Grâce au cinéma, des figures féminines oubliées sont désormais sous les feux des projecteurs. Dans quelle mesure les biopics participent-ils à réinventer la place des femmes dans notre histoire ? Décryptage.
Combien de biopics revisitent l’histoire de Napoléon ? Des dizaines. Et combien célèbrent Joséphine, son épouse, comme une héroïne ? Zéro. Le cinéma s’est davantage penché sur l’histoire des « grands hommes », exprimant ainsi toute la fascination que l’on nourrit pour eux. Mais qu’en est-il des femmes ? « L’histoire nous dit peu de choses, elle raconte surtout les hommes et la guerre. »
C’est ainsi que s’ouvre Le Jeu de la reine, le dernier film de Karim Aïnouz. Avec cette simple phrase, le réalisateur lève le voile sur une réalité : les femmes sont les grandes absentes de l’histoire. De monarques en dirigeants politiques, le déroulé historique se conjugue au masculin, enjambant ainsi le vécu des femmes, majoritairement cantonnées à la sphère privée. Mais cela ne veut pas dire qu’elles n’ont pas d’histoire.
Aujourd’hui, les femmes s’affichent sur grand écran ! Amy Winehouse faisait de nouveau vibrer les salles, non pas de concert, mais de cinéma avec le film Back to Black (2024) de Sam Taylor-Johnson et l’histoire, aussi bouleversante que puissante, de Simone Veil continue d’inspirer, en partie grâce à sa mise en image par Olivier Dahan dans Simone, le voyage du siècle (2022).
« La dimension historique des biopics permet d’aller plus loin que le récit sourcé des historiens. Ces films proposent une véritable expérience sensible. C’est la force de la fiction. On est plus à même de comprendre les choix et les actions de ces femmes », s’enthousiasme Léon Cattan, rédactrice en chef de la revue Sorociné et animatrice du podcast homonyme, dans lesquels elle décrypte le monde du cinéma à l’aide d’une grille de lecture féministe.
Certains réalisateurs et réalisatrices contribuent même à renouveler la perception de figures féminines historiques, comme Priscilla Presley ou Jackie Kennedy. Avant que le cinéma déconfine le récit de leur existence, toutes deux ont en commun d’avoir été réduites à leur rôle d’épouse. « Le format du biopic permet une incursion dans l’intimité de ces figures oubliées. Ce point de vue suscite inévitablement l’empathie. D’autant plus lorsque ces femmes ont subi le sexisme et, pour certaines, une grande violence misogyne », analyse Léon Cattan.
Loin de l’action des champs de bataille ou des paillettes du show-business, ces biopics révèlent la femme derrière l’épouse. Quels étaient leurs rêves, leurs aspirations, leurs engagements ? En explorant les zones grises de l’histoire, le cinéma devient acteur d’une mouvance de (re)découverte de figures féminines inspirantes. Voici cinq pépites qui changent le regard que l’on pose sur les femmes dans l’histoire.
| Le Jeu de la reine, de Karim Aïnouz 2024
Moins connue que les précédentes, la sixième et dernière femme d’Henri VIII n’en est pas moins fascinante. Catherine Parr, interprétée par Alicia Vikander, a dû assurer la régence du royaume, affronter une dévastatrice épidémie de peste et échapper à une constante menace de mort. Henri VIII, joué ici par un Jude Law métamorphosé en vieillard affligé d’ulcères, est tristement connu pour avoir collectionné les épouses : deux ont été décapitées, deux autres ont été répudiées et une est morte de maladie. Dans Le Jeu de la reine, le réalisateur navigue dans l’intimité de ce couple royal, entre méfiance, paranoïa et manipulation.
| Big Eyes, de Tim Burton 2014
Pourquoi n’y a-t-il pas de grandes artistes ? C’est la question posée par une célèbre historienne de l’art en 1971. Sûrement parce que leur mari s’octroyait le mérite de leurs œuvres. C’est ce qui est arrivé à la peintre Margaret Keane, aujourd’hui connue pour ses personnages aux yeux surdimensionnés. Mais il n’en a pas toujours été ainsi.
Dans Big Eyes, Tim Burton révèle l’une des plus grandes impostures du monde de l’art. Dans les années 1950, Margaret Keane épouse Walter Keane, lui aussi artiste. Mais ce mariage tourne au cauchemar. Jaloux de son talent, son mari signe de son nom les tableaux de sa femme et en récolte toute la gloire. Mais l’histoire ne s’arrête pas là ! Tim Burton capture le courage d’une femme face à la violence masculine et rend hommage à la puissance créatrice de la peintre. Un film inspirant.
| Priscilla, de Sofia Coppola 2023
Un an après la sortie d’Elvis de Baz Luhrmann, le biopic de Sofia Coppola lève le voile sur la figure énigmatique de Priscilla Presley. Au cœur de son film : l’ennui, l’attente et la langueur. Alors que la musique du King fait vibrer toute l’Amérique, sa jeune épouse est cloîtrée dans sa demeure de Graceland, dans le Tennessee.
Dans cette prison dorée, toutes les journées se ressemblent. Pour la première fois, les spectateurs et spectatrices prennent le temps de découvrir ce qui anime cette jeune femme. Ce biopic puise sa force dans les souvenirs de la principale concernée : Priscilla. Le film évite ainsi l’écueil de la fascination pour l’artiste et du cliché de la femme forte. Trop souvent reléguée au second rôle, Priscilla occupe cette fois-ci le devant de la scène.
| Jackie, de Pablo Larrain 2016
C’est la First Lady par excellence. Jackie Kennedy a été l’épouse de John Fitzgerald Kennedy, Président des États-Unis, jusqu’à la mort de ce dernier en 1963. Le film de Pablo Larrain explore l’après. À la fois connu de tous et de personne, le personnage de Jackie, incarné par Natalie Portman, se dévoile lors d’un entretien avec un journaliste une semaine après l’attentat de JFK.
Au fil d’allers-retours temporels, elle se détache de l’image d’épouse trophée, vêtue de son iconique costume rose. Jackie Kennedy se révèle être une femme active et pleinement impliquée dans l’écriture de la légende JFK. Et le film le lui rend bien !
| Radioactive, de Marjane Satrapi 2019
Elle est l’une des seules physiciennes et chimistes de son époque. L’une des premières femmes à recevoir un prix Nobel. Et, bien sûr, elle est celle qui a théorisé la radioactivité. Marie Curie est une pionnière. Mais défricher de nouveaux chemins lui a valu des critiques acerbes.
Le film réalisé par Marjane Satrapi pose un nouveau regard, féministe, sur la scientifique. Malgré sa renommée mondiale, la vie de Marie Curie recèle des facettes moins connues. Cible privilégiée des antiféministes, la scientifique ne décourage pas. De son vivant, elle se bat pour une reconnaissance égale à celle de son mari Pierre Curie, à qui l’on prête le crédit de leurs recherches. Toute une vie à lutter pour vivre sa passion.