Critique

La Fièvre de Petrov : le tour de force un peu forcé de Kirill Serebrennikov

01 décembre 2021
Par Félix Tardieu
Semyon Serzin (Petrov) et Chulpan Khamatova (Petrova) dans "La Fièvre de Petrov"
Semyon Serzin (Petrov) et Chulpan Khamatova (Petrova) dans "La Fièvre de Petrov" ©Hype Film

Après le détonnant Leto, le réalisateur russe Kirill Serebrennikov revient avec La Fièvre de Petrov, une expérience cinématographique aux confins de la folie – assez assommante.

La Fièvre de Petrov est un film à l’image de son réalisateur : cloisonné, frustré, révolté. Le film a été chaudement reçu au dernier Festival de Cannes malgré l’absence de Kirill Serebrennikov, qui purge actuellement une peine de trois ans de prison avec sursis : verdict rendu en juin 2020 au terme d’un interminable procès qui a suscité l’indignation du monde de la culture. Le metteur en scène comparaissait pour une affaire de détournement de fonds publics dans le cadre de « Plateforme » (2011-2014), programme culturel consacré à la diffusion du théâtre contemporain en Russie. Lorsqu’il est arrêté en 2017, Serebrennikov est en plein tournage de Leto (2018), portrait en noir et blanc d’une jeunesse russe piquée au rock underground au début des années 1980, qu’il finalise alors qu’il est assigné à résidence. Avec La Fièvre de Petrov, le réalisateur porte à l’écran un roman d’Alexeï Salnikov (Les Petrov, la grippe, etc., éd. des Syrtes, 2020) et suit le personnage grippé de Petrov (Semyon Serzin) dans ses déambulations nocturnes hallucinées. Dès la scène d’ouverture, le ton est donné : La Fièvre de Petrov s’annonce comme un film malade et pris de folie, où les images d’enfance et les souvenirs se mêlent aux hallucinations nimbées d’alcool. 

©Hype Film

Coup de maître ou coup de poker ?

Travaillant à sa propre décomposition, le film multiplie les segments autour de différents personnages qui gravitent tous autour de Petrov, à l’instar de Petrova (Chulpan Khamatova), sa compagne, bibliothécaire soudainement habitée par des super pouvoirs qui réveillent en elle une pulsion de mort. Le réalisateur, comme à son habitude, déploie alors une mise en scène virtuose, enchaînant les plans-séquences des plus sophistiqués qui compressent les temporalités et les revirements psychologiques : au centre du film, un plan-séquence de 18 minutes, où un écrivain (Ivan Dorn) tente de convaincre un éditeur d’imprimer son manuscrit, dont l’issue métaphysique teintée d’absurde rappellera sans doute l’oeuvre de Dostoïevski. De ce morceau de bravoure émane toute la théâtralité de la mise en scène de Serebrennikov, mais aussi son artificialité. Or le film dans son ensemble pâtit de cet excès de zèle, de cette mise en scène qui cherche constamment à déconstruire les germes d’un récit et à afficher ses petites trouvailles plan après plan. Dans ce chaos savamment organisé, la fièvre qui gagne Petrov pourrait passer pour le symptôme d’une société malade dans toutes ses strates, et ce jusque dans l’intimité du foyer, à l’image du fils de Petrov et Petrova, pris lui aussi d’une forte fièvre. 

À mi-chemin entre l’installation d’art contemporain et le cinéma expérimental, La Fièvre de Petrov est un spectacle tantôt sublime, tantôt éreintant, ses personnages noyés par une mise en scène turbulente et tape-à-l’oeil, au prétexte d’illustrer l’écroulement du réel dans un monde vidé de sens. Sans surprise, le film finit tout bonnement par se désolidariser de lui-même, dans un segment final qui renoue avec le noir et blanc épuré de Leto : tout part alors d’une image d’enfance décisive, le visage angélique de Marina (incarnée par Yulia Peresild, qui est aussi la première actrice de l’Histoire à avoir tourné un film de l’espace), la « Fille des neiges » dont le petit Petrov a croisé le regard magnétique lors d’une fête de Noël. Le réalisateur plonge alors dans les coulisses de ce souvenir et ce qu’il peut cacher de tragique. Ce segment est une véritable offrande de cinéma où Serebrennikov, à partir d’un simple regard revenu au seuil de la mémoire, déploie tout un récit donnant vie à de nouveaux personnages secondaires qui joueront sans le savoir un rôle principal dans la vie de Petrov. Une vraie respiration qui ne suffira malheureusement pas à soigner un film globalement indigeste.

La Fièvre de Petrov de Kirill Serebrennikovn, avec Semyon Serzin, Chulpan Khamatova, Yulia Peresild, Yuri Kolokolnikov, 2h26. En salles depuis le 01/12/2021.

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Article rédigé par
Félix Tardieu
Félix Tardieu
Journaliste