Dans Finalement, le dernier film de Claude Lelouch, Kad Merad incarne Lino, un grand avocat qui décide de tout plaquer du jour au lendemain pour sillonner la France. À l’occasion de la sortie en salle du long-métrage, ce 13 novembre, L’Éclaireur a rencontré le cinéaste et l’acteur.
Claude, comment le projet de Finalement est-il né ?
Claude Lelouch : Ce projet est né de mon 50e film, puisque chaque film invente celui d’après. J’ai passé ma vie à observer les hommes, les femmes et les époques que j’ai eu la chance de traverser, et mes films sont le résultat de mon intime conviction. J’ai voulu faire un film sur aujourd’hui, sur cette période incroyable que nous sommes en train de traverser. Nous avons tous les outils pour fabriquer un monde nouveau ou précipiter la fin du monde. Il y a donc un grand suspense. C’est d’ailleurs le suspense de ce film qui parle d’amour, d’amitié, de santé, de la famille, d’argent, de tout ce qui fait qu’on n’a pas le temps de s’ennuyer.
« J’ai besoin que mes héros soient aussi des héros dans la vie. Sinon, j’ai le sentiment de tricher. »
Claude Lelouch
Kad, qu’est-ce qui vous a intéressé dans la partition de Lino ?
Kad Merad : Je n’étais pas prévu pour ce film et, quand ça commence comme ça, ça m’intéresse [Rires] ! Claude avait pensé à tous les acteurs, sauf à moi, donc ce challenge m’intéressait encore plus ! Puis, quand la rencontre s’est faite et que Claude Lelouch m’a fait passer le scénario, j’ai évidemment lu très vite, avec beaucoup d’enthousiasme. J’ai adoré le personnage de Lino, dont je me sentais très proche. Entre le plaisir de travailler avec Claude et ce rôle, je ne pouvais qu’accepter. C’est magnifique pour un acteur, c’est comme un cadeau en fait.
Quel genre de réalisateur est Claude Lelouch sur un tournage ?
K. M. : Comme il est à côté, ça me gêne, parce que c’est un vrai tyran… Tout le monde sait qu’il terrorise ses acteurs. J’ai beaucoup souffert, j’ai eu beaucoup de mal à m’en remettre. Heureusement, j’ai suivi une cure de désinfection, je dirais même une “déloulouchisation” [Rires] ! Je plaisante bien sûr, tout ce que je dis est faux. Claude est, en réalité, quelqu’un de très fidèle. C’est pour cette raison que l’on retrouve toujours les mêmes acteurs et actrices dans son cinéma.
Les gens adorent travailler avec Claude, parce que c’est le réalisateur qui vous redonne envie de jouer. Il y a beaucoup de plaisir, beaucoup de jeu, beaucoup d’amusement et c’est très agréable. Malgré cela, à la fin, on a un film avec beaucoup de qualités, de messages, d’intensité.
Claude, quelle atmosphère voulez-vous insuffler à vos tournages ?
C. L. : Je me suis aperçu très vite qu’avec un sourire j’obtenais plus de choses qu’en faisant la gueule [Rires]. Je suis un homme positif et je n’aime filmer que les choses que j’aime, donc j’ai besoin de filmer des hommes et des femmes que j’aime devant la caméra, mais aussi de les avoir derrière la caméra, dans mon équipe technique. J’ai besoin que mes héros soient aussi des héros dans la vie. Sinon, j’ai le sentiment de tricher.
« J’ai besoin qu’on croie aux histoires que je raconte. J’aime tout au cinéma, mais dès que j’arrive dans un film et que d’un seul coup je réalise que c’est du cinéma, ça ne m’intéresse plus. »
Claude Lelouch
Si vous voulez, j’ai essayé de filmer toute ma vie des gens avec qui j’avais envie d’être ami, ou que j’avais envie de prendre dans mes bras. J’ai essayé de faire aimer la vie aux gens, parce qu’elle est magique, elle est merveilleuse. C’est une course d’emmerdements au pays des merveilles, mais les merveilles l’emportent toujours sur les emmerdements. C’est ce côté positif que je recherche. Avec Finalement, j’ai essayé de faire un film qui parle d’aujourd’hui, mais avec beaucoup de tendresse et d’humour. Je pense qu’on rit beaucoup, et pour les bonnes raisons, dans mon film. On a essayé de ne pas ricaner.
Qu’est-ce que ce 51e film signifie pour vous aujourd’hui ?
C. L. : J’ai pris beaucoup de plaisir à faire ce 51e film. Je l’ai fait à la fois comme un dernier film et comme un premier film. J’avais l’excitation des débuts, car je n’en finis pas de m’émerveiller.
Parlons de Lino, le personnage principal que vous incarnez, Kad. C’est un héros double, à la fois grand avocat qui a le sens de la répartie et vagabond qui envoie tout balader. Comment arrive-t-on à trouver le personnage quand il y a deux personnalités qui s’opposent ?
