Décryptage

Les bonnes résolutions de janvier : vrai renouveau ou injonction à la performance ?

05 janvier 2025
Par Marion Olité
Les bonnes résolutions de janvier : vrai renouveau ou injonction à la performance ?
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L’arrivée d’une nouvelle année s’accompagne immanquablement de son cortège de bonnes résolutions santé, beauté ou bien-être. Cette occasion de faire table rase ne date pas d’hier, mais elle a évolué, jusqu’à prendre la forme de défis personnels impossibles à tenir. Comment vivre ce mois du renouveau sans se créer de pressions inutiles ?

Si au cours de l’année, plusieurs marqueurs saisonniers ou liés à notre rythme de travail peuvent être l’occasion d’un bilan personnel (la rentrée de septembre, l’arrivée du printemps), la nouvelle année reste un moment privilégié pour faire le point sur sa vie, ses aspirations et regarder vers l’avenir. Une tendance qui existe depuis des millénaires et qui a revêtu des visages différents selon les époques.

Une tradition millénaire

Les historiens s’accordent pour faire remonter la tradition du Nouvel An et de ses bonnes résolutions à la civilisation des Babyloniens, 4 000 ans avant J-C. Le coup d’envoi de 12 jours de célébrations, appelées Akitu, était donné à la nouvelle Lune suivant le solstice de printemps. Cet événement, qui se tenait en mars, lançait les récoltes pour l’année à venir.

La cérémonie agraire culminait le huitième jour avec une procession rassemblant le roi de Babylone et le roi des dieux, Marduk. Fun fact : la bonne résolution la plus suivie était de rendre les outils agricoles empruntés aux voisins au cours de l’année.

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C’est sous l’empereur Jules César, en 46 av. J.-C, que le calendrier Julien introduit le 1er janvier comme le premier jour de l’année. Ce changement permet de célébrer Janus, le dieu romain des commencements et des fins, des choix, du passage et des portes. Janus est symboliquement représenté par un double visage : l’un tourné vers le passé, l’autre vers l’avenir. Appelées les laeta dies, les fêtes du 1er janvier donnent le ton de l’année à venir. Les Romains procèdent à des offrandes à Janus – brindilles, miel, dattes, objets de valeur… – et passent la journée à jouer aux dés et à se divertir.

L’arrivée de l’Église chrétienne balaie les cultes romains et la figure du Christ devient dominante. Au Moyen-Âge, les chevaliers prêtent serment d’allégeance et renouvellent leurs vœux à chaque nouvelle année.

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Les plus célèbres sont les vœux du paon ou du faisan : il s’agissait de poser ses mains sur l’animal, vivant ou rôti, et de prononcer ses vœux en accord avec les valeurs de la chevalerie (le courage, l’honnêteté et le don de soi). Après plusieurs variations au fil des siècles, le calendrier grégorien, établi par le pape Grégoire XIII en 1582, rétablit officiellement le 1er janvier comme fête du Nouvel An.

La tendance à formuler des bonnes résolutions se répand au XVIIe siècle. Lors des messes du Nouvel An, les prêtres incitent leurs paroissiens à devenir de bons chrétiens. Moins liée aux religions, mais toujours symbolique d’un nouveau départ, cette tradition s’est perpétuée jusqu’à nous.

Détox, Dry January et culte de la performance

Dès le XIXe siècle, on pointe du doigt le paradoxe des « bonnes résolutions » avec ironie. En 1802, le magazine irlandais Walker’s Hibernian écrit une série de bonnes résolutions humoristiques qui ne seront jamais tenues, comme « Les hommes d’État ont décidé de n’avoir d’autre objectif en vue que le bien de leur pays ». Mais c’est avec le tournant de l’industrialisation et du capitalisme au début du XXe siècle que cette tradition prend un tournant performatif.

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Ainsi, en ce début de XXIe siècle, on ne pense plus à rendre des objets empruntés à ses proches, mais plutôt à sculpter son corps selon ses désirs, à faire fructifier son argent, à mieux organiser son temps… Bref, à devenir la meilleure version de soi-même selon les normes en vigueur. Ces dernières années, la tendance anglo-saxonne du Dry January, qui consiste à ne pas boire une goutte d’alcool pendant tout le mois, s’est imposée en France.

