Finaliste du prix Joséphine 2024, célébrant la diversité de la scène musicale française, Lossapardo a dévoilé en mai dernier If I Were to Paint it, son premier album studio. À l’occasion de sa sélection, L’Éclaireur a eu la chance d’échanger avec ce touche-à-tout, véritable étoile montante de la musique.
Que signifie pour vous le prix Joséphine ?
Je suis très reconnaissant de faire partie des dix finalistes du prix Joséphine. C’est mon premier album, et je ne m’attendais pas à être nommé pour un prix dès le premier projet. Beaucoup d’artistes doivent en faire plusieurs avant d’obtenir des prix et certaines reconnaissances. C’est très gratifiant de savoir que des gens ont écouté ma musique et la valident.
Vous vous définissez à la fois comme un artiste, un peintre et un musicien. Comment combinez-vous tous ces arts et en quoi la musique est-elle essentielle là-dedans ?
Ça commence avec l’envie d’avoir plusieurs moyens d’expression. J’ai envie de raconter des choses, mais si je m’étais limité qu’à un seul moyen, le message ne serait pas complet. Je trouve que le fait d’avoir d’autres médiums permet d’ajouter de la dimension et de la profondeur. Au lieu de raconter l’histoire en 2D, je la raconte en plusieurs dimensions. La musique raconte une partie, mais le visuel en raconte une autre, tandis que le visuel animé en raconte encore une autre.
Que permet la musique en termes d’histoire et de message, selon vous ?
Quand on fait du visuel, il y a un cadre physique qui par moment est génial, comme le fait que ce soit un objet que l’on peut vraiment toucher. Il n’y a pas ce côté-là dans la musique. Quand on finit un son, on a juste à appuyer sur play. Cependant, tant qu’on appuie pas, c’est comme s’il n’existait pas. Cette dimension intangible justement, dans certains moments, est incroyable, parce qu’elle amène quelque chose qu’on ne peut pas toucher, quelque chose hors du cadre qui est très intéressant et qu’on n’a pas forcément dans le visuel. Chaque médium est complémentaire. Il va me permettre de raconter des choses que je ne peux pas raconter avec l’autre, car ça ne me permet pas d’aller dans le détail.
« J’aime amener dans mes textes et ma musique ce jeu d’ombre et de lumière ; de contraste. »
Lossapardo
Travailler le visuel en lien avec le musical, est-ce quelque chose qui vous est venu instinctivement et directement quand vous avez voulu vous lancer dans cette carrière artistique ?
Chaque catégorie s’est greffée au fur et à mesure. J’ai toujours fait de la musique et du dessin, alors que la peinture est venue un peu plus tard. Finalement, il y a toujours eu le visuel et le sonore. Ceci dit, avant d’arriver au point où j’en suis, il y a eu plusieurs tests. J’ai toujours eu le désir d’amener tous ces arts en même temps, mais j’ai dû justement chercher la forme. Quand j’ai commencé à faire de l’animation, je me suis dit : “J’ai enfin trouvé ce qui me permet de réunir la musique et le visuel dans un format qui n’est pas forcé.”
Avez-vous des thèmes qui vous tiennent à cœur et des obsessions que vous voulez explorer ?
J’ai beaucoup de thématiques qui reviennent. La lumière est vraiment une thématique que j’adore. Je me suis pris au jeu. Au départ, quand je peignais, il n’y avait pas de ligne directrice. J’étais avant tout dans l’exploration – j’essaie d’ailleurs toujours de l’être, malgré le fait que ça devienne un peu plus précis. Au bout d’un moment, je me suis dit : “Qu’est-ce que j’aimerais qu’on retienne de mon travail ?” Et en me posant cette question, je me suis dit : “Qu’est-ce que les gens voient dans mon travail ?” Je me suis rendu compte que la lumière m’intéressait beaucoup, d’abord de façon purement esthétique. Puis, c’est devenu un peu plus profond.
J’avais envie de la travailler davantage, de la faire revenir quand je peins, comprendre d’où elle vient. Ce travail devient alors un peu plus global. J’ai aussi ce réflexe avec la musique. J’aime amener dans mes textes et ma musique ce jeu d’ombre et de lumière ; de contraste. Évidemment, ce travail passe par d’autres outils : comment créer de la lumière à l’échelle du son ? C’est la lumière qui met en lien la musique et le visuel. Je n’aime pas me limiter et je voulais pousser le projet au maximum.
Vous ne faites jamais de choix entre le visuel ou la musique, tout comme vous vous ne vous limitez pas à un genre précis dans votre album. Vous allez autant vers le rap que le jazz ou la musique électronique. Pourquoi avoir fait ce choix ? Quelles ont été vos influences ?
