L’été est marqué par le retour de dizaines de groupes britanniques de légende. Pas étonnant : entre nostalgie, réinvention et bouleversements de la manière de consommer de la musique, l’industrie parie aussi sur des valeurs sûres et des groupes très installés.
The Kooks, Skunk Anansie, Morcheeba, Oasis, Pulp, Pete Doherty… À part leur nationalité britannique, ces artistes ont tous un point commun : ils font leur grand retour dans les charts et sur scène au printemps et à l’été 2025. Un fait qui donne l’impression étrange de revivre une époque révolue où la musique anglaise donnait le tempo de la pop mondiale. Mais, derrière ces réactivations en cascade de groupes de l’âge d’or de la britpop, une réalité assez complexe est à l’œuvre, sur fond de recomposition de l’industrie musicale.
Un contexte pourtant défavorable
Le contexte n’est pourtant a priori pas très favorable au retour de tant de groupes d’antan. Entre les débats autour de l’intelligence artificielle qui voient les droits des artistes affaiblis dans la loi et la morosité des festivals britanniques plombés par un contexte économique morose depuis le Brexit, on ne peut pas dire que l’industrie musicale anglaise soit au mieux de sa forme.
Une catastrophe dans un pays qui a fait de la musique (et particulièrement de la pop et du rock) un de ses trésors nationaux. À l’été 2024, le Guardian se demandait même si l’écosystème de l’industrie musicale anglais n’était pas en train de tout bonnement s’écrouler, dans une longue enquête assez pessimiste.

Moins d’un an plus tard, cependant, le magazine Fame constate que non seulement l’été 2025 pourrait être celui de tous les records sur scène, mais aussi que l’on assiste à un véritable revival de la britpop. Certes, la reformation du groupe Oasis (et le lancement de sa tournée mondiale) est un sacré événement à elle seul. Mais, de manière plus surprenante, de nombreux autres groupes emblématiques des années 1990 et 2000 seront sur le pont tout l’été.
Miser sur des valeurs sûres en pleine tempête
L’année a, de fait, plutôt mal commencé pour les stars actuelles de la musique anglaise, qui ont enchaîné les déconvenues critiques et commerciales. Pour la première fois depuis des années, des mastodontes de la britpop tels qu’Adele et Ed Sheeran ont eu toutes les peines du monde à atteindre les charts. En revanche, des noms surgis des décennies précédentes se sont multipliés dans les tops des ventes : Stereophonics, Robbie Williams, The Wombats, The Darkness, Franz Ferdinand ou encore les vénérables Manic Street Preachers ont vu leurs nouveaux albums connaître des succès critiques et commerciaux.
Il faut comprendre que le secteur musical britannique connaît une situation paradoxale : si les dépenses des foyers liées à la musique sont en hausse après deux décennies de crise, le modèle de redistribution des revenus est en panne. Les canaux de diffusion pour les nouveaux artistes sont saturés (et de plus en plus concurrentiels, comme le rappelle la BBC), et les places en festival sont de plus en plus rares. Les concerts et événements de taille moyenne, propices à l’émergence de jeunes musiciens, ont en effet tendance à disparaître au profit d’événements monstres réservés aux stades comme le festival de Glastonbury.
Ces raisons, ainsi que d’autres liées à la manière dont les algorithmes des plateformes comme Spotify mettent assez peu en avant les artistes émergents, à fortiori hors des États-Unis, expliquent un repli massif (chiffres à l’appui) de l’industrie musicale vers les legacy artists. Autrement dit, des artistes extrêmement populaires, identifiés par le public, et à même de concilier vente d’albums, ventes de billets de concert et diffusion dans les playlists de services de streaming musicaux. Pas étonnant, alors, de voir surgir des noms tout droit sortis des années 1990 et 2000, époque à laquelle la pop anglaise était dominante dans les charts mondiaux.
Un excellent cru
Cependant, tout n’est pas rose pour ces artistes de légende, qui ne bénéficient pas tous de la même surexposition médiatique que le vaisseau amiral Oasis. Même pour des groupes relativement bien installés, la production musicale paie de moins en moins bien en Angleterre. Et certains artistes de renoms, jadis signé sur des majors, passent par des microstructures pour sortir leurs nouveaux disques, à l’image de Morcheeba, passé de Universal au petit label indé 100% Records… Pile au moment où les revenus des artistes indépendants sont les plus impactés par la crise, notamment à cause de la baisse de concerts de taille moyenne au profit d’événements pharaoniques.
Tout n’est néanmoins pas si négatif, si l’on s’en tient à l’aspect purement musical : cette nouvelle vague des anciens de la britpop livre un cru plutôt savoureux. L’album Escape the Chaos de Morcheeba a reçu d’excellentes critiques, de même que The Bad Fire, onzième album des Écossais de Mogwai. Et même en dehors de ces formations stars, quelques artistes un peu moins centraux de la précédente vague de la pop britannique ont livré d’excellents albums en début d’année. Du metalcore des Architects à la folk de Mumford & Sons, en passant par la pop expérimentale de Self Esteem (nouveau nom de scène de Rebecca Lucy Taylor, la chanteuse de Slow Club), les bonnes surprises s’enchaînent.
Et, au fond, le phénomène n’est pas si nouveau : tous les 20 ans depuis les années 1960, l’industrie du disque en Grande-Bretagne livre une nouvelle vague d’artistes qui envahit les ondes. Cependant, la différence, c’est que le dynamisme actuel de la scène pop et rock anglaise semble fort peu s’articuler autour d’artistes émergents et trop se reposer sur ses acquis.
De quoi craindre pour le futur ? Par tout à fait, car de jeunes artistes arrivent tout de même à percer dans cette ambiance défavorable, à l’image de la chanteuse originaire de Bath, PinkPantheress, ou du jeune chanteur de folk de Luton Myles Smith. Les places pour faire partie de la prochaine vague de jeunes musiciens anglais destinés à toucher largement au-delà des frontières de leur pays paraissent donc particulièrement rares et convoitées.