
Finalement reporté à l’été 2025, le jeu vidéo cosy Tales of The Shire met en avant la douceur du mode de vie pastoral des Hobbits. Un modèle qui n’a rien de trépidant, mais qui fait pourtant rêver.
Certains se rêvent en chevaliers ou en magiciens, bravant les dangers de la Terre du Milieu, d’autres préfèrent s’imaginer en petits Hobbits, cultivant paisiblement leur potager dans la Comté (ou le Comté, selon la traduction que vous préférez). Si les premiers ont eu droit à une flopée de jeux vidéo pour assouvir leur soif de défis, les seconds attendent depuis longtemps la non-aventure cosy dont ils rêvent : Tales of The Shire.
Annoncée depuis 2023, la sortie de ce titre a été repoussée au 29 juillet. De quoi impatienter les fans qui attendent cette version d’Animal Crossing chez Tolkien avec autant d’impatience qu’un happy hour au Dragon vert.
Dans le monde entier, de grands Hobbits trépignent en attendant de redécorer leur trou douillet et d’y inviter leurs voisins à prendre le thé. Cela peut paraître étonnant, mais, aussi paisibles soient-ils, les semi-hommes imaginés par J.R.R. Tolkien sont capables de déchaîner les passions.
Retrouvons la part de Hobbit qui est en nous
Que ce soit sur les décors de tournage de Hobbiton, en Nouvelle-Zélande, ou à la Contea Gentile, chez un Hobbit italien plus vrai que nature, les fans de ces petites créatures aux pieds velus se retrouvent par milliers tout autour du globe, formant une communauté discrète, mais active.
On les repère moins facilement que les cosplayeurs fans de Harry Potter, ils font moins parler d’eux que les joueurs de World of Warcraft, mais ils sont bien là, à vivre leur passion en profitant tout simplement d’un bon repas entre amis.

Car, de tous les personnages de fantasy, les Hobbits sont peut-être les plus proches de nous. Comme le résume, en rigolant, Jean-Rodolphe Turlin, auteur de Promenades au pays des Hobbits : « Je n’ai jamais manié l’épée comme Aragorn ni chevauché comme les Rohirrims. Par contre, il m’arrive régulièrement de prendre deux petits-déjeuners et j’aime boire de la bière. »
Malgré leur taille, leurs oreilles pointues et leur étrange pilosité, les représentants du Petit-Peuple sont finalement plus proches de l’individu lambda que les impressionnantes figures héroïques qui occupent le devant de la scène en fantasy.
« Ce sont des gens normaux, attachés à leur qualité de vie et pas forcément enclins à l’aventure, confirme l’auteur. Même Frodon, Sam, Merry et Pippin ne deviennent des héros que par la force des choses, au terme de leur voyage, et c’est donc plus facile de s’identifier à eux qu’à Aragorn, par exemple, qui est déjà un héros lorsqu’on le découvre. »
Ce phénomène est renforcé par une narration « à hauteur de Hobbit », que ce soit pour les pérégrinations de Bilbon et de son neveu, Frodon, ou par la description d’un cadre de vie idéal dans lequel chacun peut se projeter. La fameuse Comté, qui sert de décor à Tales of The Shire, a tout d’un pays de cocagne dont les particularités sont intrinsèquement liées au mode de vie paisible des Hobbits… Mais que l’on peut retrouver un peu partout dans le monde.

« On sait que c’est verdoyant, qu’il y a des collines, des forêts et des petites rivières, détaille Jean-Rodolphe Turlin. C’est un schéma qu’on peut retrouver n’importe où à la campagne, en France, en Espagne, en Italie ou en Nouvelle-Zélande. Mais, en même temps, c’est la campagne qu’a connue Tolkien. Celle des West Midlands et de l’Oxfordshire, qui était très verdoyante durant son enfance, où l’on se déplaçait en charrette, mais qui est aujourd’hui recouverte de zones pavillonnaires et d’usines… »
Ayant assisté à cette transformation traumatisante, l’auteur du Seigneur des anneaux a voulu rendre hommage, à travers la Comté, au mode de vie rural et aux paysages bucoliques qu’il a vus disparaître à la fin du XIXe siècle, sous les coups de boutoir d’une industrie britannique aussi invasive que destructrice.

