Plongée, en quelques classiques couronnés des littératures de l’imaginaire, dans les arcanes d’un prix historique.
L’année dernière, on célébrait les 50 ans d’une récompense à part dans le paysage littéraire français. Un prix créé en 1974 par l’écrivain et critique Jean-Pierre Fontana pour célébrer les littératures de l’imaginaire dans un pays qui les a longtemps méprisées, comme s’il s’agissait d’œuvres de second rang, moins prestigieuses, nées de l’esprit de geeks farfelus.
Aujourd’hui, science-fiction, fantasy, horreur et fantastique prennent leur revanche et font figure de locomotive dans un marché du livre qui cherche un second souffle, et le Grand Prix de l’Imaginaire est devenu un sacre convoité. Mais, avant même d’être à la mode, il a couronné certains chefs-d’œuvre du genre. Suite à la célébration des vainqueurs de cette années à la Comédie du Livre de Montpellier, nous vous proposons un voyage dans le temps digne de meilleurs romans de SF pour saluer en quelques œuvres cultes la jeunesse éternelle d’un géant.
| Les racines du mal, de Maurice G. Dantec, 1996
L’un des écrivains de l’imaginaire les plus sulfureux et les plus subversifs, sorte de mélange entre Philip K. Dick et Louis Ferdinand Céline, remporte le prix du roman français en 1996 avec Les racines du mal, éblouissant polar d’anticipation. Un homme est persuadé que son quartier de Vitry-sur-Seine est colonisé en secret par les habitants de la planète Vega et que cette population extraterrestre cherche à étendre son pouvoir jusqu’au hautes sphères de l’État. Alors, ce schizophrène maladif part en guerre pour les démasquer.
Arrêté pour ses crimes, mais accusé de certains meurtres qu’il n’a pas commis, il est soumis à la « neuromatrice », une intelligence artificielle avant l’heure qui s’apprête à sonder les tréfonds de son âme. Au risque de découvrir qu’il existe d’autres monstres, bien plus dangereux que lui. Entre croisade meurtrière d’un désaxé et récit d’anticipation cramant au lance-flammes nos sociétés : de la SF bien gratinée.
| Le samouraï virtuel, de Neal Stephenson, 1997
Le grand pionnier, avec William Gibson, du vertige cyberpunk, l’une des plus grandes plumes de la science-fiction – dangereusement adulée par tous les apôtres du techno-fascisme qui ont pris aujourd’hui le contrôle de la Silicon Valley –, remporte le GPI en 1997 avec ce qui reste son chef-d’œuvre, Le samouraï virtuel.
Dans une société qui partage son temps entre un monde où tout n’est que survie et un métavers plus épanouissant, mais aussi plus dangereux, une drogue, le Snow Crash, sème le chaos. Elle a le pouvoir d’affecter les deux univers en parallèle. Hiro Protagoniste, livreur de pizza pour la mafia le jour, hacker réputé et champion de sabre la nuit, devient le héros malgré lui d’une bataille entre réel et virtuel. Et cette phrase du roman de résonner longtemps : « Ce Snow Crash, au juste, c’est un virus, une drogue ou une religion ? »
| La horde du contrevent, d’Alain Damasio, 2006
C’est la star de la science-fiction made in France. Le gourou du techno-scepticisme, auteur de La zone du dehors ou, plus récemment, des Furtifs, monument du genre. Mais c’est aussi un écrivain hors norme, capable de triturer la langue comme personne pour servir son propos et de façonner des univers uniques, à la croisée de la fantasy et de l’anticipation.
En témoigne La horde du contrevent, sans doute l’un des plus grands chefs-d’œuvre des littératures de l’imaginaire. À une époque indéterminée, la Terre est balayée par un vent incessant, ravageur, dont on ne connaît pas l’origine, et l’espèce humaine a dû s’adapter pour survivre. Mais elle continue à croire en la possibilité d’un autre futur. Génération après génération, des expéditions d’élite s’élancent à la recherche de la source de ce souffle démoniaque. Peut-être que celle de Golgoth, Pietro Della Rocca, Sov Strochnis ou encore Caracole pourra enfin mettre un terme aux malheurs humains. Une expérience de lecture à nulle autre pareille.
| La séparation, de Christopher Priest, 2006
À l’heure où la SF s’obsède à envisager le pire du futur et ne voit plus que par le prisme de la dystopie, désormais fournisseur officiel de blockbusters hollywoodiens, l’envie nous a pris de célébrer l’uchronie. Un gros mot pour désigner ces œuvres qui dessinent un autre futur à partir d’une bifurcation significative du passé. Leur mot d’ordre : et si… ?
