La Fondation Louis Vuitton à Paris expose simultanément deux grands maîtres de la peinture : le Français Henri Matisse et l’Américain Ellsworth Kelly. Ces deux expositions célèbrent la couleur dans toutes ses nuances. Guide d’une visite jumelle.
Comment la couleur transforme-t-elle un espace ? Jusqu’au 9 septembre, la Fondation Louis Vuitton abrite deux expositions passionnantes qui esquissent une réponse à cette question. L’une, à l’étage, célèbre le peintre français Henri Matisse. Ou plutôt, une toile de l’artiste : L’Atelier rouge. L’autre, située au sous-sol, rend hommage au peintre américain Ellsworth Kelly. Une première en France.
Dialogue entre deux peintres majeurs
Pourquoi la Fondation Louis Vuitton fait-elle le choix d’une accroche simultanée ? Quel lien unit ces deux peintres, séparés par l’Atlantique ? L’exposition Matisse, L’Atelier rouge s’intéresse à l’histoire d’une de ses toiles. Qu’a-t-elle de si spécial ? C’est en 1911 qu’Henri Matisse s’attelle à la réalisation de L’Atelier rouge, après une commande de l’industriel et collectionneur moscovite Sergueï Chtchoukine. Le peintre est alors installé dans son atelier situé à Issy-Les-Moulineaux, qu’il a fait construire en 1909 près de sa maison familiale.
L’Atelier rouge représente ce fameux atelier et le bazar artistique qu’il abrite : six peintures, trois sculptures et une céramique, réalisées entre 1898 et 1911, sont reproduites dans le tableau. Depuis qu’ils avaient quitté l’atelier du peintre, ils n’avaient jamais été réunis. La Fondation Louis Vuitton les rassemble pour la première fois.
Matisse avait déjà usé d’un tel procédé et représenté ses vues d’atelier, comme dans La Fenêtre bleue (1913) et Grand Intérieur rouge (1948), également exposées à la Fondation Louis Vuitton. Mais le véritable mystère de ce tableau réside dans l’utilisation du rouge de Venise. Alors qu’il a presque achevé de peindre le tableau, Matisse décide de le recouvrir entièrement d’une couleur rouge. Un rouge profond, presque sanguin. Seules les œuvres reproduites dans le tableau sont laissées dans leur tonalité originelle. Les murs, le sol, les meubles, tous sont engloutis par cette couleur.
Dans l’histoire de l’art, il y a un avant et un après L’Atelier rouge. Avec ce tableau, Henri Matisse affirme progressivement sa volonté d’envisager l’art abstrait et figuratif de manière conjointe et non distincte. Matisse influence alors toute une nouvelle génération d’artistes contemporains, tels que Rothko, Barnett Newman et Ellsworth Kelly.
L’Atelier rouge questionne l’impact de la couleur sur un espace. Comment peut-elle chambouler notre perception de celui-ci ? C’est le cœur de l’œuvre de Kelly, célébrée par la Fondation Louis Vuitton dans l’exposition Ellsworth Kelly. Formes et Couleurs, 1949-2015, à l’occasion du centenaire de ce dernier.
De la couleur à perte de vue
Henri Matisse et Ellsworth Kelly sont deux artistes amoureux de la couleur. Après avoir vu rouge avec Matisse, c’est l’arc-en-ciel de Kelly qui éblouit les visiteurs. Le peintre américain est connu pour ses installations colorées grands formats, comme Spectrum IX, sur laquelle s’ouvre l’exposition. Cette œuvre est formée de 12 panneaux rectangulaires joints les uns aux autres, symbolisant ainsi le spectre électromagnétique perceptible par l’œil humain, autrement dit : un arc-en-ciel. Yellow Curve (1990) est l’autre grande installation de cette rétrospective. Cette œuvre de 60 m2 questionne le lien des visiteurs à leur environnement en inversant la place d’une surface colorée, habituellement fixée sur le mur, en la représentant au sol. Une courbe jaune saturé irradie alors l’ensemble de la pièce. Bien qu’elle ait été originellement conçue, en 1990, sur mesure pour le centre d’art de Portiques de Francfort, le résultat au sein de la Fondation Louis Vuitton est grandiose.
Ainsi, Kelly explore la relation entre couleur, forme et espace. Et certaines œuvres sont assez déconcertantes. Loin d’être dans un figuratif comme Matisse, Kelly s’en détache et expérimente. Comme dans son tableau Seine (1951) : une multitude de carrés blancs et noirs se mélangent. Il s’agit en réalité des scintillements du soleil sur le fleuve et les mouvements de l’eau. Ou encore Tableau vert (1952), un magma condensé de bleu et de vert, réalisé après la visite de Kelly dans les jardins fleuris de la maison de Claude Monet à Giverny.
Architecture et peinture s’entremêlent
Entre Ellsworth Kelly et la Fondation Louis Vuitton : l’alchimie est parfaite. Les œuvres de Kelly y trouvent tout naturellement leur place. Les espaces monumentaux et épurés de la Fondation offrent une scénographie aérée à la première rétrospective consacrée à l’américain.
Il faut dire que l’artiste, disparu en 2015, avait contribué à l’inauguration de la Fondation dix ans plus tôt, en 2014. À l’initiative de Kelly, plusieurs panneaux colorés ont été disposés un peu partout dans l’Auditorium de la Fondation et se mêlent à l’architecture contemporaine de Frank Gehry. Kelly avait également imaginé un rideau de scène, similaire à l’œuvre d’ouverture de l’exposition, baptisé Spectrum VIII. « Parce qu’il s’agit d’un auditorium et non d’une galerie traditionnelle, il fallait prendre en compte non seulement les aspects visuels, mais également les questions acoustiques », écrit l’artiste. Immergés dans ce ping-pong de couleurs, les visiteurs sont happés par la puissance immersive des œuvres colorées de Kelly.
Expositions Ellsworth Kelly. Formes et Couleurs, 1949-2015 et Matisse, L’Atelier rouge, jusqu’au 9 septembre 2024 à la Fondation Louis Vuitton, à Paris. La billetterie sur Fnac Spectacle, c’est par ici !