Avec Mérou, Lou Trotignon offre un premier spectacle drôle et émouvant. À l’occasion de sa présentation à La Nouvelle Seine, et alors que le mois des fiertés se tient tout au long du mois de juin, L’Éclaireur a rencontré l’humoriste afin de revenir sur son parcours, son écriture et son engagement.
Qu’est-ce qui vous a donné envie d’écrire ce spectacle ? Pourquoi ce médium-là vous a-t-il intéressé pour raconter votre histoire ?
Au début, je voulais faire du stand-up parce que je trouvais que c’était un bon moyen de faire passer des informations politiques, de déconstruire certaines choses en passant par le rire. Je trouve que ça met beaucoup plus les gens en lien. Dans le militantisme, c’est important d’être dans la colère, mais il est aussi primordial de communiquer avec les gens. Parfois, quand on le fait dans la colère, ça ne fonctionne pas. Je trouve que le rire est l’un des meilleurs moyens de communiquer. C’est Shirley qui m’a montré ça. Le stand-up est également un art direct. Je dois aussi avouer que je ne suis pas très patient·e. Avec le stand-up, on écrit un texte, puis on monte sur scène. Je trouvais ça frustrant dans les autres arts qu’il y ait autant de temps avant le résultat final. Pour tout vous dire, je n’avais pas prévu de faire ce spectacle aussi tôt.
Pourquoi ce changement de timing ?
J’ai commencé à écrire des textes sur le genre, la sexualité, puis ça a pris. J’ai suivi des cours à l’Académie d’humour, j’étais dans la première promotion de l’école. On m’a proposé de faire une heure à la fin de l’année. Je l’ai fait et ça s’est rempli très vite. Je n’avais pas prévu un tel engouement. Le spectacle est donc rapidement venu après : j’ai vu qu’il y avait de la demande, mais peu d’offres sur ces sujets-là. J’ai donc décidé de me lancer. Le spectacle s’est construit au fur et à mesure, un peu dans l’urgence et on l’a travaillé.
Comment comptiez-vous vous engager avant d’écrire ce spectacle s’il n’avait pas été écrit dans l’urgence justement ?
Je pense que j’aurais continué à roder le texte avant d’atteindre une heure de sketch. Au final, ce n’était pas mal comme ça, parce qu’au lieu de construire sketch par sketch un spectacle, j’ai construit un personnage et une unité.
Selon vous, le stand-up se doit-il d’être politique et engagé ?
Je ne pense pas que le stand-up se doive d’être politique, mais, par essence, il est politique. Le fait d’avoir la parole, d’être seul·e sur scène, de parler en public, même historiquement, c’est politique. Je ne suis pas expert·e, mais il me semble bien que le stand-up a été beaucoup utilisé pendant la ségrégation par des personnes juives et noires, parce qu’elles n’avaient pas accès au théâtre. Elles parlaient d’elles, de leur histoire, avec très peu de moyens. L’humour et le stand-up ont toujours été très présents dans le monde queer et le monde LGBTQIA+.
« J’ai l’impression qu’il y a l’envie d’un humour où il n’y a pas encore les mêmes blagues homophobes, racistes… Un humour intelligent qui n’est pas problématique, qui pourrait même être absurde tout en étant intelligent. »
Lou Trotignon
Pour moi, le stand-up est politique, même si on fait de l’absurde et même si on est un homme qui parle de son pénis. Je pense que le stand-up est politique, même si on en a pas l’impression. Le stand-up est finalement communautaire. On parle de nos vies à la première personne pour que les gens se sentent concernés. C’est cet aspect-là qui me plaît, parce que même si aujourd’hui la cause a avancé, une femme avec un micro sur scène, c’est quelque chose, c’est un symbole. Peu importe ce dont elle parle, c’est quelque chose.
Quelle vision avez-vous de la scène stand-up queer aujourd’hui ?
Je fais ça depuis trois ans et pendant ce laps de temps, j’ai vraiment vu le milieu changer. Au début, il y avait très peu de scènes queers. Puis, je suis arrivé·e, on a travaillé pour en faire plus, pour remplir les salles. Tahnee, que je cite souvent, a commencé à marcher, Mahaut aussi ! Ce que je trouve très intéressant dans le retour que j’ai du public, c’est que souvent, des gens viennent me voir à la fin pour me dire qu’ils n’aimaient pas le stand-up parce que ça ne leur parlait pas. Ils ont découvert le stand-up justement, car certains thèmes leur parlaient.
Peu à peu, le public est revenu dans les salles grâce à l’émergence d’un humour queer et bienveillant. J’ai l’impression qu’il y a l’envie d’un humour où il n’y a pas encore les mêmes blagues homophobes, racistes… Un humour intelligent qui n’est pas problématique, qui pourrait même être absurde tout en étant intelligent.
Cette émergence-là permet aussi d’éduquer à travers l’humour…
L’un de mes chevaux de bataille, c’est de trouver la manière de faire rire les gens concernés, tout en ne perdant pas les gens qui ne sont pas concernés. Je veux les faire rire et faire en sorte qu’ils apprennent des choses. Ce premier spectacle est basé sur cette idée. Ça me passionne en termes de technique d’écriture : trouver cet endroit-là qui touche en même temps les personnes concernées et les personnes pas concernées.