Plusieurs choses ont servi de point de départ à ce projet, notamment ma vision de la musique. Je ne voulais pas faire de choix. D’ailleurs, se dire que l’on ne fait pas de choix, c’est déjà faire un choix. Je suis quelqu’un de curieux et de multiple dans ma réflexion. Je me suis dit que cet album serait un premier projet, une sorte de carte de visite pour que le public comprenne ce que je veux faire. Je voulais donc qu’il soit riche en couleurs, en lumière et en nuances.
Je ne voulais pas me retrouver cloisonné avec un premier projet, car j’ai beaucoup d’influences, d’autant plus que cela aurait déstabilisé les gens dans un second projet, si j’avais pris le contre-pied total. Maintenant, en ayant exploré plusieurs genres de musique, je peux aller où je veux.
Detachment (2011) avec Adrien Brody m’a particulièrement marqué. Dans le film, il joue un professeur et écrit au tableau « ubiquitous assimilation”. “Ubiquitous” signifie omniscient, et “assimilation” veut dire assimiler. Il explique à ses élèves, dans cette séquence, que c’est important d’être inspiré par toute chose en tout temps.
« C’est important de faire confiance à d’autres personnes. Collaborer avec d’autres artistes rend l’histoire plus riche. On est au croisement de plusieurs visions avec cet album. »
Lossapardo
Je me souviens que ça m’avait marqué, parce que ça arrivait à un moment du processus où j’étais en recherche de ce que je voulais faire en peinture et en musique. Je n’allais chercher l’inspiration que dans un seul endroit. Si je voulais peindre, j’allais chercher dans la peinture ; pour mes sons, je cherchais dans la musique. Ce film a tout débloqué. Maintenant, pour la musique, je cherche autant dans un livre que dans le cinéma. J’essaie de décloisonner afin que l’inspiration puisse venir de partout.
Quel est votre processus créatif musical à travers toutes ces sources d’inspiration ?
Je sais que j’ai du mal avec la routine. Par exemple, dans cet album, il n’y a pas deux sons qui ont été faits de la même manière. C’est pour cette raison qu’il me paraît aussi riche. Dans la manière de le faire, il y a eu des choses communes. Toutes les voix ont été enregistrées au même endroit, dans mon atelier, mais, dans la composition, parfois les accords vont arriver avant.
Pour tout vous dire, j’avais déjà les accords de certains sons plusieurs années avant la création de l’album. Par exemple, le processus de création de Miel a débuté en 2017 avec la création des premiers accords à la guitare. Pourtant, la chanson est sortie des années plus tard, après l’avoir retravaillée en 2022. Ce n’est qu’à ce moment-là que j’ai su que ce serait la dernière chanson de l’album. Je savais d’ailleurs quelles chansons seraient en introduction et en conclusion de l’album. Je savais déjà par où commencer, par où finir, mais tout ce qui se passait entre était à cogiter, notamment de façon organique.
J’écris aussi beaucoup en réaction à un film, une série ou une discussion. Quand un mot ou une phrase m’inspirent, je les note dans mon téléphone. Je vais aussi composer en réaction aux accords ; ce qu’ils m’évoquent, ce qui pourrait être en lien avec mes notes. C’est comme un grand puzzle. Je ne sais pas si le texte vient finalement avant le son, c’est un peu comme l’œuf et la poule…
Travaillez-vous plutôt en solo ou en équipe quand vous composez ?
Je dirais que c’est plutôt la réponse A [rires] ! C’est très introspectif. Je compose beaucoup en solo dans mon atelier. J’y passe la plupart de mon temps. C’est l’un des aspects de la peinture qui impactent la musique. Je suis souvent tout seul avec mes pinceaux, avec ma toile à peindre, pendant des heures. Dans ces moments-là, ma pause va être musicale. Je vais alors avoir des idées de compositions. J’ai beaucoup fait ce travail-là sur l’album. J’ai d’abord composé et écrit seul. Ceci étant dit, j’ai par la suite travaillé avec des musiciens et avec des producteurs pour faire grandir la musique.
Ces dernières années, j’ai eu l’occasion de travailler avec beaucoup d’artistes, des rappeurs, des chanteurs et des créateurs. J’ai été très inspiré par leurs différentes méthodes de travail, parce que chacun a sa manière de faire les choses. Je me suis donc nourri de tout cela.