Pour Christopher Priest, Grand Prix de l’Imaginaire en 2006 avec La séparation, c’est une date qui va servir de pivot à la fiction. Que s’est-il réellement passé dans la nuit du 10 au 11 mai 1941, cette nuit où Rudolf Hess s’est envolé d’Allemagne pour négocier la paix avec la Grande-Bretagne ? Un tour de force narratif.
| Chien du heaume, de Justine Niogret, 2010
Il n’y en a pas que pour la science-fiction dans le palmarès du Grand Prix de l’Imaginaire. Pour preuve, en 2010, Justine Niogret, figure majeure de la fantasy, remporte le prix du meilleur roman français avec Chien du heaume, épopée chevaleresque en plein haut Moyen-Âge, dont le héros est une héroïne.
Armée de sa hache ornée de serpents, elle s’élance pour une quête des origines à travers des royaumes impitoyables, balayant impitoyablement ses ennemis et forgeant des amitiés avec des alliés aussi improbables que géniaux. Du Game of Thrones avant l’heure.
| Latium, de Romain Lucazeau, 2017
Dans ce diptyque romanesque ambitieux et virtuose, Romain Lucazeau imagine une humanité qui a succombé à l’hécatombe et un monde d’automates intelligents qui a recréé dans l’espace les bases d’une civilisation antique. Face à la menace d’une irrémédiable invasion extraterrestre, princes et princesses de ce nouveau monde se mettent à croire au retour providentiel de l’Homme.
L’alliance parfaite du space opera et de l’uchronie, peut-être l’une des œuvres les plus impressionnantes de la SF française de ces dernières années.
| Notre part de nuit, de Mariana Enriquez, 2022
Il y a trois ans, on découvrait Marianna Enriquez grâce à un livre terrifiant. Avec sa couverture ornée de L’ange déchu de Cabanel, Notre part de nuit avait sur tout lecteur qui s’en approchait un magnétisme maléfique. La noirceur d’un Cormac McCarthy, l’épouvante d’un Stephen King et la poésie gothique d’un Bram Stoker, tout ça mélangé dans un roman démoniaque où réalité et fiction se confondent.
Dans une Argentine soumise à la dictature des généraux, elle racontait le plan machiavélique de L’Ordre, une société secrète qui mettait la main sur tous les médiums pour percer le secret de la vie éternelle. Mais Juan, un des leurs, refuse que son fils, doté de pouvoirs supérieurs à la moyenne, leur serve d’arme dans cette quête malveillante. Il s’élance alors avec lui sur les routes pour échapper aux Ténèbres.
| Le ministère du futur, de Kim Stanley Robinson, 2024
L’année dernière signait le retour événement de l’une des plus grandes voix de la science-fiction contemporaine, l’Américain Kim Stanley Robinson.
Fable d’anticipation écologique, Le ministère du futur raconte la création d’une nouvelle organisation mondiale chargée de représenter les nouvelles générations dans les débats politiques et de protéger toutes les créatures vivantes pour garantir un futur viable à l’humanité. C’est brillant, percutant et… optimiste.
| L’Ost céleste, d’Olivier Paquet, 2025
Le Grand Prix de l’Imaginaire de cette année dans la catégorie roman français nous donne l’occasion de saluer le travail d’Atalante, l’une des maisons d’éditions les plus précieuses des littératures de l’imaginaire en France.
Un banquier influent, redoutable, qui sait tout sur tout le monde et conspire pour sans cesse étendre son pouvoir. Une reine contestée, chancelante, qui doit apprendre à gouverner. Entre eux, un lien secret qui peut leur profiter à tous les deux. Un thriller politique de fantasy, bien loin de la hard SF habituelle de l’auteur, mais un roman ultradivertissant.
| La maison des soleils, d’Alastair Reynolds, Grand Prix de l’Imaginaire 2025
Depuis plusieurs années, le Bélial s’évertue à rendre ses lettres de noblesse à Alastair Reynolds, un auteur anglo-saxon qui n’a pas connu le succès escompté en France. On se téléporte dans un futur lointain, six millions d’années à travers l’immensité de la Voie lactée. Purslane et Campion, deux clones immortels de la lignée Gentiane parcourent la galaxie afin d’observer les nouvelles civilisations et racontent leur périple lors de réunions extraordinaires.
Mais, alors que le prochain sommet ouvre ses portes, une embuscade a lieu et raye la lignée de la carte. Arrivé en retard sur les lieux, notre duo est le dernier espoir d’une espèce qui porte en son sein une fabuleuse histoire.