Du photo-reportage au portrait en passant par la photographie de paysage et d’architecture, Jean Dieuzaide a documenté son époque durant soixante ans. Une partie de son œuvre est exposée jusqu’au 6 mars 2022 au Couvent des Jacobins, à Toulouse.
On le connaît surtout pour son illustre portrait de Salvador Dali, le corps immergé dans l’eau jusqu’au cou, moustaches fleuries et yeux écarquillés. Il serait néanmoins dommage de réduire la carrière du photographe toulousain Jean Dieuzaide à cet instantané du peintre surréaliste. Né à Grenade (Haute-Garonne) en 1921 d’une famille modeste, Jean Dieuzaide est encore enfant quand il est initié à la photographie par son père : il fabriquera son premier filtre photo avec du papier à bonbon.
Photojournaliste
Jean Dieuzaide entame sa carrière comme journaliste pigiste pour la presse. Dans ce contexte, il immortalise la Libération de Toulouse, et produit un célèbre cliché du Général de Gaulle lors d’une allocution – cliché pour lequel il escalade la façade de la mairie du Capitole. Le photographe commence alors à déployer une carrière bientôt prolifique dans la région toulousaine et le Sud-Ouest. Il fige ainsi la France de Mai 68 et ses étudiants désabusés, place du Capitole. Plus tard, c’est par son appareil qu’on découvre la toute première Fête de la musique, à la toulousaine, là-aussi.
L’exposition qui lui rend hommage au Couvent des Jacobins donne également à voir les ateliers du photographe, dans la ville rose où il travaillait avec son épouse Jacqueline Dieuzaide. Dans la capitale de l’aéronautique, Yan – de son nom d’artiste – s’émerveille également du monde de l’aviation : ici une usine d’assemblage, là une porte de soute ouverte… des éléments apparemment banals mais mis en valeur par des jeux de plein et de vide, de lignes claires et sombres et une composition fine et délicate.
Photographe tout-terrain
Du studio au terrain, le travail du photographe est fort de près de 500 000 clichés, en noir et blanc. Le grand ami de Robert Doisneau semblait vouloir tout capturer. Après la photographie de presse, il se tourne vers l’édition du voyage en illustrant guides et brochures touristiques. Plus tard, il installera son objectif dans et aux abords des églises. Voûtes, nefs et statues du Christ passent ainsi par sa lentille, toujours en mode noir et blanc. Et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’artiste, croyant, est aujourd’hui exposé dans un couvent, au plus proche de sa foi.
S’il montre la France des villes et celle des célébrités, comme Dali ou de Gaulle, Jean Dieuzaide n’oublie pas pour autant de photographier la France rurale, des montages et du commun des mortels. C’est ainsi que se côtoient par exemple les portraits puissants de la Petite fille au Lapin et de La Gitane.
La série « Vie Sportive » met par ailleurs en valeur son obsession pour la lumière, comme avec Parachutisme, en 1968, où les rayons d’un soleil couchant transpercent la toile d’un parachute sur le point de s’étendre à terre après un vol. Jean Dieuzaide y tire profit d’une lumière naturelle comme dans l’incroyable Vers les cimes du Mont Ségur, capturé à la même période. Dans des images d’archives de l’INA, l’artiste rappelle d’ailleurs que « le photographe qui fait de la photographie en ignorant la lumière ne fait… que de la photo ».
Plus émouvants encore, les clichés qu’il prend au Portugal, en Espagne et en Turquie – comme le Filet de pêcheurs, à Istanbul, dans les années cinquante. L’artiste, disparu en 2003 sera maintes fois récompensé en France comme à l’étranger. Il sera aussi à l’origine de la création des Rencontres internationales de la photographie d’Arles. Jean Dieuzaide laisse ainsi derrière lui une œuvre qui mérite amplement le bel hommage qui lui est rendu Couvent des Jacobins.