Présenté comme la prochaine révolution d’Internet, le Web 3 ou Web 3.0 figure dans toutes les conversations. Que signifie vraiment ce terme ? Le Web 3 peut-il s’imposer comme la prochaine étape de l’Internet ? Se démarque-t-il vraiment ? Avons-nous besoin d’une troisième génération d’Internet ? Plus qu’un mot à la mode, arrêtons-nous un instant sur le Web de demain pour tenter d’en comprendre les enjeux.
Il y a tout juste 21 ans, le Daily Mail estimait qu’« Internet pourrait n’être qu’une mode passagère ». Une prévision osée, quelques mois après l’éclatement de la bulle Internet, qui fait aujourd’hui sourire. Deux décennies plus tard, Internet est incontournable et s’impose peu à peu aux quatre coins de la planète… pour le meilleur et pour le pire. Alors que les pays pauvres ou en développement rêvent d’un meilleur accès et que les plus riches pensent à leur « digital detox », tout porte à croire que nous ne serons plus jamais déconnectés.
Pendant ce temps, une application d’Internet appelé Web a tissé sa toile et s’apprête à connaître sa troisième évolution majeure. Principale application du réseau informatique mondial accessible au public, le World Wide Web a plus de 30 ans et il est encore loin d’avoir livré tous ses secrets. Avec le Web 3, il veut se réinventer, mais faut-il croire à une nouvelle (r)évolution ?
Du Web 1.0 au Web 3.0
Pour comprendre ce qu’est le Web 3 ou Web 3.0, il est nécessaire de revenir en arrière et de s’intéresser à l’histoire du World Wide Web. Au commencement, le Web 1.0 s’est imposé et le terme a fait son apparition dans les années 1990 pour définir la première version de ce que le grand public a appelé Internet. Cette version du Web était dédiée à la recherche d’informations et à la lecture de pages statiques (HTML). Il était alors impossible d’interagir et comme toute nouvelle technologie, les maladresses et interfaces douteuses étaient légion. À cette époque que les moins de 20 ans ne peuvent pas connaître, les sites Web étaient parfois « en construction », mais il serait injuste de railler ce Web qui fait aujourd’hui figure de dinosaure.
C’est lui qui a posé les bases de l’Internet que nous connaissons et développé cet intérêt pour la distribution d’informations qui fait, aujourd’hui encore, l’essence d’Internet. Sans le Web traditionnel, il n’y aurait pas eu de Web 2.0 et cette version est encore très présente dans notre quotidien. Au milieu des années 2000, le Web connaît un tournant « social » qui invite les internautes à interagir en partageant du contenu. Différent, ce Web construit par les utilisateurs offre une expérience améliorée et voit se développer les blogs, réseaux sociaux (Facebook) et autres sites de partages de vidéos ou d’images (YouTube, Flickr). Ce Web a aussi accompagné une évolution des usages avec le développement de la mobilité.
Une évolution intéressante, qui a également donné naissance à des mastodontes du numérique. L’acronyme Gafam (Google, Apple, Facebook (devenu Meta), Amazon et Microsoft) est le symbole des réussites et des dérives du Web 2.0. Ces entreprises sont aujourd’hui très critiquées et règnent sur le numérique, accompagnées d’une poignée de firmes en pleine progression (les Natu pour évoquer Netflix, Airbnb, Tesla et Uber ou encore les BATX pour les géants venus d’Asie (Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi).
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D’une approche passive (lecture seule) à active (écriture), le Web a connu une évolution significative et cette folle croissance inquiète. Alors que les plateformes ont pris l’ascendant sur l’internaute, c’est au tour du Web 3.0 de pointer le bout de son nez.
Le Web 3.0
Le terme Web 3.0 (Web3 ou Web 3) n’est pas tout à fait nouveau. La terminologie a fait son apparition il y a quelques années, notamment évoquée dès 2006 par John Markoff du New York Times ou par Jeffrey Zeldman dans un billet de blog. Cofondateur d’Ethereum, Gavin Wood a quant à lui utilisé ce terme pour la première fois en 2014 en publiant sur son blog un billet intitulé « Insights into a Modern World — What should Web 3.0 look like? (ĐApps: What Web 3.0 should look like?) ».
Également à l’origine du projet Polkadot et de la Web3 Foundation, il avait alors exposé sa vision du Web 3.0 qu’il qualifie de Web « post-Snowden », mettant l’accent sur la nécessité de ne pas confier toutes ses données et informations personnelles à des solutions centralisées. « Même avant les révélations d’Edward Snowden, nous avions compris que confier nos informations à des entités arbitraires sur Internet était lourd de dangers. Cependant, après les révélations d’Edward Snowden, nous pouvons clairement constater que les grandes organisations et les gouvernements tentent régulièrement d’étendre et d’outrepasser leur autorité », expliquait Gavin Wood dès 2014.
Pour lui, ce Web nouvelle génération intègre quatre composantes : la publication de contenu statique, les messages dynamiques, les transactions « sans confiance » et une interface utilisateur intégrée. « Chacun de ces éléments est conçu pour remplacer un aspect de l’expérience du Web que nous considérons actuellement comme acquis, mais de manière totalement décentralisée et pseudonyme », ajoutait-il. Il s’oppose ainsi aux précédentes générations et plus particulièrement au Web 2.0 qui a favorisé, par son fonctionnement centralisé, un groupe d’entreprises aujourd’hui appelé Gafam ou encore Big Five.
