Depuis 15 ans, le soulslike est un genre à part. Élitiste et populaire, il se caractérise par un aspect exigeant, mais juste, et fait école depuis les premiers Souls du studio FromSoftware, jusqu’à une certaine surreprésentation.
Mais qu’est-ce que le « soulslike » ? On peut simplement le résumer en une courte définition : c’est un jeu de rôle orienté action (ou « action-RPG« ) proposant une difficulté élevée, un certain niveau d’exigence, mais qui pousse le joueur à devenir meilleur dans son organisation et son habileté face à une adversité impitoyable. Il puise ses origines dans la série des Souls créée par FromSoftware en 2009 avec Demon’s Souls, et rendue ultrapopulaire à partir de 2011 avec la trilogie des Dark Souls.
Les deux dernières créations du studio ont d’ailleurs remporté le titre prestigieux de jeu de l’année en 2019 (Sekiro: Shadows Die Twice) et 2022 (Elden Ring), et on ne compte plus les innombrables titres s’en inspirant, au point de surreprésenter le genre. C’est dans ce contexte que paraît Enotria: The Last Song, soulslike assumé, des Italiens de Jyamma Games, désireux d’utiliser leur propre histoire et leur folklore pour se démarquer de la masse.
L’école de l’exigence
Lorsque FromSoftware publiait Demon’s Souls en exclusivité sur PlayStation 3 en 2009, ce jeu de rôle d’une difficulté assez redoutable a reçu les éloges de la presse spécialisée et un excellent retour des joueurs, mais n’a jamais fait autant de bruit que son cadet de deux ans. Dark Souls, paru également sur Xbox 360 et surtout sur PC, a marqué une génération entière la même année qu’un certain Skyrim – excusez du peu.
Après le succès indiscutable de toutes les productions du studio, et surtout Dark Souls III (2016), un genre était né : le « souls-like » (ou « soulslike »). Depuis, FromSoftware a fait école auprès de nombreux développeurs et d’innombrables titres comparables (ou utilisant certaines mécaniques propres au genre) ont vu le jour, les metroidvania développant même leur essence en y apportant des éléments inspirés de Dark Souls, comme Hollow Knight ou Blasphemous.
Concrètement, un soulslike doit répondre à plusieurs critères : il faut que ce soit un action-RPG, peu importe que son monde soit ouvert ou non (mais plus labyrinthique il est, mieux c’est), où la mort guette à chaque combat. Même contre l’adversaire en apparence le plus faible et anodin. Dans un jeu de ce type, prendre la confiance est le pire risque pour le joueur, qui doit constamment rester sur ses gardes, analyser les mouvements de sa proie et se rappeler qu’il est également celle de la créature qui lui fait face.
Gagner de l’expérience au gré des affrontements est un plus, mais comprendre le comportement de l’ennemi et s’y adapter pour réagir en conséquence est le plus important, et le moindre combat remporté est gratifiant, du tout premier monstre jusqu’au plus redoutable des boss cachés.
Cet esprit général a remporté l’adhésion d’innombrables joueurs et donc de développeurs soucieux de se glisser dans la brèche pour profiter de l’engouement, tant qu’il est là. Et il faut l’avouer : développer un bon soulslike, c’est la garantie d’un certain savoir-faire en termes de conception de jeux vidéo.
Ainsi, de Nioh à Lies of P, en passant par Wo Long: Fallen Dynasty, Remnant ou encore Lords of the Fallen, nombreux sont les action-RPG à avoir opté pour la philosophie Souls, sans pour autant manquer de caractère. Mieux encore : des titres résolument grand public ont même pris le parti d’en exploiter des mécaniques spécifiques, comme le système de feu de camp servant de point de sauvegarde bienvenu… mais ressuscitant tous les ennemis de la carte – parce que sinon, ce n’est pas drôle.
Star Wars Jedi: Fallen Order avait opté pour ce parti pris loin d’être évident à intégrer dans une grosse production de cette envergure. Mieux encore : ce choix avait été salué et, de manière générale, la presse et les joueurs ont eu tendance à louer les titres misant sur cet état d’esprit au sein de leur gameplay.