C’est pédagogique parce qu’il faut que ça le soit, parce que si j’arrivais sur scène en parlant de transidentité sans rien expliquer, ce serait compliqué. Après, l’idée, c’est dans un second spectacle de lâcher ce côté explicatif et pédagogique. Pour vous raconter une anecdote, alors que je jouais à Auray, un couple de psychiatres hétéros de 50 ans est venu voir mon spectacle. Ils m’ont dit qu’ils avaient rigolé, appris des choses, mais surtout qu’ils se sentaient dorénavant plus à l’aise pour aider les adolescents. Je dis que l’on est obligé de faire de la pédagogie, mais quand j’entends ce genre de retour, je pense qu’on le fait pour les bonnes raisons.
« L’art, pour moi, vient des viscères, c’est presque existentiel, puissant. »
Lou Trotignon
En plus de la transidentité, vous évoquez votre passé dans les clubs de striptease, la quête d’une féminité et le BDSM. Aviez-vous peur d’aborder certains sujets sur scène ?
Je ne m’attendais pas du tout à parler de transidentité. Je voulais surtout évoquer le fait d’être perdu·e, mais, en continuant la scène, je me suis rendu compte que je n’étais pas tout à fait honnête sur quelque chose avec moi-même. La scène m’a amené·e à dire que je suis trans, mais je ne me suis jamais posé la question d’en parler ou pas. C’était tellement libérateur. Je crois d’ailleurs que ça se ressent dans le spectacle [rires] !
Quand j’ai commencé à en parler, ça a démarré quelque chose. Je n’ai pas eu le temps de me poser la question. J’ai l’impression que le fait de dire que je suis trans dans un comedy club quelconque était déjà quelque chose d’inédit. Je savais que je devais le faire. Je ne me sentais pas mis·e à nu parce que je voyais qu’on n’en parlait pas. Évidemment, j’avais peur, mais ça devenait plus grand que moi. L’art, pour moi, vient des viscères, c’est presque existentiel, puissant. On sent un véritable empowerment.
Quel défi Mérou a-t-il représenté en termes d’écriture ?
J’ai écrit mes premiers textes parce que je voulais parler de sujets dont on ne parlait pas dans le stand-up, ou alors on en parlait, mais de manière négative. Mon premier sketch portrait sur le BDSM. Je voyais des sketchs dans lesquels on se moquait des pratiques sexuelles dissidentes. Je ne comprenais pas, car j’adore ça ! Pourquoi est-ce si tabou ? Pourquoi est-ce si mauvais ? Pour le striptease, je ne voyais personne parler du travail du sexe, si ce n’est pour s’en moquer. J’ai vécu toutes ces choses et j’avais envie d’en parler en offrant un autre point de vue. J’ai écrit ces sketchs-là avec la volonté de proposer d’autres chemins de pensée. On les a ensuite mis ensemble dans un ordre un peu aléatoire.
Puis, au fur et à mesure, on a travaillé sur le spectacle avec mon metteur en scène et ma collaboratrice artistique pour trouver le lien et la structure. Le jour où j’ai fait ma mammectomie, je savais que ça allait être la fin du spectacle. Je sens que ce que je veux dire dans mon spectacle s’est aussi fini, dans ma vie, par ce moment de ma transition. Ma transition n’est pas terminée, parce que ça ne se termine jamais, mais quand je me suis réveillé·e après ma mammectomie, j’avais le sentiment qu’il s’était passé quelque chose.
« Je pense que doux, drôle et queer sont les trois mots qui résument bien mon univers. »
Lou Trotignon
Quand j’ai trouvé la fin de mon spectacle, on a travaillé pour mettre ensemble tous les textes et les sujets dont je parlais, avec l’opération en fil rouge du spectacle. Mérou est un spectacle au présent, car quand je parle de ma transition, je transitionne aussi sur scène. Je me souviens d’ailleurs quand je prenais des hormones, au début, ma voix changeait. Quand je faisais mon spectacle, j’avais des hauts et des bas de voix. Quand on sait ça justement, je pense qu’on lit le spectacle d’une autre manière. C’est très puissant.
Quel a été le sujet le plus difficile à écrire pour vous ?
Pour moi, c’est vraiment le sketch sur le striptease, parce que c’est un sujet bizarrement beaucoup plus tabou que le reste. En plus, j’ai quelque chose de l’ordre de la légitimité. Je n’en ai pas fait pendant longtemps, mais je traîne avec des personnes dont c’est le métier. Je me suis demandé quelle légitimité j’avais d’en parler, mais je me suis dit que c’était mon histoire, que j’avais le droit d’en parler, et surtout que ça n’empêchait pas les autres d’en parler. C’est aussi le cœur du spectacle dans lequel j’aborde aussi toute la part de féminité. Ça résonnait chez certaines femmes qui sont souvent venues me voir pour me dire qu’elles comprenaient.
