Critique

Watergang, de Mario Alonso : le roman-expérience

04 janvier 2022
Par Sophie Benard
Baltija jura (Mer baltique), Natalie Levkovska, Vilnius, 2010.
Baltija jura (Mer baltique), Natalie Levkovska, Vilnius, 2010. ©Natalie Levkovska/Le Tripode

[Rentrée littéraire] Audace narrative, mise en œuvre d’une langue plurielle, décor nordique de marais littoral : le premier roman de Mario Alonso est une réussite totale.

Watergang est un roman ancré ; les deux pieds enfoncés dans la terre des polders. C’est ce paysage mélancolique et intelligent que Paul parcourt, seul, dès qu’il en a l’occasion. Paul a presque 13 ans – ce qui est décisif, puisqu’il s’est mis en tête qu’à 13 ans, il écrirait un roman. Et Watergang se révèle être le livre-projet de cet enfant silencieux, solitaire et pensif.

Paul vit avec sa mère et sa sœur à Middelbourg – petit village perdu au milieu des polders. Sa mère est caissière à la supérette du village. Son père a quitté sa famille pour l’Angleterre. Sa sœur est enceinte d’un homme qui n’endosse pas les responsabilités qui lui incombent ; mais elle est soutenue par ses amies. Dans cette normalité dont il ne se plaint pas, Paul a tout prévu – jusqu’à son pseudonyme d’écrivain : il conservera son nom de famille, mais changera son prénom pour « Jan ».

« (…) et je ne dois pas perdre de vue cette promesse que je me suis faite d’écrire un livre où seront consignés des tas de trucs qui sont des trucs de Middelbourg. »

Mario Alonso
Watergang

Watergang est un roman choral – Paul « fait parler » celles et ceux qui l’entourent, sa famille, les habitants de Middelbourg. Délicieuse audace narrative, il fait aussi parler les identités qu’il (s’)invente, les paysages-refuges qui l’entourent, le polder-miroir dans lequel il se reconnaît autant qu’il s’imagine. Même les notions et les objets se racontent, à l’image de l’« action », qui sait que Paul ne veut pas d’elle – ni pour sa vie ni pour son roman.

Watergang, de Mario Alonso. En librairie le 6 janvier 2022.

Mais que reste-t-il, quand on refuse l’action ? Il reste la nature ; les paysages humides, gris, bleus et vert foncé des polders – et les états méditatifs qu’ils permettent. Il reste à regarder, à écouter les autres ; leur inventer des identités et leur prêter sa plume.

Mario Alonso signe ainsi un texte contemplatif et intelligent, un roman à la construction aussi habile que fluide – qui ne se perd pas dans la mise en abyme complexe qu’il met en œuvre. Par l’écriture de Paul, aussi multiple que ses rôles – narrateur, personnage, écrivain, et surtout personnage-écrivain – Watergang exerce un magnétisme rare ; roman mystérieux, « en chasse de lui-même », et épris de liberté.

Watergang, de Mario Alonso, Le Tripode, 200 p., 18 €. En librairie le 6 janvier 2022.

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Article rédigé par
Sophie Benard
Sophie Benard
Journaliste