Décryptage

Quand l’intelligence artificielle tente de concurrencer le génie de Beethoven

19 novembre 2021
Par Michaël Naulin
Portrait de 1820, par Joseph Karl Stieler, de Ludwig van Beethoven en train de composer la Messe solennelle en ré majeur.
Portrait de 1820, par Joseph Karl Stieler, de Ludwig van Beethoven en train de composer la Messe solennelle en ré majeur.

Un doctorant de l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne (EPFL) a élaboré, grâce à l’intelligence artificielle, une version 10.1 de la 10e symphonie inachevée de Beethoven. Plus récemment, un autre projet a été présenté à Bonn, en Allemagne. De quoi se demander si la machine n’est pas en train de dépasser l’artiste.

Faut-il applaudir le maître ou le robot ? Les spectateurs du Victoria Hall de Genève ont vécu une expérience inédite en septembre dernier : ils ont assisté à un concert dont les partitions ont été composées par une intelligence artificielle. La star de la soirée a les cheveux longs, des lunettes, et un air réservé au moment d’arriver sur scène. Florian Colombo, jeune chercheur et violoncelliste, est le créateur de “BeethovANN” (“ANN” correspondant à l’acronyme anglais de « réseau de neurones artificiels »), ce morceau inédit composé par un programme informatique à partir d’un fragment de la 10e symphonie inachevée de Ludwig van Beethoven.

Une composition sans intervention humaine

Comment un supercalculateur peut-il entrer dans l’esprit d’un compositeur ? Tout est question d’apprentissage. Il a fallu sept ans de recherche au jeune scientifique pour concevoir son programme mélomane. « Réfléchir à comment modéliser mathématiquement la musique, c’est très créatif », raconte le doctorant.

Avant de s’attaquer à la symphonie, Florian Colombo a d’abord entraîné sa machine à reproduire la chanson Frère Jacques. Défi relevé. Vient ensuite l’étape de la composition. Pour poursuivre, en quelque sorte, la 10e symphonie inachevée de Beethoven, le mathématicien a greffé à la machine la signature du compositeur. Il explique : « C’est une composition entièrement imaginée par les neurones artificiels qui ont été entraînés sur les seize quatuors à cordes de Beethoven et qui interagissent avec un fragment de la 10e que l’on a choisi. C’est une expérience de composition sans intervention humaine. »

En 2019, l’entreprise chinoise Huawei avait “achevé” une œuvre incomplète de Schubert, mais grâce à l’intervention d’un compositeur qui avait construit une symphonie à partir des propositions mélodiques données par l’ordinateur. Ici, le processus est différent. La partition a été imprimée le matin même de la date du concert, sans intervention du chef d’orchestre sur la partition. Lui et les musiciens n’ont eu que quelques heures pour s’imprégner de la création rendue par la machine.

Robot-artiste ?

La question brûle les lèvres. Beethoven risque-t-il de se voir détrôné par une machine ? Le résultat, un morceau d’une dizaine de minutes, a été interprété par l’orchestre de jeunes musiciens suisses NEXUS sous la direction du chef Guillaume Berney. Nous sommes loin de la cacophonie. Les violons s’expriment avec harmonie, on retrouve presque le même phrasé qu’au début de la symphonie inachevée. Mais – il y a un « mais ». Un on-ne-sait-quoi qui sonne faux. C’est propre, trop propre même, et il manque un ingrédient… Lequel ? Le chef d’orchestre Guillaume Berney apporte la réponse : « Il manque un fil conducteur. Il y a ce côté un peu convenu dans la musique. Un manque de structure. Il y a l’absence de ce côté génial du compositeur. » Voilà l’ingrédient manquant : le génie artistique, le supplément d’âme. Florian Colombo est d’ailleurs très clair à ce sujet : « La machine n’est pas géniale. L’intelligence artificielle ne remplace pas l’artiste, ni le compositeur. »

Pour le violoncelliste et scientifique, son programme a vocation à rendre plus accessible la composition, à une portée de clics, et à aider les compositeurs de tous niveaux à croiser les styles. Un outil au service des musiciens, plutôt qu’un robot-artiste. Que Beethoven se rassure, le génie artistique n’est pas encore à portée d’un simple code informatique… Alors que l’on célébrait le 250e anniversaire de sa mort en 2020, sa 10e symphonie fascine toujours – puisqu’au mois d’octobre, un autre projet d’envergure est né : Beethoven X – The AI Project, une version achevée par une intelligence artificielle initiée par Deutsche Telekom et interprétée à Bonn. Mais là encore, le maître peut se rassurer : le génie reste encore et toujours une énigme pour la machine. Et c’est tant mieux.

Article rédigé par
Michaël Naulin
Michaël Naulin
Journaliste