Entretien

HugoDécrypte : “La bande dessinée permet de raconter en images des événements qu’il serait impossible de retranscrire autrement”

12 novembre 2025
Par Benoît Gaboriaud
“HugoDécrypte en Russie”, en librairie depuis le 4 novembre.
“HugoDécrypte en Russie”, en librairie depuis le 4 novembre. ©Allary Éditions

L’équipe de HugoDécrypte se lance dans la bande dessinée et nous embarque pour l’occasion en Russie, de ses origines à l’invasion de l’Ukraine, pour mieux comprendre le discours actuel de Vladimir Poutine. Rencontre.

Dans sa première bande dessinée, Hugo Travers, alias HugoDécrypte, plonge dans l’histoire de la Russie avec la volonté de rester fidèle à l’esprit de son média en ligne, suivi par plus de 20 millions d’abonnés sur YouTube, Instagram ou TikTok : décrypter, expliquer et résumer l’actualité ainsi que les enjeux du monde contemporain. Pour ce faire, il s’est entouré de plusieurs historiens, mais aussi du scénariste Kris et du dessinateur Kokopello, auteur de Palais-Bourbon, les coulisses de l’Assemblée nationale (2021) et de La tour de Babel, voyages au cœur du grand bazar européen (2024). Ensemble, ils sont parvenus à condenser 1 000 ans d’histoire en 200 pages d’aventures trépidantes, alliant rigueur et humour, sans jamais s’éloigner de leur objectif : montrer comment le discours actuel de Vladimir Poutine s’inscrit dans l’histoire violente de la nation.

Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter l’histoire de la Russie en bande dessinée ?

Hugo Travers : Nous publions depuis longtemps des vidéos sur les réseaux sociaux. J’avais envie d’explorer un autre médium : le livre. La bande dessinée permet de raconter en images des événements qu’il serait impossible de retranscrire autrement. Elle offre aussi la possibilité de prendre davantage de recul, pour une analyse plus approfondie.

HugoDécrypte en Russie.©Allary Éditions

Nous avons travaillé sur ce projet pendant trois ans, afin d’apporter des éléments complémentaires aux vidéos que nous produisons dans le flux de l’actualité, sur l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Notre objectif était de replacer les discours impérialistes et les crimes de Vladimir Poutine dans l’histoire de ce pays, mais aussi de les analyser en détail, avec des historiens, de manière factuelle – afin de déconstruire, parfois, certains mythes véhiculés par ces discours. Nous avons conservé l’ADN de la chaîne HugoDécrypte, qui vise à aider les adolescents de 15 ans à comprendre ce qui se passe dans le monde, tout en pouvant aussi intéresser les adultes.

Le point de départ est résolument actuel : le discours de Vladimir Poutine.

H. T. : Oui ! Vladimir Poutine, dans son discours et dans sa propagande, évoque régulièrement l’histoire de la Russie pour justifier ses actes et ses revendications, comme l’invasion de l’Ukraine ou les crimes qu’il commet. Cela nous a semblé intéressant de remonter au IXeme siècle, à la Rus’ de Kiev car cette origine, revendiquée par la Russie pourrait aussi l’être par l’Ukraine.

HugoDécrypte en Russie.©Allary Éditions

Vous vous êtes rendu en Ukraine en 2023 pour réaliser le documentaire Ce que j’ai vu en Ukraine, puis, en 2024, pour interviewer le président Volodymyr Zelensky. Comment s’est passée cette rencontre ?

H. T. : J’étais assez stressé, d’autant que Volodymyr Zelensky est le chef d’État d’un pays en guerre, envahi par la Russie. Mais il était très important pour moi d’aller le rencontrer sur place, afin de mieux comprendre la situation dans laquelle se trouvent aujourd’hui les Ukrainiens. J’y étais déjà allé un an plus tôt pour rencontrer des jeunes directement touchés par le conflit, notamment à Boutcha, où ont été commis des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, à une période de fortes tensions. C’était essentiel pour nous !