Pour être honnête, il n’y a pas énormément de gens qui font la totalité d’un album, car il y a des limites à ce qu’on peut faire seul. Je trouve que le meilleur moyen pour faire grandir son art, sa musique et sa peinture, c’est de le partager avec d’autres. Avec cet album, j’avais l’ambition de faire une musique plus grande que moi, que j’ai envie d’écouter aussi. J’avais envie d’être fier de cette musique.
Je vois d’ailleurs la musique, contrairement à la peinture, comme quelque chose de collaboratif. Ça naît de moi, mais, pour donner une forme finale à mon projet, j’aime beaucoup faire intervenir des gens qui ont des spécialités dans chacun de leurs domaines. Par exemple, j’ai joué la plupart des guitares de mon album, mais il y a d’autres guitares pour lesquelles j’avais des sonorités en tête. Pour celles-ci, je n’arrivais pas à atteindre le son, parce que je ne suis pas guitariste de métier. J’ai donc fait appel à des gens qui ont beaucoup plus de compétences que moi pour développer ma vision. C’est important de faire confiance à d’autres personnes. Collaborer avec d’autres artistes rend l’histoire plus riche. On est au croisement de plusieurs visions avec cet album.
En termes d’humilité, cela a dû vous apporter beaucoup…
J’ai eu l’occasion de travailler avec beaucoup de gens dans la musique, d’écrire pour des artistes, de trouver des mélodies ou de composer. J’ai toujours eu plusieurs casquettes, mais, avec cet album, j’ai adoré faire tout cela en même temps. C’est une réelle réalisation dans le sens où j’avais envie de le faire à plus grande échelle. J’avais envie que cet album me serve à atteindre cette plus grande échelle afin que les gens comprennent mon univers musical, même s’il est vaste, pour qu’ensuite ils aient envie de travailler avec moi. C’est aussi pour cette raison que j’ai voulu travailler avec plusieurs personnes, pour m’ouvrir au monde et ne pas paraître solitaire.
C’est pour cette raison qu’il y a des voix d’autres personnes, qu’il y a des instruments joués par d’autres personnes et qu’il y a des arrangements faits par d’autres personnes. Je peux être aux origines de l’idée, mais je peux aussi laisser d’autres gens entrer dans le processus et apporter leur pierre à l’édifice.
Qu’est-ce que l’on ressent en sortant son premier album ? Quels retours avez-vous aujourd’hui ?
L’album est riche, mais les émotions, elles, le sont encore plus. Quand l’album sort, c’est difficile de réaliser qu’il est disponible, parce qu’il y a une latence entre le moment où on finit un album et le moment où les gens le découvrent.
Il y a eu plusieurs mois entre le moment où j’ai fini de faire l’album et le moment où il est finalement sorti, parce qu’avant de dévoiler un album en entier, il y a tout le processus de parution de single. J’avais hâte de sortir l’album dans sa totalité, car c’est un projet d’ensemble. J’ai donc eu le temps de réfléchir en amont à comment ça allait se passer une fois dehors. Néanmoins, on peut y réfléchir tant qu’on veut, tant qu’on le vit pas, ce n’est pas la même chose. Une fois que l’album est sorti, ça ne m’appartient plus. C’est ce que je souhaitais d’ailleurs, parce que j’avais besoin de ce retour des gens.
Il y a eu une petite frustration qui s’est créée sur la fin, avant la sortie de l’album, car quand je faisais écouter à quelqu’un l’album en entier, je trouvais que c’était un retour qui manquait de transparence, car la personne était dans la même pièce que moi.
« Miel n’aurait pas pu exister dans une autre langue, tout comme Seul. Quand il a fallu faire un pas de plus dans l’introspection, c’était normal pour moi de le faire en français. »
Lossapardo
Une fois qu’il est sorti, j’ai eu des retours plus spontanés. Beaucoup de gens m’ont envoyé des messages pour me féliciter en me disant qu’ils avaient découvert mon album. Il y a une petite euphorie qui arrive dans ces moments-là. Ça me donne envie d’y retourner et de faire un autre album aussi [rires] ! La partie créative me manque beaucoup, car je me suis fait plaisir pendant cette période. Je découvre, en revanche, la partie promotion durant laquelle je dois défendre l’album. J’avais déjà à le faire auparavant, mais pas de cette envergure-là. C’est un nouveau travail !
Est-ce un travail qui vous plaît ou bien est-ce le revers de la médaille, selon vous ?
J’éprouve du plaisir à le faire, dans le sens où je défends un projet qui me tient à cœur. Par contre, j’avais sous-estimé la charge que ça pouvait être. Pour faire de la musique ou de la peinture, il faut du temps, et il faut dire que la partie promotion prend beaucoup de temps. Il faut que je gère mon temps différemment aujourd’hui. Je dois faire la promotion à fond pour pouvoir apprécier cette partie promotion, parce que c’est justement le fait de le faire à moitié qui peut rendre la chose difficile. C’est aussi un bel exercice que j’essaie d’améliorer à chaque fois.
