Critique

Compartiment n°6 : un film rassurant de tranquillité

05 novembre 2021
Par Félix Tardieu
Seidi Haarla (Laura) et Yuriy Borisov (Ljoha) dans "Compartiment n°6"
Seidi Haarla (Laura) et Yuriy Borisov (Ljoha) dans "Compartiment n°6" ©Sami Kuokkanen / Aamu Film Company

Grand Prix du dernier Festival de Cannes, le second long-métrage du réalisateur finlandais Juho Kuosmanen impressionne par sa force tranquille et l’alchimie qui s’opère inévitablement entre les deux personnages.

Laura (Seidi Haarla), une jeune finlandaise étudiant l’archéologie à Moscou, s’embarque dans un long périple ferroviaire jusqu’à Mourmansk, à 2000 kilomètres de là, en quête de précieux pétroglyphes. Durant son voyage, elle n’a pas d’autre choix que de partager un wagon-lit avec Ljoha (Yuriy Borisov), un jeune homme rustre et noyé dans l’alcool parti chercher du travail dans les mines du Grand Nord. À partir de cette prémisse apparemment simple – la rencontre de deux inconnus dans un train – le réalisateur d’Olli Mäki (une histoire d’amour en noir et blanc sur le boxeur finlandais Olli Mäki qui avait séduit la critique cannoise en 2016) enregistre la lente acclimatation de deux êtres que tout oppose sur le papier, qui se repoussent comme par pur réflexe, telles deux bêtes enfermées dans une cage. Quelque part il est question de survie, pour l’un comme pour l’autre. Or, à mesure que les deux personnages s’enfoncent dans cette Russie profonde et hors du temps, prise dans les glaces comme les traces archéologiques que Laura espère trouver, un lien indicible va se créer entre les deux personnages. Entre sensualité feinte et amitié profonde, le film ne tranche pas, car il regarde ailleurs : ce qui intéresse Kuosmanen, c’est bien plus la rencontre, si ce n’est la collision, entre deux solitudes qui, au fil du temps qui glisse sur elles, vont s’attacher malgré leurs différences. 

Seidi Haarla (Laura) et Yuriy Borisov (Ljoha) dans Compartiment n°6 © Sami Kuokkanen / Aamu Film Company

Des contraintes imposées par le récit, Kuosmanen se joue habilement en offrant au film de beaux moments de respiration. Si les espaces restreints du train n’offrent que très peu de possibilités de variation, c’est au gré des escales – aussi inattendues qu’elles soient – et des cigarettes fumées en pleine nuit sur des quais enneigés que se noue la relation entre les deux personnages, et que naît finalement chez le spectateur le désir de les voir remonter à bord du train. Ce long voyage aux confins du monde prend doucement la forme d’un voyage intérieur, la destination s’effaçant peu à peu derrière une plus profonde quête de soi. Dans les moments de flottement qu’il se réserve, notamment après que les personnages ont débarqué à Mourmansk, le film de Kuosmanen atteint une forme de simplicité qui se passe de mots, résonnant indiscutablement avec le cinéma de Wim Wenders – avant tout sa « trilogie de l’errance » avec Alice dans les villes (1973), Faux mouvement (1974) et Au fil du temps (1975) – et ses personnages en mouvement dont les contours se définissent au long du voyage. Nous sommes définitivement embarqués. 

Compartiment n°6, un film de Juho Kuosmanen – avec Seidi Haarla, Yuriy Borisov, Dinara Drukarova – 1h46 – Sorti le 03/11/2021

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Article rédigé par
Félix Tardieu
Félix Tardieu
Journaliste