoupçonné… quitte à attirer l’attention de criminels internationaux sur sa petite paroisse.

J’avais juste oublié un truc. Sans électricité, plus aucune borne wifi ni relais 3G ne fonctionnaient dans la ville.
J’étais dans l’incapacité de rebrancher le système. À moins de me rendre sur place, entreprise hautement risquée. Quel con ! J’avais l’impression d’être le gars qui scie la branche sur laquelle il est assis. Comment n’y avais-je pas pensé ! Perdu dans les couches techniques sophistiqués, j’avais oublié la base élémentaire : l’énergie.

Pierre Raufast
Habemus Piratam

Quand il n’écrit pas des romans, Pierre Raufast travaille justement dans la cybersécurité – autant dire qu’il connaît bien son sujet. En passant en revue les dix commandements avec le prêtre, le hacker va ainsi raconter les exploits – les siens ou ceux de ses collègues – qui ont agité le monde criminel informatique ; mais ceux-ci ont largement été modifiés pour les besoins de l’histoire. Techniquement, en revanche, ils sont tous parfaitement réalistes et s’appuient sur des affaires qui ont déjà fait les choux gras de la presse spécialisée. Ainsi, l’usage des objets connectés pour résoudre un meurtre rappelle le cas de ces militaires amateurs de jogging qui ont laissé fuiter involontairement la localisation de bases secrètes à partir de Strava, une application de suivi de courses particulièrement populaire.

Très variés, ces faits d’armes sont expliqués avec beaucoup d’humour et montrent que nul n’est à l’abri de ces voleurs et escrocs, d’autant plus discrets que leurs méfaits sont immatériels. Non seulement la lecture d’Habemus Piratam est particulièrement divertissante, mais elle se révèle donc également très instructive. Le livre refermé, gageons que le lecteur se précipitera pour mettre à jour tous ses appareils, changer ses mots de passe pour ne plus garder ceux fournis par défaut par les constructeurs et éditeurs, et réfléchira à deux fois avant d’ouvrir n’importe quelle pièce jointe ou d’utiliser à tort et à travers n’importe quel objet connecté.

Il n’y a que trois types de pirates informatiques. Les jeunots qui apprennent, ceux qui croupissent en prison et ceux qui se font oublier dans un paradis fiscal. Milan est de ces derniers. Il a raccroché au bon moment. Il a fui du jour au lendemain son Massachusetts natal pour s’installer au Chili, où il a acheté un ranch et quelques hectares de terre bien grasse.

Pierre Raufast
Habemus Piratam

Mais Habebus Piratam n’est pas qu’une succession de fables cybercriminelles vaguement encadrées par une rencontre au fond d’une église. À ces délits hautement technologiques se mêle en effet une affaire criminelle beaucoup plus ancrée dans le terroir. Et c’est justement ce mélange entre une campagne très terre-à-terre et un monde où les données et les dollars s’envolent d’un continent à l’autre qui fait toute la saveur de ce roman original.

Habemus Piratam, de Pierre Raufast. En librairie depuis le 11 février 2022.

Habemus Piratam, de Pierre Raufast, Aux Forges de Vulcain, 227 p., 20 €. En librairie depuis le 11 février.

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Article rédigé par
Stéphanie Chaptal
Stéphanie Chaptal
Journaliste