Entretien

Entre les lignes avec Marion Fayolle : “Le dessin est dans le texte, j’écris à partir des images”

27 mars 2024
Par Léonard Desbrières
Marion Fayolle a sorti, cette année, son premier roman, Du même bois.
Marion Fayolle a sorti, cette année, son premier roman, Du même bois. ©Gallimard/Francesca Mantovani

Chaque mois, L’Éclaireur lit entre les lignes afin de percer la carapace d’un auteur ou d’une autrice. Aujourd’hui, c’est Marion Fayolle, à qui l’on doit le récent Du même bois, qui se prête à l’exercice de l’entretien décalé.

On adorait déjà l’illustratrice et l’autrice de BD, on est aujourd’hui sous le charme de la romancière. Marion Fayolle réussit une entrée remarquée dans la « Blanche » de Gallimard. Roman social, récit intime, long poème en prose : Du même bois (Gallimard) est une ode mélancolique à un lieu perdu et à un temps révolu. Marion Fayolle se remémore la ferme familiale en Ardèche, raconte cette ruralité belle mais rude où les différentes générations cohabitent, où le quotidien s’articule autour des bêtes, où le silence règne et les blessures se dissimulent. Avec un verbe rempli d’images qu’on aimerait voir dessinées, elle s’interroge sur ce que faire famille signifie et interroge le poids du souvenir dans la transmission.

Abordons la genèse du livre. Comment cette aventure romanesque a-t-elle commencé ? Qu’est-ce qui vous a poussée à écrire sur la ruralité et ce monde que vous connaissez bien ?

J’ai grandi en Ardèche et j’ai passé une grande partie de mon enfance dans la ferme familiale. Quand mon oncle, éleveur, a pris sa retraite, mes cousins n’ont pas repris la ferme. J’appartenais à cette génération-là, à cette jeunesse qui aspire à autre chose, et je crois que j’étais animée par une sorte de mélancolie quand j’ai décidé d’écrire. Faire ce livre, c’était une façon de lutter contre cette tristesse. Une façon aussi d’hériter de la ferme, de la métamorphoser pour ne pas la voir mourir.

Pourquoi avoir ressenti le besoin d’écrire cette histoire et non pas de la dessiner ?

Pour ce livre, le paysage est très important, la cohabitation entre les générations aussi. Dans mes dessins, les corps se déplacent sur des fonds blancs, les personnages n’ont pas d’âge. Mes images sont très dépouillées, presque naïves, et je n’arrivais pas à embrasser ce sujet-là. Avec les mots, c’était plus facile. Je pouvais aussi raconter les bruits, les odeurs, le climat. Je pense néanmoins que ce premier roman contient beaucoup d’images. Même si elles n’apparaissent pas, elles se font fantômes, elles irriguent le texte.

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Comment le passage entre le roman graphique et le roman tout court s’est-il déroulé ? L’élan créatif pour dessiner un album ou pour écrire un roman est-il le même ?

Je dis toujours que le dessin est une littérature. Donc finalement, l’élan est le même, les outils un peu différents. Les mots permettent d’autres nuances, d’autres couleurs, mais, pour moi, c’est presque la même chose. Je ne vois pas de distinction.

On parle souvent de cases et d’étiquettes dans le milieu littéraire français, et des difficultés à s’affranchir des formats. La question de la légitimité s’est-elle posée au moment de vous lancer dans ce premier roman ?

Au moment de l’écriture, la question ne se posait pas. L’envie d’écrire était très puissante et je ne savais pas si j’écrivais un livre ou si j’écrivais pour moi. Je voulais m’émanciper de toutes les pressions, ne pas sacraliser l’acte d’écrire, en garder simplement le plaisir. Une fois le texte terminé, j’étais plus fébrile. Je ne savais pas s’il était à la hauteur, s’il pouvait être un livre. Quand le comité de lecture de Gallimard m’a donné sa réponse, j’étais très étonnée, mais aussi heureuse d’avoir osé faire ce pas-là.

Avez-vous l’impression d’écrire comme vous dessinez, de raconter des images, de peindre un décor, des paysages ?

Le dessin est dans le texte, j’écris à partir des images. Ce sont elles qui me guident, qui tissent des fils et des histoires. On retrouve aussi le vocabulaire de la gravure et la question du modèle. Comme dans mes illustrations, je crée des collages, des analogies, les personnages se fondent les uns dans les autres, les animaux et les humains se superposent, les générations s’assoient sur le muret et font un dégradé.

On sent parfois du Pagnol et du Giono dans vos lignes. Est-ce que ce sont des références pour vous ?

J’ai lu Giono quand j’étais plus jeune, mais je ne sais pas si on peut parler de référence. Il faudrait que je m’y replonge.

« Quand je commence un nouveau livre, je renverse la boîte, je vide les pièces et, avec les mêmes jouets, je recommence à me raconter une histoire, j’improvise, j’invente de nouvelles compositions, je remplis les cases autrement. »

Marion Fayolle
Autrice

Quels souvenirs gardez-vous de cette enfance rurale, dans la ferme familiale ?