Indépendants, mais très dépendants d’un genre
Malgré tout, le genre soulslike est son pire ennemi. À l’instar du metroidvania ou du roguelite, il est très prisé des développeurs indépendants, parfaitement conscients de leur nécessité de séduire un public très spécifique de joueurs un peu élitiste et désireux de s’offrir une expérience de jeu à la fois exigeante et intelligente. Steam fait ainsi face depuis des années à une quantité impressionnante de titres se revendiquant « inspirés des Souls« , et de qualités très inégales.
Dans cet océan de créations pas toujours inspirées, développer un action-RPG orienté soulslike est donc à la fois un gros risque, vu qu’il est très difficile de se faire remarquer, mais aussi un pari très séduisant, car la popularité du genre demeure intacte, et un nouveau représentant d’excellente facture a toutes les chances de plaire au plus grand nombre.
C’est dans ce contexte que le studio indépendant italien Jyamma Games a décidé de se lancer. Pour les citer directement, ces développeurs milanais décrivent leur première production majeure, après quelques jeux mobiles, comme « un soulslike AA+ conçu pour les hardcore gamers les plus exigeants ».
De quoi franchir un cap et passer du relatif anonymat d’expériences destinées aux smartphones au jeu sur console et PC, avec un budget suffisamment conséquent pour se rendre sur des salons aussi importants que le Tokyo Game Show ou la Gamescom (à Cologne) et faire tester Enotria: The Last Song aux journalistes et créateurs de contenu du monde entier.
Leur objectif : ne pas être « juste » un énième soulslike sympathique, mais déjà vu et revu, et apporter quelque chose de neuf à ce genre devenu presque une solution de facilité pour de nombreux développeurs qui tentent d’exister au sein d’une industrie aussi impitoyable que les univers de FromSoftware.
Enotria, le nouveau visage du soulslike ?
Contrairement à tout un tas de développeurs indépendants, Jyamma Games est très ambitieux et rêve d’incarner le renouveau d’un genre. Enotria se déroule dans un univers fictif basé sur le folklore italien et son gameplay se base sur un système de masques modifiant considérablement la manière de jouer. Inspiré de la célèbre commedia dell’arte, genre de théâtre apparu durant la Renaissance italienne avec des acteurs masqués, ce soulslike intègre également une mécanique particulière basée sur un pouvoir surnaturel.
Appelée Ardore, elle permet de modifier la réalité environnementale pour révéler des secrets, explorer l’univers du jeu différemment et adopter de nouvelles stratégies durant des combats évidemment difficiles. Dans Enotria, le monde est prisonnier d’une malédiction sous forme de pièce de théâtre permanente, le Canovaccio. Le joueur incarne un « sans-masque », libre de ses actions, car non assigné à un rôle, ce qui lui offre la maîtrise de sa destinée face aux Dramaturges, les antagonistes à l’origine de ce chaos.
À travers trois régions différentes, le joueur est amené à terrasser des ennemis et à récupérer les masques qu’ils portent pour les incarner, récupérant leurs forces, mais aussi leurs faiblesses. L’idée est de diversifier au maximum l’expérience de jeu, accentuant bien sûr la notion de jeu de rôle, sans la dissocier de son étiquette soulslike.
Jyamma Games promet ainsi « plus de 150 millions de combinaisons de build différentes » (sic), des compétences uniques par dizaines, 120 armes et plus d’une centaine d’ennemis, pour des dizaines d’heures de jeu. En résumé, le studio basé en Lombardie vise très haut et croit fort en sa capacité à renouveler un genre presque bouché.
Il y a fort à parier que l’originalité de son propos, avec son système de masques aussi complexe qu’ingénieux et qui diversifie énormément l’expérience de jeu, en fasse un potentiel nouveau classique, si l’ensemble du gameplay s’en trouve juste et équilibré. Avec Enotria, il est tout à fait possible que le genre des soulslike, qui semble aussi surexploité que toujours très inspiré, se trouve une nouvelle référence.
À travers l’ingéniosité de son système de masques, l’action-RPG de Jyamma Games a tous les atouts nécessaires pour briller de mille feux. Si pour certains studios, concevoir un jeu de ce type relève de la solution de facilité, pouvant lui assurer un intérêt rapide de joueurs chevronnés, d’autres y voient plutôt l’opportunité d’étaler leur créativité et d’apporter un vent de fraîcheur à un style que trop peu font évoluer. Enotria: The Last Song pourrait bien être de cette trempe, et il nous tarde de voir à quel point Jyamma Games a réussi son pari.
Enotria: The Last Song, le 19 septembre sur PC et PlayStation 5.