Critique

Furiosa : une saga Mad Max, nerveuse fresque mythologique

24 mai 2024
Par Robin Negre
Anya Taylor-Joy dans “Furiosa : une saga Mad Max”.
Anya Taylor-Joy dans “Furiosa : une saga Mad Max”. ©Warner Bros.

George Miller retrouve la désolation de son univers post-apocalyptique et raconte les origines de Furiosa, la guerrière incarnée par Charlize Theron dans Mad Max: Fury Road et désormais interprétée par Anya Taylor-Joy.

C’est un rendez-vous récurrent. Depuis 45 ans, le réalisateur australien George Miller revient à Mad Max, son terrain de jeu favori pour raconter l’histoire de l’humanité alors que la civilisation s’est effondrée.

Neuf ans après Mad Max: Fury Road (2015), il livre un préquel pour développer en profondeur le passé de Furiosa et enrichit la mythologie de son monde dévasté. Avec une capacité surprenante de réinvention, il propose un film fondamentalement différent de son prédécesseur, sans perdre son intensité et sa folie.

Furiosa : une saga Mad Max.©Warner Bros.

Les risques du préquel

Hollywood le sait, l’exercice du préquel est un jeu dangereux. Nombreuses sont les franchises à n’avoir pas su transformer l’essai (Star Wars, Le Seigneur des Anneaux, Harry Potter) et en s’attaquant à Mad Max: Fury Road – considéré à raison comme un chef-d’œuvre du cinéma –, le réalisateur fait face à un double enjeu : surprendre sans proposer la même chose, mais sans venir détériorer l’image d’un film d’action unique en son genre.

Après la course-poursuite condensée sur quelques heures, George Miller fait ainsi le choix de suivre un personnage sur deux décennies, étalant son récit sur plusieurs années et brisant instantanément le rapport au temps de Mad Max: Fury Road. Furiosa vole de ses propres ailes.

Furiosa : une saga Mad Max.©Warner Bros.

Dans un monde hostile et violent, Furiosa évolue au sein d’un lieu d’abondance préservé. Lorsqu’un groupe de motards appartenant au gang de l’excentrique Dementus rencontre et kidnappe la jeune fille, cette dernière tente coûte que coûte de retrouver sa terre natale et se lance dans un périple sanglant dans un monde devenu totalement fou.

Contrainte de survivre et marquée par les traumatismes, elle se lance dans une quête qui devient une histoire de vengeance à mesure que les figures du passé réapparaissent.

Raconter l’humanité

Passionné de mythologie et d’histoires, George Miller construit son film autour de l’évolution et de la caractérisation de Furiosa. D’abord enfant puis jeune adulte, elle évolue dans un monde où chaque personnage tente d’exister par l’idolâtrie et la vénération. Seuls les plus fous survivent et seuls les plus fous dominent. Entre l’excentrique Dementus – campé par un Chris Hemsworth en immense forme – et le menaçant Immortan Joe, la guerre des égos fait rage et, pour survivre, Furiosa doit s’adapter, quitte à devenir elle-même une icône.

Furiosa : une saga Mad Max.©Warner Bros.

La thématique de la construction de soi et de l’évolution s’apprécie tout au long du film. Chaque personnage ère sans autre but que la survie et celle-ci passe par la transformation en quelque chose de nouveau, se servant des éléments trouvés en chemin pour évoluer. À ce titre, la longue scène d’introduction encapsule tout le propos du film, en montrant une longue course-poursuite au cours de laquelle chasseurs comme proies améliorent leurs véhicules en se servant sur les morts et sur les épaves. Furiosa écrit sa propre destinée. Le film, par ses thèmes, se rapproche beaucoup de Trois Mille Ans à t’attendre (2022), précédent long-métrage du réalisateur.

Évolution, transmission et héritage d’un côté, et vengeance de l’autre. George Miller retourne à l’essence même du premier Mad Max (1979) quand vient le temps de la vengeance. La jeune Furiosa grandit et tente de se venger de l’homme qui lui a tout pris : Dementus. Entre le chaos du monde et les conflits de pouvoir, Furiosa arrache sa place par la douleur et le film devient alors une ode à l’action et à la créativité visuelle.

