
Treize ans après ses débuts, la série dystopique de Charlie Brooker continue d’interroger nos rapports à des technologies que l’on croyait fictives.
Depuis sa diffusion sur Netflix le 10 avril dernier, la saison 7 de Black Mirror rencontre, sans surprise, un large succès. Fidèle à l’ADN de l’œuvre, cette nouvelle salve aborde de nombreuses thématiques, dont les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle. Des sujets qui relevaient de la fiction en 2011, mais qui s’inscrivent de plus en plus dans notre quotidien. Voici cinq épisodes où le futur a déjà commencé.
1 Bientôt de retour, saison 2, épisode 1 : l’IA pour prolonger les morts
Dans cet épisode diffusé pour la première fois en 2013, Martha perd son compagnon Ash dans un accident de voiture. Un service numérique lui propose de recréer sa personnalité grâce aux données collectées sur les réseaux sociaux. La réplique d’Ash, d’abord textuelle puis vocale, prend enfin une forme humanoïde. Le chagrin se mue en malaise face à cette présence artificielle.
Aujourd’hui, l’idée imaginée dans la série n’a plus rien de farfelu. Des services comme Replika, lancée en 2017, ou Project December, apparu en 2024, permettent déjà de créer des chatbots à l’image de proches disparus. Amazon a même dévoilé une fonctionnalité d’Alexa capable d’imiter la voix d’un défunt à partir d’un simple extrait audio. Une prouesse technologique troublante, qui interroge notre manière de vivre – ou de prolonger – le deuil.
2 Le show de Waldo, saison 2, épisode 3 : la politique transformée en farce
Waldo, ours bleu trash et animé, naît comme une simple blague télévisée diffusée dans une émission satirique britannique. Mais face à une classe politique discréditée, il devient l’outsider préféré des électeurs. Lancé dans une vraie campagne au Royaume-Uni face à des candidats traditionnels, il capte l’attention par sa franchise agressive et son langage cru. Très vite, l’image prend le pas sur le fond et la campagne tourne au grand cirque médiatique.
À sa sortie en 2013, l’épisode semblait relever de la caricature. Aujourd’hui, difficile de ne pas y voir une préfiguration des parcours politiques de figures comme Donald Trump, réélu Président des États-Unis en 2024, ou Elon Musk, qui incarnent parfaitement cette ère du clash permanent et des buzz incessants à la TV et sur les réseaux sociaux.
3 Chute libre, saison 3, épisode 1 : la vie notée en permanence
Dans une société hyperconnectée, chaque interaction sociale est évaluée. Une mauvaise note, et c’est l’exclusion. Lacie, héroïne obsédée par son score, voit sa vie s’effondrer après une série de mésaventures qui dégradent sa réputation numérique.
Un scénario qui fait écho au système de crédit social lancé en Chine depuis une dizaine d’années. Dans plusieurs villes, des programmes pilotes ont noté les citoyens selon leur comportement, affectant l’accès aux transports, aux prêts ou à certains emplois. Si Pékin a récemment freiné les abus locaux, la logique de notation sociale, automatisée et opaque, rappelle fortement celle imaginée dans l’épisode datant de 2016.
4 Tais-toi et danse, saison 3, épisode 3 : la honte comme arme numérique
Adolescent discret, Kenny se fait piéger par un logiciel espion qui active sa webcam à son insu. Filmé en pleine intimité, il reçoit un message lapidaire qui lui ordonne d’obéir et le menace de rendre publique sa vidéo. Commence alors une série de tâches humiliantes, dictées par des hackers invisibles, qui le plongent dans une spirale de violence absurde. Sans technologie futuriste ni société dystopique, cet épisode frappe par son réalisme.
La fiction est devenue presque tristement banale. En France, les cas de « sextorsion » explosent : en 2023, plus de 6 300 signalements ont été enregistrés par la plateforme Pharos, selon le ministère de l’Intérieur – soit une hausse de 45 % en un an. Les adolescents sont les premières cibles, souvent piégés via les réseaux sociaux comme Snapchat et Instagram ou des jeux en ligne. Derrière l’écran, les maîtres chanteurs exploitent honte et isolement, transformant chaque smartphone en potentiel instrument de torture psychologique.
5 Tête de métal, saison 4, épisode 5 : les robots chasseurs quittent la fiction
Diffusé en 2017, Tête de métal dépeint un monde post-apocalyptique où l’humanité est traquée par des robots quadrupèdes meurtriers. Bella, l’héroïne, tente désespérément d’échapper à l’un de ces « chiens » mécaniques. Filmé en noir et blanc, l’épisode se distingue par un minimalisme étonnant et une tension constante, offrant la vision d’un futur où la technologie se retourne contre ses créateurs.
Loin d’un simple délire de science-fiction, l’épisode entre désormais en résonance avec l’actualité technologique. Il évoque notamment les robots quadrupèdes développés par Boston Dynamics (une entreprise américaine spécialisée dans la robotique avancée), conçus à l’origine pour des missions de secours ou d’inspection.
Mais en 2024, l’armée américaine a testé un modèle armé d’une tourelle intelligente pour des opérations de contre-drone au Moyen-Orient. De son côté, la Chine a déployé des robots similaires, équipés de mitrailleuses, lors d’exercices militaires. Ces dérives concrètes donnent au cauchemar de Black Mirror une nouvelle dimension : celle d’un futur trop proche.