Vous chantez à la fois en anglais et en français, qu’est-ce que ces deux langues vous apportent ?
J’utilise ces deux langues en réponse à toutes les influences que j’ai pu avoir en grandissant, qu’elles soient musicales cinématographiques. J’ai toujours été très inspiré par les choses anglophones. C’est une langue qui m’a “nourri”. Je me souviens aussi qu’il y avait une autrice qui disait “traduire c’est tuer”. J’aime beaucoup ce jeu des langues. J’aime me dire qu’il y a des mots qu’on ne peut pas traduire littéralement dans d’autres langues. Sur cet album, il y a eu de l’anglais parce que ça m’est venu naturellement. J’ai beaucoup voyagé ces dernières années, j’ai passé beaucoup de temps à l’étranger, et certaines musiques sont nées au-delà des frontières. Ça m’a paru normal de les raconter dans ces langues-là.
J’interagis quotidiennement avec des gens qui ne parlent pas forcément français. J’avais donc envie de raconter une histoire multiple, une histoire qu’eux aussi peuvent comprendre, pas forcément en la traduisant. Mais il y avait aussi certains sons où les raconter autrement qu’en français ne fonctionnait pas. Miel n’aurait pas pu exister dans une autre langue, tout comme Seul. Quand il a fallu faire un pas de plus dans l’introspection, c’était normal pour moi de le faire en français.
Y a-t-il un titre sur cet album que vous aimez plus qu’un autre ?
Je pense que c’est comme si on demandait à un parent quel enfant il préfère. Ce n’est pas une question à laquelle je peux vraiment donner une réponse totale, mais disons que c’est mouvant. Il y a des jours, justement, où je vais revenir vers certains sons, car ils vont me paraître plus en phase avec la personne que je suis dans la journée.
Je vais aussi revenir vers un son à cause de la façon dont il a été fait, du souvenir que j’en garde ou des conditions dans lesquelles la musique a été faite. Je sais qu’Atrums et Nostalgia sont des sons qui me tiennent à cœur parce que ça remonte à 2021-2022 où j’ai passé pas mal de temps à New York. Je me revois faire ces sons-là à l’occasion de voyages qui m’ont vraiment inspiré.
Comment vivez-vous l’expérience de la scène ?
La scène est encore un médium nouveau pour moi, car j’ai plus d’expérience dans les autres domaines, en studio ou à l’atelier. J’ai déjà fait quelques scènes en première partie de FKJ, et j’ai ouvert pour Celeste à la Philharmonie en 2022. C’était ma première vraie scène, mais c’est un exercice que j’ai à cœur de découvrir vraiment. Après ce concert, j’ai eu envie de faire plus de scènes.
En revanche, je n’avais pas envie de le faire de scène avant que l’album soit sorti, afin que les gens puissent écouter l’opus dans son entièreté. J’avais envie qu’il y ait cet échange avec le public, pour qu’il comprenne mon univers. Je pense que c’est quelque chose que je vais bien vivre, car j’ai aussi envie de découvrir la portée de la musique que j’ai créée.
Aujourd’hui, mon album est sur les plateformes ou en vinyles. C’est super, mais je pense que le live c’est vraiment le moment où tu te rends compte si ça fonctionne ou pas. En plus, les musiciens qui ont travaillé sur l’album sont ceux qui vont m’accompagner sur le live. C’est génial, car j’arrive avec des gens que je connais, et c’est très important. Chaque médium permet de raconter une partie de l’histoire et le live va permettre de raconter une nouvelle partie de cette histoire, de rentrer plus en détail sur les sons, pouvoir raconter aux gens le contexte de chacun des morceaux. C’est aussi un exercice que j’apprécie justement, d’expliquer mes inspirations au public.
Quels sont vos derniers coups de cœur ou attentes culturels ?
J’ai adoré la série Severance et j’attends la prochaine saison avec impatience. Je me suis mangé une gifle en termes de réalisation, de scénario et de décor. À travers le processus de cet album, j’ai eu l’occasion de travailler en dehors de la musique avec une céramiste pour faire des mugs. Je suis aussi en discussions avec un artiste qui fait des lampes, pour peut-être faire du mobilier, ça m’intéresse beaucoup aussi ! Je suis curieux de la suite, et très pressé de voir tout ce que ça va amener !
If I Were to Paint it, de Lossapardo, finaliste du prix Joséphine 2024.