Une réponse aux dérives du monde numérique actuel
Le Web 3.0 revoit totalement son approche et peut, en ce sens, être perçu comme une solution possible aux dérives actuelles qui ont conduit à la centralisation du Web. Toutefois, le sujet divise et la question n’est pas encore tout à fait tranchée, le Web 3.0 étant considéré par certains comme un simple mot à la mode (ou buzzword).
On observe également que la notion de Web3 est revenue au premier plan ces derniers mois par l’intermédiaire des cryptomonnaies. Cela a d’ailleurs tendance à agacer Elon Musk sur Twitter. Il semble néanmoins acquis qu’Internet et le Web arrivent à un nouveau tournant et plusieurs technologies 3.0 ont commencé à émerger.
Fort de ce constat, on peut d’ores et déjà dresser le portrait de ce Web de demain qui a commencé à émerger à la fin des années 2010, soit environ 30 ans après le Web 1.0 et 15 ans après le Web 2.0.
La décentralisation est au cœur du Web 3.0
Le Web 3.0 se distingue par son fonctionnement décentralisé, permis par la blockchain. Comme nous l’avons évoqué précédemment, les possibilités offertes par la technologie blockchain sont mises à contribution pour redéfinir l’ossature et la manière de fonctionner d’Internet. Application phare de cette technologie, les cryptomonnaies devraient jouer un rôle essentiel dans l’émergence du Web3, au même titre que les NFT. L’intelligence artificielle, la réalité augmentée ou virtuelle, l’Internet des objets (IoT), le cloud ou encore le pair-à-pair sont également mis à contribution. De par son approche, le Web3 marque également un retour aux sources et se rapproche de la vision imaginée par Tim Berners-Lee, inventeur du World Wide Web.
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Ce renouveau permet également au Web3 de se présenter comme un Web de la confiance et de la valeur. Cela se matérialise par l’émergence d’objets numériques tels que les cryptomonnaies, les NFT ou encore les jetons de confiance. Une situation inédite – jamais le Web n’a semblé en mesure de générer autant de richesse – qui doit également redonner du pouvoir à l’individu. En contribuant au système, les utilisateurs seront rémunérés et pourront posséder une partie de l’actif dans un environnement sécurisé. À l’inverse, les géants du numérique devraient théoriquement perdre du pouvoir.
Ces derniers apparaissent comme les grands perdants du développement du Web3. En effet, cette nouvelle itération doit renforcer le contrôle de l’individu sur ses données personnelles et ainsi mettre fin à leur exploitation et leur monétisation par de grandes entreprises. Sur le papier, les promesses du Web 3 sont donc alléchantes, mais les géants du numérique n’ont pas dit leur dernier mot.
Metaverse vs Web 3.0
Voici deux termes qui ont agité la toile cette année et cela devrait continuer en 2022. Le Web 3 et le metaverse présentent de nombreux points communs, si bien que la question est de savoir si les deux visions s’opposent ou si les promesses du metaverse font partie intégrante du Web 3.0. Il apparaît que le futur d’Internet passera par ces deux éléments qui ont tendance à se compléter.
Alors que le Web 3.0 séduit sur de nombreux points (décentralisation, sécurité, propriété des données, liberté, cryptomonnaies, souveraineté numérique…), le metaverse ressemble pour l’heure à une réponse des géants du Web 2.0. Sous l’impulsion de Meta (ex-Facebook) et en attendant les actions d’acteurs historiques comme Microsoft ou Apple, le metaverse a l’ambition de repousser les limites du monde physique pour permettre au réel et au virtuel de se confondre.
Une promesse qui peut encore aujourd’hui paraître floue, mais qui s’impose déjà comme la priorité de Mark Zuckerberg. Le fait que des grands groupes de la tech investissent semble confirmer que le metaverse est l’une des réponses de ces sociétés au Web 3.0 et à son fonctionnement dématérialisé. La puissance de frappe de ces géants ne peut être sous-estimée, si bien qu’il est d’ores et déjà acté qu’il faudra compter avec le metaverse dans les années à venir. L’avenir d’Internet pourrait alors davantage ressembler à un Web 2.5, plus transparent et plus intelligent que l’actuel, mais toujours entre les mains des mêmes groupes.
Les limites du Web 3.0
Le metaverse n’apparaît pas comme la seule menace pour le Web 3.0. Ce dernier se cherche encore et certaines dérives pourraient freiner sa progression, comme les arnaques aux cryptomonnaies, aux NFT ou encore celles liées aux activités en ligne profitant de l’anonymat (blanchiment d’argent, financement du terrorisme, harcèlement, extrémisme…). Ces éléments sont au cœur de l’actualité et laissent à penser qu’un encadrement par les gouvernements sera nécessaire pour aider le Web de demain à grandir.
Le Web 3.0 comme le metaverse n’en sont qu’à leurs balbutiements. Les prémices laissent deviner des avancées majeures qui façonneront le Web et le monde de demain. Proche sur le plan technique, ces visions présentent des philosophies différentes et il y aura, peut-être, assez de place pour plusieurs futurs d’Internet.