Tout un symbole, dans un pays où l’alcool reste synonyme de fêtes réussies. Selon l’enquête Janover, 450 000 personnes l’ont suivi en 2024 dans l’Hexagone, et 80 % des participants disent mieux contrôler leur consommation d’alcool. Le mois de janvier est aussi le moment où les Français s’inscrivent en masse dans les salles de fitness et se lancent dans des régimes détox. Objectif : un esprit sain dans un corps sain, après les fêtes souvent gargantuesques de la fin d’année.

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Sur le papier, ces bonnes résolutions paraissent sensées et relativement aisées à mettre en place. Pourtant, le constat sur l’année reste mitigé. Différentes études montrent qu’elles ne sont que rarement tenues sur la durée. En Suède, une étude menée par l’Université de Stockholm en 2017 a montré que 55 % des personnes interrogées ont réussi à maintenir leurs résolutions pendant un an. En 2007, une étude de l’université britannique de Bristol révélait que 88 % des bonnes résolutions anglaises étaient abandonnées au cours de l’année. Ce taux d’échec s’explique par plusieurs facteurs.

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Dans notre société axée sur la performance, on a tendance à se fixer des objectifs multiples et exigeants. Cela peut être perdre cinq kilos en à peine quelques mois, aller à la salle de sport trois fois par semaine ou encore se lancer dans un régime fondé sur des interdictions. Les réseaux sociaux et leurs influenceurs parfaits, prêts à relever tous les défis le sourire aux lèvres, ont multiplié la puissance de ces injonctions. Résultat : on se demande à nous-mêmes beaucoup trop de choses en même temps et, quand on échoue, on culpabilise. Pas franchement la recette de la confiance en soi.

Motivation et altruisme

Pour comprendre pourquoi on ne tient pas ses bonnes résolutions, il faut se pencher sur les mécanismes de notre motivation. Développée dans les années 1970 puis formalisée en 1985 par Edward L. Deci et Richard Ryan, deux chercheurs en psychologie et sciences sociales, la théorie de l’autodétermination part des trois besoins psychologiques fondamentaux de l’être humain : un besoin d’autonomie (se percevoir comme étant à l’origine de ses actions), un besoin de lien social (créer des relations avec les autres, donner et recevoir de l’attention) et un besoin de compétence (exprimer et développer ses capacités).

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Quand ces trois besoins psychologiques sont réunis, l’être humain pourra faire preuve d’une motivation autonome ou intrinsèque. L’activité choisie sera pratiquée avec plaisir et pour la satisfaction qu’elle procure. En revanche, la motivation extrinsèque sera poursuivie pour atteindre un objectif fixé par des pressions extérieures. Par exemple, des réflexions sur votre corps ou la pression sociétale peuvent vous amener à vouloir perdre du poids.

Or, s’obliger à faire quelque chose pour se conformer aux attentes extérieures ne motive pas sur le long terme. Une première piste pour alléger la charge des bonnes résolutions consiste à réduire la voilure : en choisir une ou deux maximum, mais aussi changer leur formulation. Une étude américaine réalisée en 2017 prouvait en effet que les formulations type « il faut que je… », ou par la négative, « j’arrête de… », étaient plombantes pour notre motivation.

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Per Carlbring, l’auteur de l’étude, notait que près de 60 % des participants adoptant un « objectif d’approche » l’avaient réalisé, contre 47 % pour ceux qui s’étaient fixé un « objectif d’évitement ». Alors, au lieu de vous contraindre à aller à la salle de fitness, peut-être pouvez-vous vous fixer l’objectif de trouver un sport qui vous plaît vraiment en 2025 ? Et au lieu de vous lancer dans un régime drastique, peut-être pouvez-vous tenter de remplacer la sucrerie de 16 heures, qui vous booste pour la fin de journée, par des fruits ?

Dans notre société toujours plus individualiste, nos bonnes résolutions ont aussi tendance à être tournées vers nous-mêmes. Or, la qualité des liens avec nos semblables fait partie intégrante de nos besoins psychologiques fondamentaux.

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Décider de s’impliquer dans une association bénévole ou voir davantage ses proches en 2025, c’est miser sur une force trop souvent oubliée, celle du collectif. En d’autres termes, aider les autres, c’est aussi prendre soin de soi. Entre le monde du travail ultracompétitif et les injonctions multiples à posséder un corps parfait et une vie qui rentre dans le moule attendu, la plus belle rébellion consiste aussi à être véritablement indulgents envers vous-même, et comme l’écrivait récemment Mona Chollet dans son dernier essai, à résister à la culpabilisation.

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