Ce faisant, il a imaginé une contrée idéale et ses talents d’écrivain lui ont permis de partager son rêve avec des millions de lecteurs qui souhaiteraient, eux aussi, profiter d’un bon livre à l’ombre d’un chêne centenaire de la Comté, en attendant Gandalf. C’est là tout le génie de cet auteur qui parvient à faire résonner dans le cœur de chacun ses goûts et aspirations les plus personnelles… Au point que certains lui prêtent parfois des intentions totalement infondées.
Plus qu’un mode de vie, une idéologie ?
Avec leur amour immodéré pour la nature et leur rejet des technologies modernes, les Hobbits n’ont pas manqué de s’attirer la sympathie de partisans de tous bords. Les années 1960-1970 ont ainsi vu de nombreux mouvements antimilitaristes, écologistes et hippies se réclamer de Tolkien en brandissant le fameux slogan « Frodo Lives ! ».
Mais, de l’autre côté du spectre politique, dans les rangs du parti néofasciste MSI, on organisait à la même époque des « camps hobbits », vantant le mode de vie et les valeurs passées. Voilà qui explique pourquoi il n’est pas étonnant de voir aujourd’hui, en Italie, la Première ministre d’extrême droite Giorgia Meloni inaugurer en grande pompe une exposition sur Tolkien.
En tout cas, et même si certaines récupérations peuvent paraître plus cohérentes avec l’histoire personnelle de l’auteur que d’autres, celui-ci « n’a jamais essayé d’imposer de message », assure Vincent Ferré, professeur, traducteur et éditeur de Tolkien depuis 20 ans.

Comme le rappelle celui qui a dirigé le Dictionnaire Tolkien, réédité l’an dernier, l’artiste « a même écrit une préface à la deuxième édition du Seigneur des anneaux, au milieu des années 1960, pour dire qu’il n’y avait pas de message codé dans son œuvre et que chacun pouvait la lire comme il le voulait. Cependant, il est certain, comme l’a raconté son petit-fils Adam lors d’une conférence à la BNF, qu’il adorait “toutes les choses qui poussent”, au point de faire de l’arbre une sorte de symbole de son œuvre. »
Une fascination pour la nature que l’on retrouve également chez les auteurs qui l’ont inspiré, notamment chez William Morris. Si ces artistes pouvaient passer pour rétrogrades à une époque qui ne jurait que par l’industrie et le progrès, leur discours a une résonance toute particulière aujourd’hui. De même pour la méfiance envers les machines qui caractérise les Hobbits.

« C’est très symbolique pour Tolkien, chez qui la machine ne représente pas seulement les mécanismes, les outils ou les usines qui ravagent les campagnes, mais tous les dispositifs artificiels qui permettent d’exaucer les désirs de manière tellement rapide que ça en devient non naturel. Voilà pourquoi l’Anneau, qui suggère à chacun de ses porteurs qu’il a la faculté de réaliser instantanément ses désirs, est, pour Tolkien, le symbole même de la machine. »
Remplacez l’Anneau par l’énergie nucléaire ou l’intelligence artificielle et vous aurez une bonne raison de quitter votre petit coin de Comté afin d’aller manifester votre mécontentement avec d’autres Hobbits en colère. Cependant, si la défense de l’environnement, l’incitation à « cultiver son jardin » et le rejet des dérives technologiques pourraient faire passer les Hobbits pour les Greta Thunberg de la Terre du Milieu, il ne faut pas oublier que leur bonhomie cache des côtés plus sombres.

Les lecteurs du Seigneur des anneaux savent ainsi que certains semi-hommes n’ont pas hésité à collaborer avec les forces d’occupation de Saroumane. Et, comme le rappelle Vincent Ferré : « Il y a, certes, un côté un peu utopique dans la communauté des Hobbits telle qu’elle est reconstruite à la fin du roman, avec Sam comme maire. Mais, au début, les Hobbits ont énormément de défauts qu’on a tendance à oublier, même si Tolkien a dit, très clairement, qu’il les avait dotés d’une petite taille pour symboliser la petitesse morale et la mesquinerie de la plupart d’entre eux, qui passent leur temps à critiquer le village voisin et à parler du monde extérieur comme si ce n’était pas important. » Pour vivre heureux, vivons donc comme des Hobbits, oui, mais des Hobbits guidés par les mots du sage Gandalf face à Bilbon Sacquet : « Je crois que ce sont les petites choses, les gestes quotidiens des gens ordinaires qui nous préservent du mal… de simples actes de bonté et d’amour. »