Ce que je retiens, c’est une enfance très libre, avec des paysages entiers pour jouer. Une connaissance des animaux, de la nature, transmise par mes grands-parents. Aujourd’hui encore je vis à la campagne, dans la Drôme, avec des animaux. Tout ça demeure très vivant et n’appartient pas simplement au passé ou à l’enfance.

La question de l’héritage et de la transmission est partout dans votre livre. Est-ce une question qui prend un tout autre sens dans le monde rural et agricole ?

Déjà, dans mon recueil de dessins Les Petits, je questionne beaucoup la transmission et la parentalité. Ici, dans cette ferme, la transmission est vraiment au centre des vies. Depuis des générations et des générations, on prend la vie de ses parents, on écrit la suite, on prolonge l’histoire, on recopie le modèle. M’interroger sur l’héritage dans ce lieu et dans ce cadre-là, c’était très fort, ça résonne peut-être plus que dans d’autres milieux.

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Tout comme le féminin, d’ailleurs. Que signifie être une femme à la ferme ?

Je ne sais pas si j’apporte vraiment une réponse à cela, mais il se trouve que je suis une fille et que j’étais la seule fille. J’ai beaucoup joué avec des garçons, je n’ai pas vraiment senti une différence entre eux et moi avant l’adolescence. Le désir, la découverte de la sexualité, la gestion des émotions et de la sensibilité, la maternité sont aussi des questions essentielles dans ce livre, et dans mon travail en général.

Comment fait-on pour mettre en mots un monde qui ne parle pas, un monde taiseux, fait de silence ?

Ce n’est pas parce que l’on ne parle pas que l’on ne communique pas. Je tenais aussi à montrer que le silence peut être une parole, que faire à manger peut être une façon de témoigner de l’amour, que passer du temps à travailler ensemble, à faire les mêmes gestes est aussi un dialogue. Pour la gamine, le manque de mots est une violence, elle en a besoin et les gens autour ne savent pas s’y prendre avec elle, parce qu’ils ne savent pas s’y prendre avec les mots et avec les émotions. Pour moi, le beau-frère qui vit derrière le mur de la cuisine est aussi une métaphore de ce que l’on refoule. On aimerait l’oublier, mais on l’entend taper derrière les murs, on sent sa présence. À lui seul, il est ce que l’on ne veut pas voir et ce que l’on ne peut pas dire.

Le défi et l’expérimentation sont-ils des moteurs créatifs chez vous ?

Je n’aime pas savoir où je vais quand je commence un livre, c’est important pour moi de réussir à me surprendre moi-même. Je cherche constamment des espaces de jeux, d’expérimentation et de déséquilibre.

Concevez-vous ce livre aussi comme un hommage à un monde qui disparaît, qui se meurt en silence ? 

Je ne veux pas généraliser, parce que j’ai aussi des amis qui reprennent des fermes et je crois que ce monde-là change, mais ne se meurt pas. Beaucoup de fermes s’éteignent, mais de plus en plus de gens ont aussi envie de retourner à la terre.

Avez-vous un rituel créatif particulier ?

Quand je commence un nouveau livre, je renverse la boîte, je vide les pièces et, avec les mêmes jouets, je recommence à me raconter une histoire, j’improvise, j’invente de nouvelles compositions, je remplis les cases autrement. Les personnages traversent les livres, changent de rôle, mais comme je suis seule à jouer, ils ont tous la même voix, je ne cherche pas à m’en cacher.

Quelle place les livres avaient-ils dans votre enfance ?

Les livres étaient présents, mais je n’étais pas toujours plongée dedans. J’y cherchais des modèles pour mes dessins !

Quel a été votre premier coup de cœur littéraire ?

Je crois qu’il s’agit de Clair de femme de Romain Gary

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Quel a été votre premier coup de cœur dessiné ?

Il s’agit de Roland Topor !

Quelle est l’œuvre que vous auriez aimé écrire ?

Mon prochain livre !

Quel est le chef-d’œuvre ultime pour vous ?

C’est La Maman et la Putain de Jean Eustache. C’est un film doudou que j’ai regardé de très nombreuses fois.

Bande-annonce de La Maman et la Putain.

Quel est le héros de fiction qui vous fascine ?

J’aime beaucoup le personnage de l’amie dans Le Genou de Claire. Être une amie, c’est un rôle qui compte pour moi.

Quels convives inviteriez-vous à table pour un dîner parfait ? 

Je ne suis pas certaine qu’un dîner avec plein de personnalités soit un dîner parfait ou agréable. Je préfère être entourée de mes amis, de mon amoureux et de mon fils, de cette famille-là. La vraie et celle que l’on se fabrique.

Quel est votre dernier coup de cœur culturel ?

Encore un roman ! Il s’agit de Sauf les fleurs de Nicolas Clément.

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