En 2022, la croissance de la Chine a été la plus faible depuis 1976. Quel impact sur la tech pour les années à venir ? Le pays va devoir affronter de sérieux défis.
Le Covid a bon dos. Les problèmes de la Chine ont commencé bien avant : « Depuis 2019, la Chine est en perte de vitesse. Plusieurs éléments concomitants jouent en sa défaveur : un pays vieillissant, une perte de compétitivité, une corruption très présente et un secteur immobilier, qui pèse pour près d’un tiers du PIB, au bord du gouffre », nous résume Emmanuel Véron, spécialiste de la Chine contemporaine et associé à l’Inalco (Institut national des langues et civilisations orientales).
Le pays de Xi Jinping possède la plus grande population de personnes âgées au monde. En 2019, 254 millions de Chinois étaient âgés de 60 ans et plus. D’ici à 2040, ce chiffre devrait grimper à 402 millions environ, soit 28 % de sa population, selon l’Organisation mondiale de la santé. En parallèle, son économie a enregistré en 2022 sa croissance la plus faible depuis 1976, avec une progression de seulement 3 % de son PIB, selon le Bureau national des statistiques. Bien loin de l’objectif de 5,5 % fixé par le gouvernement en mars de l’an dernier.
Si on ajoute à cela l’épidémie galopante de Covid depuis la levée soudaine des restrictions début décembre 2022, la situation est pour le moins compliquée dans le pays. Et c’est d’autant plus vrai pour le secteur high-tech, particulièrement chahuté.
Une perte d’attractivité de la Chine
Alors que, depuis 40 ans, la Chine est le premier fournisseur de l’économie mondiale, les premiers signaux d’une perte d’attractivité du pays ont commencé à émerger depuis 2019 et se sont accélérés avec la pandémie. Dans le secteur de la tech, Apple, qui faisait fabriquer jusqu’alors une grande partie de ses produits là-bas, a entamé une diversification de sa chaîne d’approvisionnement. Les produits « made in China» d’Apple sont passés de 44-47 % du total en 2019 à 36 % en 2021.
Et, selon le DigiTimes, le géant américain aurait l’intention de fabriquer la moitié de sa production d’iPhone en Inde d’ici à 2027. « L’économie chinoise, y compris en matière de tech, ne va pas s’effondrer du jour au lendemain, mais il est vrai qu’on assiste à un mouvement de “decoupling”, c’est-à-dire un dédoublement des chaînes d’approvisionnement. L’Inde, le Vietnam, la Thaïlande, l’Indonésie et même les Philippines en sont les premiers bénéficiaires, car l’environnement est plus favorable en Asie du Sud-Est », précise Emmanuel Véron.
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Une politique « zéro Covid » qui a accéléré le mouvement
En retard en matière d’innovation, surtout concernant les semi-conducteurs, la Chine est aussi victime de sa politique très stricte anti-Covid. Dans un sondage mené par Bain & Company en juin 2022, la moitié des patrons d’entreprises américaines s’est plaint de cette politique « zéro Covid » en Chine et de l’impact négatif sur leur activité.
La quarantaine de Shanghai pendant deux mois, empêchant d’exporter les containers de produits électroniques, a notamment été pointée du doigt pour justifier en partie la faiblesse des rapports financiers de l’an passé, même si ce n’est pas la seule cause.
« Les conditions très contraignantes en Chine, associées aux fortes tensions avec les États-Unis au sujet de Taïwan, ont provoqué une bascule chez les industriels fin 2021. Ils ont décidé de ne plus mettre tous leurs œufs dans le même panier, mais de diversifier les lieux de production. C’est d’autant plus facile que l’Inde, par exemple, possède un vrai tissu industriel, un bon niveau de R&D et une main d’œuvre diplômée adaptée aux besoins des industriels de la Tech », explique le spécialiste de la Chine.
Électronique grand public : les difficultés s’accumulent
Inflation qui s’installe, problèmes d’approvisionnement en semi-conducteurs et un change euro-dollar défavorable… l’année 2022 a cumulé les embûches. « Il ne faut pour autant pas tout mettre sur le compte de la conjoncture, les marchés des smartphones et des ordinateurs sont en décélération et même en recul, souligne Thomas Husson, Vice Président, Principal Analyst du cabinet de conseil Forrester. Nous sommes dans une phase d’atterrissage un peu dure et ce n’est pas que de la faute des difficultés d’approvisionnement. »
Dans ces conditions, sortir de l’interdépendance États-Unis/Chine sera d’autant plus compliqué et ne pourra se faire que de manière progressive, pour ne pas détériorer davantage les relations. « Nous sommes entrés dans une zone de guerre froide technologique depuis les décisions de Trump, notamment l’interdiction des équipements et services télécoms fournis par Huawei. Le tour de vis politique du gouvernement de Xi Jinping a confirmé aux industriels l’importance de diversifier leur chaîne d’approvisionnement. Pour autant, la Chine reste le premier marché d’Apple pour l’iPhone, par exemple. Impossible dans ces conditions de se couper totalement de ce pays et de prendre le risque d’être boycotté », détaille Thomas Husson.