K. M. : C’est justement mon secret ! Je peux pas tout vous dire parce qu’il y a des choses qui ne s’expliquent pas. Surtout, il n’y a pas beaucoup de réflexion. Votre question est presque plus technique que la réponse, finalement. Je dois avouer que je n’ai pas de méthode. Il n’y a pas de préparation, je n’ai pas cherché à regarder des avocats. Je suis d’ailleurs très vite rentré en contact avec Lino et je l’ai très bien accueilli. Je me suis aussi laissé embarquer par Claude. Vous pouvez être sûr que vous êtes toujours bien orienté. Il n’y a pas de direction d’acteur. Claude dit souvent qu’à partir du moment où il choisit un acteur, c’est que c’est un bon acteur. On ne va pas demander à un acteur de marcher comme ça ou de prendre sa tasse à café de cette manière… En revanche, il y a des intentions, il y a des émotions. Peut-être que là où Claude agit, c’est sur la force de l’émotion ou de l’intensité de jeu, mais on a été très libre de jouer comme on le voulait, comme on le sentait. C’est une façon de diriger un acteur, bien sûr, mais c’est une direction très libre.
Pourtant, Claude, vous hésitiez à donner le rôle de Lino à Kad au départ ?
C. L. : J’avais en tête de lui proposer le rôle du meilleur ami. En réalité, j’avais envie de lui faire choisir, en sachant qu’il allait prendre le bon. Je me suis dit : “S’il ne prend pas le rôle de Lino, c’est qu’il y a quelque chose qui ne va pas.” C’était une façon aussi d’ouvrir les portes. Je n’aime pas les prisons, surtout pas dans mon travail. On ne dirige pas les bons acteurs : on les dose, on les coache, on essaie de les faire sauter un peu plus haut que d’habitude. D’ailleurs, j’aime bien quand on me dit : “Il n’a jamais été aussi bien.” À ce moment-là, je suis très content. Je suis là pour leur faire battre des records, et surtout pour qu’ils restent crédibles. J’ai besoin qu’on croie aux histoires que je raconte. J’aime tout au cinéma, mais dès que j’arrive dans un film et que d’un seul coup je réalise que c’est du cinéma, ça ne m’intéresse plus.
C’est assez paradoxal d’avoir cette vision du cinéma, non ?
C. L. : Je sais ! Mais je suis un metteur en vie et je travaille avec un grand scénariste qui s’appelle “La vie”. Je suis ravi, parce que c’est le plus grand scénariste du monde. Il est très chouette avec moi et il me met sur des pistes incroyables. Toutes les histoires que j’ai racontées sont des histoires que, quelque part, j’ai croisées. Pareil pour les dialogues, je les ai entendus. Je suis un vrai reporter de mon temps avec ma caméra. Il n’y a pas de recette. J’ai fait 51 films et 51 fois je suis retourné à l’école. On passe sa vie à apprendre. Alors, tant qu’on a envie d’apprendre, on continue à faire des films. Je viens de faire ce 51e long-métrage, mais j’ai encore envie d’apprendre des choses, alors je vais en faire un 52e !
Kad, vous jouez de la trompette et vous chantez, notamment dans une formidable scène avec Barbara Pravi. Comment avez-vous accueilli ce challenge ?
K. M. : Je vais peut-être vous paraître un peu léger, mais je prends beaucoup les choses avec légèreté et distance. Je ne sacralise pas, ni le fait de chanter ni celui de jouer d’un instrument. Vous savez, un jour, je me suis retrouvé à chanter avec Johnny Hallyday, celui qu’on appelait le patron. Je n’ai même pas réfléchi à ce que j’allais faire. Je ne me suis mis aucune pression, je ne me mets aucun challenge. Bien sûr, il faut que l’on soit capable de chanter les chansons. Celles-ci étaient, je pense, vraiment faites pour moi en termes de tonalité et de style de chant. Puis, Claude m’a mis une trompette dans les mains. Il ne vous donne pas le choix. C’est comme instantané. Je ne savais pas que j’allais jouer autant de trompette, mais comme il a vu que je me débrouillais bien, il m’a beaucoup filmé en train d’en jouer. Ce n’était pas un challenge, car c’est génial d’accueillir des vraies choses, formidables à faire, parce que je n’avais jamais fait ça auparavant.
Un dernier mot sur l’une des forces du film, la présence presque méta de Lino Ventura. Que représente cet acteur pour vous ?
C. L. : Tous les acteurs qui sont passés dans mes films font partie de ma famille. Ce sont des gens que j’ai aimés comme on aime ses enfants. Lino Ventura, c’est la force du cinéma, c’est une force tranquille. Et cette force tranquille, je la retrouve chez Kad Merad. Il incarne d’ailleurs dans le film le fils de Lino Ventura et de Françoise Fabian, qu’ils ont eu pendant La Bonne Année [un autre film de Claude Lelouch datant de 1973, qui voyait Françoise Fabian et Lino Ventura partager l’affiche, ndlr]. J’ai trouvé que c’était un point de départ formidable. J’avais envie de voir la descendance. Il aurait pu être un voyou, mais en fait, Lino, dans mon film, préfère les défendre. C’est formidable. Comme quoi, la vie a toujours raison !
K. M. : Je suis de la génération des Tontons flingueurs, de L’Aventure c’est l’aventure et de Touchez pas au grisbi… Tous les grands films français de l’époque. Pour moi, Lino Ventura fait partie de ces grands acteurs auxquels j’ai voulu ressembler toute ma vie, parce que c’est une espèce de force tranquille, physique, qui était aussi très charmant. Il avait un style unique. C’était un acteur unique. En plus, au départ, ce n’est pas un acteur, mais un catcheur, fils d’immigré aussi ! Nous avons un peu le même parcours, lui et moi ; des gens qui sont de plusieurs origines. C’est toujours intéressant de s’identifier à des acteurs comme ça.