Le spectacle a beaucoup évolué entre les rodages et les premières représentations. Évolue-t-il encore aujourd’hui sur scène ? Vous permettez-vous une part d’improvisation ?
Je pense que c’est ça qui fait le sel du métier. Il faut quand même toujours inventer de nouvelles choses. Avant de rentrer sur scène, je ne sais pas ce que je vais dire à l’avance. Ce sont des choses auxquelles j’ai pensé. Je me sens vraiment en présence avec le public lorsque j’arrive sur scène sans savoir ce que je vais dire. Il y a des petites choses qui se modifient, des blagues que j’en ai marre de faire ou que je n’ai pas envie de faire certains soirs. En revanche, la structure générale et le rythme sont extrêmement rodés. Tout est très calibré. Je suis obsédé·e par le rythme !
Dans quel état d’esprit êtes-vous avant de rentrer sur scène ?
Ça dépend où je joue. J’avoue que je suis toujours stressé·e à l’idée que ça ne marche pas, que ça ne rigole pas. Mais ce qui me fait le plus peur, c’est que je ne m’amuse pas sur scène. J’ai de plus en plus confiance en moi sur scène aujourd’hui. Je sais que mes blagues vont marcher, je les ai testées tellement de fois. Parfois, ça ne marche pas, bien sûr, même si je commence à voir ce qui fonctionne ou non. Ça dépend aussi si je suis en tournée. Je ne sais pas trop quel genre de public il va y avoir et, dans ce cas-là, ça rejoint davantage des peurs liées à mon propos.
Vous êtes à La Nouvelle Seine jusqu’en juin, avant de reprendre une tournée française à la rentrée. Comment appréhendez-vous les routes, les rencontres et le fait de jouer à travers la France ?
J’adore être en tournée, car c’est là où le spectacle évolue le plus, quand on l’amène ailleurs. Les gens m’ont souvent vu·e en plateau à Paris, ils ont déjà vu certaines blagues. En tournée, j’arrive et les gens ne me connaissent pas. C’est vraiment magique et j’apprends beaucoup plus. La dernière date en tournée qui m’a marqué, c’est Troyes. Il y a très peu de personnes qui sont “queer out”. C’était difficile de vendre un spectacle comme ça dans une ville où ce n’est pas le mood. Avec ces 28 personnes, c’était incroyable. Elles voulaient être là et je me suis rappelé que ce n’était pas le nombre qui faisait le succès. Je trouve aussi que dans ce cas, le fait d’aller loin, de faire des tournées, ça a du sens.
Qui sont vos modèles dans le stand-up ?
C’est peut-être très classique, mais je dois forcément citer Florence Foresti et Jamel Debbouze. Foresti parlait des choses de femmes comme je ne l’avais jamais vu avant et Jamel parlait d’oppression. C’était une vraie personne concernée qui avait vécu ces oppressions-là et qui les amenait sur scène. C’étaient de grands modèles. Il y a aussi eu Blanche Gardin. Puis Tahnee et Shirley Souagnon, qui ont été mes fondamentaux et qui le sont encore aujourd’hui.
Comment pourrait-on résumer votre univers en trois mots ?
Je dirais que c’est un univers doux, parce que c’est souvent un retour qu’on me fait et je crois que c’est quelque chose que j’ai vachement voulu mettre sur scène. Je ne vais pas tacler les gens dans le spectacle, mais ça ne veut pas dire que ce n’est pas drôle. D’ailleurs, j’espère que mon univers est drôle aussi ! Enfin, je dirais aussi queer. Je pense que doux, drôle et queer sont les trois mots qui résument bien mon univers.
Quelle est l’étape d’après pour vous ? Quel est le prochain rêve ?
La prochaine étape, c’est de trouver un endroit pour faire la captation de mon spectacle dans une grande salle et de continuer à me faire connaître. L’idée ne serait pas forcément de le faire dans une salle iconique, mais plutôt dans un lieu qui a du sens dans la cause des personnes transgenres ; qui a une belle symbolique. La question du lieu se pose encore, mais aussi celle de l’endroit où le diffuser, car j’aimerais qu’il soit le plus accessible possible aux gens. Cependant, c’est très compliqué d’avoir des chaînes accessibles aux gens avec des captations. Pourrons-nous le vendre ? Est-ce qu’on le met carrément sur YouTube ? Je n’en sais rien, mais mon rêve c’est que ce soit archivé quelque part.
Quel est votre dernier coup de cœur culturel ?
La pièce Les Chatouilles m’a énormément marqué·e, parce que le lien entre le corps et l’humour sur scène était incroyable. J’ai aussi beaucoup aimé Inside de Bo Burnham. Ça a dépassé l’entendement du stand-up. C’est un artiste très inspirant.
Mérou, de Lou Trotignon, à la Nouvelle Seine jusqu’au 28 juin (complet) et du 13 septembre au 21 décembre 2024 à 21h. En tournée dans toute la France les 19 et 20 juin à Aix-en-Provence, puis du 18 octobre au 23 novembre 2024. Les 3, 4, 5 et 13 Juillet au Théâtre des Béliers à 22h35, dans le cadre du Festival d’Avignon.