Furiosa : une saga Mad Max.©Warner Bros.

George Miller s’émancipe de Mad Max: Fury Road, mais conserve la même passion lorsqu’il s’agit de mettre en scène la vitesse dans des séquences spectaculaires, inventives et prouvant à nouveau à tout Hollywood qu’à 79 ans, le réalisateur australien opère à un tout autre niveau de démesure. Chaque scène conserve le même soin créatif et une lisibilité de toute épreuve. Citant visuellement le western et le péplum, George Miller parvient encore une fois à nouer les relations entre les personnages dans le mouvement. Peu de mots, que des regards, une action, une réaction et une force narrative basée sur le lien humain et sur l’empathie à travers la violence.

L’ange des ténèbres

Les personnages, à commencer par Furiosa, continuent leur mue dans ce spectacle vrombissant. Après Charlize Theron dans Fury Road, Anya Taylor-Joy se transforme en Furiosa et livre une prestation remarquable. George Miller la filme comme nul autre avant lui. En insistant sur la force et sur la portée de son regard – aussi hypnotisant que profond –, il offre à l’actrice un rôle sur mesure, la pousse dans ses retranchements et fait jaillir d’elle une intensité impressionnante.

Peu de mots dits, encore – les protagonistes parlent peu dans l’univers de Mad Max, contrairement aux antagonistes, toujours très bavards –, mais un langage de l’action et un discours physique qui racontent autant l’histoire et la vie du personnage que mille mots le feraient. La résilience ressentie dans le jeu de l’actrice fait naître de cette Furiosa une rage tangible. Entre la prouesse de l’action et l’immense performance contenue dans le regard (George Miller masque souvent le reste de son visage), Anya Taylor-Joy est éblouissante.

Furiosa : une saga Mad Max.©Warner Bros.

Au jeu de la comparaison avec Fury Road – elle est obligatoire et se fait instantanément –, Furiosa peut apparaître plus dense et plus confus, tant Miller enrichit sa mythologie. Il échange la simplicité d’un aller-retour dans le désert pour une fresque épique basée sur la création de soi dans un monde en feu. Les icônes se construisent et seront prêtes à briller dans Fury Road (le lien entre les deux films se fait de façon très naturelle).

Une seule âme

En revenant à son propre univers – sans George Miller, Mad Max n’est pas –, le cinéaste questionne son rapport à la désolation tout en acceptant que le changement fasse partie intégrante de la création et de l’humanité, quitte à laisser de côté certains spectateurs venus pour retrouver Fury Road. Et George Miller, au fil des cinq films Mad Max, a toujours eu vocation à proposer une vision personnelle de l’humanité ou de ce qu’elle pourrait être dans ses peurs les plus enfouies. Tout change constamment, dit le cinéaste à travers ses films, mais tout est affaire de recommencement perpétuel. Aucun Mad Max ne ressemble au précédent, mais ils partagent tous une même âme.

99,99€
131,38€
En stock
Acheter sur Fnac.com

C’est dans cette dualité, dans ce paradoxe, que la saga puise sa force et se démarque. Furiosa n’est pas le chef-d’œuvre instantané qu’était son aîné. Son rythme est plus lent, son univers plus aride et il est moins dans la démesure immédiate. Néanmoins, il ne tombe jamais dans l’écueil du préquel attendu et permet à George Miller de puiser profondément dans ses obsessions thématiques.

En conservant le même souffle épique dans l’action (une séquence en particulier est ce qui s’est fait de mieux au cinéma depuis… Fury Road probablement), il propose définitivement l’un des grands films de 2024 en plus de faire briller son actrice principale à chaque instant.

La bande-annonce de Furiosa : une saga Mad Max.

Furiosa : une saga Mad Max, de George Miller, avec Anya Taylor-Joy, Chris Hemsworth et Tom Burke, 2h28, au cinéma le 22 mai 2024.

À lire aussi

Décryptage
15 mai. 2024
Critique
22 mai. 2024
Article rédigé par