Dans le manga Uchujin Mumu sorti ce 21 août, des aliens un peu idiots se retrouvent bloqués sur Terre. Cependant, le motif du visiteur de l’espace complètement crétin n’a rien de neuf. C’est même un classique de la pop culture.
Mumu, un extraterrestre maladroitement déguisé en chat, a crashé son vaisseau spatial dans la fenêtre de la jeune Sakurako, une étudiante introvertie. Son peuple a vécu une tragédie : lors d’une récente guerre civile, les personnes cultivées, les ingénieurs et les savants ont été massacrés, ne laissant « que des idiots derrière eux ». Mumu cherche donc à apprendre le fonctionnement d’un certain nombre d’objets du quotidien pour augmenter sa maigre culture générale et essayer de réparer son vaisseau.
Le manga Uchujin Mumu, dessiné par Hiroki Miyashita depuis 2019 et disponible en France depuis le 21 août aux éditions Mangetsu, est à la fois une excellente comédie et une œuvre très instructive s’attardant avec moult détails sur le fonctionnement mystérieux des réfrigérateurs, micro-ondes et autres climatiseurs. Mais c’est aussi un titre qui reprend un vieux motif de la pop culture : l’extraterrestre qui, loin d’être belliqueux et surpuissant, se révèle un inoffensif imbécile.
Les idiots de l’espace : un motif récurrent de la science-fiction
C’est une idée qui remonte quasiment aux origines de la science-fiction. Comme le pointe un dossier de la journaliste Zaria Gorvett pour la BBC, la littérature du XIXᵉ siècle grouillait déjà d’espèces extraterrestres bizarres, dysfonctionnelles et pas particulièrement évoluées.
Mais il s’agissait alors de figures essentiellement « barbares », proches de monstres mythologiques. C’est plutôt avec la science-fiction parodique et comique qui prend son envol dans les années 1950 et 1960 que l’on voit débarquer une bande de joyeux idiots de l’espace dans la fiction.
C’est par exemple le cas des visiteurs de Martiens, Go Home, un roman de Fredric Brown écrit en 1955 et présentant une invasion orchestrée par des habitants inoffensifs de la planète rouge, mais également farceurs, pénibles, intrusifs, bruyants et absolument invulnérables. Obligés de vivre en compagnie de ces mauvais génies multipliant les hurlements, les blagues douteuses et désormais privés de la moindre forme d’intimité, les humains tentent de s’organiser et atteignent accidentellement, en pleine guerre froide, la paix mondiale.
Le motif de l’extraterrestre un peu gauche, gaffeur ou visitant la planète avec une candeur enfantine surgit alors régulièrement dans d’autres médias, donnant lieu à plusieurs clichés comme l’Amusing Alien ou encore l’Innocent Alien. Des traits que l’on retrouve par exemple dans le personnage d’Oxo dans La Soupe aux choux, roman français de René Fallet paru en 1980 et adapté à l’écran avec le succès que l’on connaît aujourd’hui.
Comme un poisson en dehors du bocal
Il faut dire qu’il s’agit d’un moyen particulièrement efficace de produire de la comédie : on place un individu un peu simplet dans un contexte qu’il ne comprend absolument pas, et on multiplie les instants loufoques. Une situation qui permet de s’autoriser toutes les outrances et les gags sous prétexte qu’ils sont perpétrés par une figure venue d’ailleurs, à l’image du film Paul de Greg Mottola de 2011, qui capitalise lui-même sur des classiques de la comédie de SF hollywoodienne comme Objectif terrienne (1988) et ses aliens dragueurs à fourrure, ou Les Débiles de l’espace (1985) et ses E.T au QI d’huître.
Loin des comédies stoner façon Paul, ce genre de personnages est aussi un excellent moyen d’initier des enfants à la science-fiction avec des situations ou des répliques loufoques. C’est ce qu’a fait par exemple le cultissime dessin animé français Les Zinzins de l’espace de Jean-Yves Raimbaud et Philippe Traversat à partir de 1996, diffusé par ailleurs la même année que la sitcom américaine Troisième Planète après le soleil, basée sur les mêmes ressorts comiques. Plus récemment, c’est aussi l’approche choisie par la série de jeux vidéo familiaux Pikmin dont les personnages d’astronautes lilliputiens d’outre-espace sont tous plus incompétents et perdus les uns que les autres.
Un sujet qui passionne les mangakas et la japanime
Cette thématique a particulièrement pris au sein de la SF comique japonaise depuis une quarantaine d’années, notamment à la suite du succès du manga Urusei Yatsura (Lamu) de Rumiko Takahashi, publié de 1978 à 1983. Pouvant littéralement se traduire par « les grandes gueules de l’espace », cette œuvre culte multiplie les personnages d’envahisseurs idiots et mal élevés, et a inspiré de nombreux mangakas.
Ainsi, avant Uchujin Mumu, les adeptes du genre ont pu lire ou regarder de nombreux récits similaires, dont certains sont largement passés à la postérité. On pense à l’anime Niea_7 de Yoshitoshi Abe en 1998 et son alien immature et sans domicile, aux mascottes aussi agressives qu’inoffensives de la soucoupe volante d’Excel Saga ou encore au melting pot chaotique des nombreuses peuplades venues d’autres dimensions dans Blood Blockade Battlefront.
Cette typologie de personnage s’est même retrouvée dans des registres assez éloignés de la comédie classique, puisque l’on voit aussi des personnages d’aliens particulièrement obtus dans le très sérieux manga d’action Gantz, ou encore dans le récent succès Dandadan, un shōnen frénétique prochainement adapté dans un anime à grand spectacle et mettant en scène des aliens brutaux, incompétents et accros au lait de vache. Ces petits êtres venus de l’espace n’ont pas fini de nous surprendre.