Rencontre entre HugoDécrypte et Volodymyr Zelensky.

Hugo forme avec Ève un tandem aussi drôle que sérieux. Comment est née l’idée de ce personnage qui est une source d’humour ?

Kokopello : Il nous fallait un personnage qui représente la rédaction dans son ensemble. Ève joue donc à la fois ce rôle et celui de partenaire d’Hugo, qui apparaît, lui, comme le reporter de terrain. Parfois sous forme de gags, elle lui apporte des informations ou vérifie celles d’Hugo. Lorsqu’il rencontre des personnages historiques, Ève intervient pour nuancer certains de leurs propos, et dans l’histoire russe, c’est capital !

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H. T. : Le sujet est sérieux et même grave, et nous savons l’être quand il le faut. Nous avons tenté de trouver le juste équilibre. Nous voulions insuffler de l’humour au récit pour le rendre plus digeste sans empiéter sur le sérieux de notre démarche. Nous faisons déjà ce travail sur la chaîne, encore une fois pour rendre notre propos accessible au plus grand nombre sans le dénaturer. Nous avons tous (scénariste, dessinateur et experts) beaucoup échangé sur ce point afin de parvenir à cet équilibre.

Et cet équilibre se retrouve dans le dessin.

Kokopello : Les BD historiques sont généralement réalisées avec un trait assez réaliste. Le mien tend davantage vers la caricature, ce qui me permet de souligner parfois l’absurdité de certains personnages historiques russes, à la manière du dessin de presse.

Dans le récit, Hugo part à la rencontre des grandes figures de l’histoire russe, d’Ivan le Terrible à Staline, en passant par Catherine II. Comment avez-vous travaillé pour les représenter ?

Kokopello : Nous nous sommes énormément documentés, notamment à partir de tableaux datant du XIIIe au XIVe siècle. J’ai aussi travaillé à partir d’objets figurant sur des photos de musées russes. Pour la partie la plus moderne, comme l’assaut du Palais d’hiver à Petrograd, le 25 octobre 1917, je me suis inspiré des films du réalisateur Sergueï Eisenstein. J’ai suivi les recherches du scénariste Kris, validées par l’équipe de HugoDécrypte, puis par des experts qui ont travaillé sur ce projet. Rien n’a été laissé au hasard !

Avec quelle personnalité historique vous êtes‑vous le plus amusé ?

Kokopello : C’est une question assez compliquée. Je me suis éclaté à en dessiner beaucoup. J’ai particulièrement aimé la partie sur le cosaque Mamaï, qui représente vraiment le peuple ukrainien, avec sa longue moustache, son crâne rasé et sa petite mèche de cheveux. Il incarne l’idée d’une Ukraine souveraine et indépendante. Mais certains personnages secondaires, comme Moujik, le serf, m’ont autant intéressé à traiter que les grandes figures de l’histoire. À chaque évolution, il pense qu’il va enfin être libéré de l’emprise des gouvernants, mais, au final, rien ne change !

HugoDécrypte en Russie.©Allary Éditions

H. T. : Plus que les personnages, ce sont les périodes qui m’ont passionné à analyser, comme la révolution de 1917, la chute du mur de Berlin ou celle de l’URSS, avec leurs espoirs et leurs désillusions – aujourd’hui instrumentalisés par Vladimir Poutine dans son discours politique.

En Russie est le premier tome d’une longue série HugoDécrypte. Les prochains seront-ils eux aussi consacrés à l’histoire ?

H. T. : Il y aura un tome par an. Les thématiques seront différentes et pas forcément consacrées à un pays. Je ne vais pas déjà vous dévoiler la suite, mais les sujets mêleront histoire, économie et sociologie, afin de permettre à nos lecteurs et lectrices de mieux comprendre ce qui se joue actuellement dans le monde.

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