Quel impact sur nos produits électroniques ?
En dehors de ces conditions géopolitiques et macro-économiques, le déclin de l’attrait de la Chine pour la production tech va-t-il avoir un impact concret sur la disponibilité des appareils, voire sur leurs prix ? Car il n’y a pas qu’Apple qui a entamé ce mouvement de « decoupling ». D’autres marques s’activent aussi dans ce sens, comme la société informatique Dell, qui envisage de sortir 50 % de sa production de Chine d’ici 2050, selon Nikkei Asia and Taiwan.
« 2023 sera l’année du retour à la normale dans la tech. »
Thomas HussonPrincipal Analyst, Forrester
« On risque d’avoir encore quelques semaines, voire mois, avec des pénuries sur certains composants, mais 2023 sera l’année du retour à la normale dans la tech, analyse Thomas Husson. Pour ce qui est des prix, c’est très difficile à dire à l’heure actuelle. Depuis quelques années, on parle de la hausse progressive des coûts de fabrication en Chine. C’est ce qui a amené certains industriels à se tourner vers le Vietnam, par exemple. L’inflation aura aussi son rôle à jouer cette année. Surtout, déplacer une partie de la production en dehors de la Chine implique des enjeux très complexes (composants, assemblage, logistique…) sur des volumes importants qui nécessitent une longue préparation. Même sur le déclin, le marché du smartphone a tout de même représenté 1,2 milliard d’unités en 2022. »
Des stratégies à 5 ou 10 ans pour les industriels
Si des acteurs comme Apple ont initié un désengagement progressif de la Chine depuis quelques années, la décision ne date pas de 2019. « On parle ici d’enjeux à long terme avec des stratégies mises en place sur cinq à dix ans. Bien sûr, ces plans font l’objet d’ajustements en fonction des bouleversements politiques, comme la guerre en Ukraine ou les tensions entre la Chine et Taïwan, mais les géants de la tech préparent depuis bien longtemps ces mouvements. L’Inde est clairement le prochain grand bassin de consommateurs pour des smartphones haut de gamme. Il est donc logique qu’Apple cherche à produire localement, car il y voit un relai de croissance important pour ces prochaines années », note Thomas Husson.
« L’Inde est clairement le prochain grand bassin de consommateurs pour des smartphones haut de gamme. »
Thomas HussonPrincipal Analyst, Forrester
Le géant américain se montre aussi bien décidé à jouer la carte de l’indépendance et de l’intégration verticale pour être moins dépendant d’acteurs externes. Outre ses propres processeurs M1 et M2, il compte profiter du decoupling pour ramener dans son escarcelle des compétences stratégiques, comme le développement de ses propres écrans tactiles ou encore de ses puces 5G et wifi, rapporte l’agence Bloomberg.
Objectif : posséder le savoir-faire technologique pour maîtriser peu à peu les composants essentiels de ses produits.
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La Chine éternelle ne raisonne pas sur le court terme
« Il y a quelque chose que l’on ne comprend pas toujours en Occident, c’est que la Chine réfléchit sur un temps bien plus long que nous. Pour eux, ce qui compte, ce n’est pas 2025 ou 2030. Le pays est focalisé sur 2049. À cette date, la Chine fêtera le centenaire de sa République populaire. Elle doit, d’ici là, réaliser le “Rêve Chinois”, c’est-à-dire retrouver son statut de numéro 1 sur la scène mondiale », rappelle l’analyste. C’est le grand projet défendu par le président Xi Jinping depuis son arrivée à la tête du Parti communiste fin 2012. « Et, pour cela, s’il le faut, l’économie chinoise sera mise au pas. »
La Chine ne se focalise donc pas les quelques années de marasme économique qui pourraient avoir lieu d’ici à la fin de la décennie. Elle voit déjà plus loin. Cela ne l’empêche pas de mettre les bouchées doubles en termes d’investissement pour rattraper son retard dans le domaine des semi-conducteurs vis-à-vis de Taïwan, de la Corée du Sud ou encore du Japon.
Elle concentre aussi ses efforts sur les véhicules et batteries électriques, deux marchés sur lesquels elle est largement dominante. « Reste deux secteurs technologiques qui devraient prospérer ces prochaines années et dans lesquels le pays est à la peine : les supercalculateurs et l’intelligence artificielle. En la matière, les États-Unis et Taïwan sont loin devant, mais la Chine a les moyens de réagir », conclut Thomas Husson.