Composer la musique d’une série produite par Booba n’est pas un mince défi. Pourtant, Clément Dumoulin l’a relevé haut la main. Disponible depuis ce jeudi 28 mars sur Prime Vidéo, Ourika est l’occasion d’entendre les thèmes rap et les scores imaginés par le compositeur. Un travail sur lequel l’artiste est d’ailleurs revenu auprès de L’Éclaireur durant le festival Séries Mania, en partenariat avec la Sacem.
Qu’est-ce qui fait une bonne bande originale ?
Je pense qu’une bonne bande originale se mesure à l’impact qu’elle a sur le spectateur. Elle est au service du film ou de la série et permet de lui offrir un style, d’étoffer la narration, de favoriser le rythme et de créer une ambiance. En fonction de l’objectif, des besoins, du montage et de l’histoire, la musique remplit différents rôles. Dès qu’on crée la BO, on espère qu’elle ira dans le sens de ce qu’on veut lui faire raconter. Pour moi, une bonne bande originale est une bande originale dont on se souvient.
Ourika est une série produite par Booba, avec qui vous avez déjà travaillé. Comment avez-vous appréhendé cette expérience ?
Je l’ai appréhendée avec toute la mesure nécessaire pour aborder un projet ambitieux comme Ourika. J’avais conscience de la chance que j’avais de me retrouver sur un projet aussi formidable. Cette série a été l’occasion de retrouver Booba, mais elle représente aussi un terrain de jeu exceptionnel. Pour un compositeur, pour un créatif comme moi, c’est extraordinaire parce que c’est un endroit où j’ai pu vraiment essayer des choses.
Avec Booba, on a cherché à faire une musique qui nous ressemble, un peu différente de ce que l’on a l’habitude d’entendre dans ce type de cinéma. Ourika est un polar et le polar a des codes. Le véritable défi était d’allier le rap, la musique qui nous ressemble et que l’on aime, aux codes du polar. Ça a été un travail fastidieux, parce que le rap est une musique qui a énormément de caractère. Il fallait donc laisser toute la place à cette musique sans qu’elle écrase l’image. Il fallait la rendre narrative au-delà de l’expression pure du style qu’elle offre. Il fallait aussi la faire évoluer, qu’elle soit toujours là, qu’on l’entende ou pas. Il fallait qu’elle soit à la bonne distance. C’est l’objectif que l’on se fixe tous quand on est au service d’un film ou d’une série.
Est-ce différent de travailler au service d’une œuvre qui est pilotée par une personne qui est dans le milieu de la musique ?
Chaque film ou série a sa personnalité et ses caractéristiques. Sur Ourika, avec Booba, on parlait le même langage et on s’est immédiatement compris. Ce qui est parfois difficile quand j’arrive sur un projet, c’est d’établir un langage commun, notamment avec des gens qui ne connaissent pas la musique ou qui n’ont pas sa technicité.
Plus tôt j’arrive sur un projet, mieux c’est, parce que ça permet au moins d’établir un langage commun avec le réalisateur ou la réalisatrice et les équipes du montage. Avec Booba, nous avions la même sensibilité et nous avons avancé tout droit.
Comment s’est déroulée cette nouvelle collaboration, notamment en termes de propositions artistiques ? Booba avait-il déjà une idée ? Lui avez-vous présenté les vôtres ?
Tout se passe dans l’échange, toujours. Chacun était force de proposition, à commencer par Booba évidemment, qui était sur le projet avant moi. Je suis arrivé sur la série au moment du tournage et au début du montage. À ce moment-là, Booba avait déjà mis en place une ligne artistique tournée vers le rap, très moderne, très esthétique. C’était super ! Il m’a fait écouter des choses, puis comme j’avais une autre idée qui n’était pas loin de la sienne, mais qui me paraissait plus narrative, nous avons travaillé ensemble.
« Le véritable défi était d’allier le rap, la musique qui nous ressemble et que l’on aime, aux codes du polar. »
Clément Dumoulin
Il avait trouvé un son qui allait aussi dans le sens de ce que voulait l’équipe de montage, ainsi que Marcella Said et Julien Despaux, les réalisateurs. Ça a été un vrai travail d’équipe. Je me suis mis au service de la série. J’ai d’ailleurs tendance à dire que l’on ne me paie pas que pour faire de la musique, mais aussi pour fédérer les sensibilités. Au départ, ce qui était délicat, c’était de trouver quelque chose qui nous permette de réunir les sensibilités de Booba, de Marcela, les miennes, et celles de tout le monde. C’est toujours long, surtout quand on a cette volonté de faire une musique qui a du caractère. Ce sont des choix qui ne sont pas évidents, mais tout s’est bien passé.
Quelles émotions vouliez-vous transmettre à travers la musique d’Ourika ?
Ce qui était important, avant tout, c’était d’attribuer des émotions à des personnages lorsque l’on considérait qu’il leur en manquait. Je cherchais parfois à les humaniser. Dans cette série, tout va très vite. Il y a donc des moments où on assume d’être premier degré, d’avoir une musique de caractère, parfois excessive, pour des raisons notamment de rythme et d’esthétique.
Et puis, comme je l’ai mentionné, on avait aussi envie d’humaniser certains personnages, de leur donner un peu d’émotion. Je le faisais certaines fois avec retenue, parfois avec plus d’excès. Tout dépend du moment, finalement. Pour vous donner un exemple, j’ai développé tout un thème autour de la famille Jebli ; un thème un peu arabisant pour illustrer l’histoire de cette famille. Dans une autre scène, durant une conversation entre Driss et sa femme, je déchire le thème d’une manière un peu excessive, dans une envolée au violon.
On essaie toujours plein de choses sur la musique. Elle est constamment en mutation. Parfois, on est séduit par ce qu’il se passe. Puis, le montage bouge, et on a envie de refaire. En termes d’émotions, on a envie de créer de l’empathie pour les personnages, mais aussi certaines fois de couper toute empathie.
Quelles ont été vos inspirations pour composer la musique de la série ?
Je n’ai pas vraiment eu d’inspiration. Je pense que l’on a essayé de faire quelque chose de moderne, qui nous ressemble. On voulait vraiment essayer d’allier le rap avec le score. On voulait mélanger le rap avec des techniques de production modernes qui ne sont pas marquées uniquement dans l’époque. On voulait quelque chose d’intemporel parce que le rap, en vérité, quand tu l’écoutes, tu sais exactement quand il a été produit. Tu reconnais ça en fonction des sons de batterie ou du type d’arrangement…
Par moments, je suis parti dans des arrangements très modernes, comme la drill. J’adapte un peu ces techniques très modernes au score. Il s’est passé tout un tas de choses. Bien sûr, on est aussi revenu vers du score pur pour coller aux classiques du polar. On y revient forcément !