Décryptage

Princess Peach: Showtime! : comment l’héroïne tire enfin un trait sur son passé de victime et met une claque à Mario

22 mars 2024
Par Valérie Précigout (Romendil)
Les joueurs Switch ont rendez-vous avec “Princess Peach: Showtime!" le 22 mars.
Les joueurs Switch ont rendez-vous avec “Princess Peach: Showtime!" le 22 mars. ©Nintendo

Les temps ont changé. Le jeu vidéo n’est plus l’apanage des joueurs masculins et les demoiselles en détresse prennent désormais le contrôle de leur destin. Le film Super Mario Bros. nous présentait déjà la nouvelle princesse Peach en tant que véritable femme d’action. Et le nouveau jeu qui lui est dédié va encore plus loin !

Lorsque Nintendo dévoile les premières images de Princess Peach: Showtime! en vue d’une sortie fixée au 22 mars 2024 sur Switch, on s’interroge. Le titre a-t-il été conçu uniquement dans le but de séduire le jeune public féminin pour une initiation en douceur aux jeux vidéo ? Ou bien illustre-t-il la volonté de Nintendo d’accorder une place plus grande à ses héroïnes ? Sans doute un peu des deux. Car, s’il cumule les clichés relatifs à ce que l’on considère communément comme « les jeux pour filles », il a aussi le bon goût d’aller plus loin dans sa volonté de donner aux femmes un rôle moins passif que par le passé.

©Nintendo

Une princesse peut en cacher une autre

C’est ainsi que la princesse Peach s’émancipe subitement de l’image de victime qui lui colle à la peau depuis des décennies pour nous prouver qu’elle est parfaitement capable de se défendre seule. Pas de Mario, donc, dans Princess Peach: Showtime. La princesse multiplie les rôles pour incarner une femme d’action maîtrisant toutes les disciplines. Au-delà des clichés inévitables (Peach patine sur la glace et fait de la pâtisserie), on a plaisir à voir la demoiselle troquer sa légendaire robe rose contre des costumes nettement plus adaptés à la pratique de l’escrime ou du kung-fu.

Sur fond de spectacle théâtral, le jeu semble vouloir s’autoriser toutes les fantaisies. Peach s’y révèle aussi bonne cavalière que détective privée ou agente secrète. Et si elle conserve toute sa féminité sous sa forme de chanteuse sirène, elle sait aussi donner des claques en maîtrisant les arts martiaux et les compétences de ninja. D’héroïne à super-héroïne, il n’y a qu’un pas, on ne s’étonnera donc pas de voir la princesse enfiler aussi une combinaison de justicière de l’espace pour sauver le monde.

Des transformations en pagaille qui auraient de quoi faire pâlir n’importe quelle magical girl tant le délire est poussé au maximum. Comme si, en un seul jeu, la figure la plus passive de tout l’univers Nintendo essayait d’enfiler davantage de casquettes que Mario durant sa longue carrière de plombier ! Et s’il fallait y voir surtout un changement de cap dans la politique du constructeur ?

©Nintendo

Les femmes à la conquête du jeu vidéo

À l’issue de ses 40 dernières années d’évolution, le jeu vidéo affiche encore une nette prédominance de personnages jouables masculins. 61 % d’entre eux sont des hommes sur l’année 2022 selon l’étude de Diamond Lobby relayée par l’association Women in Games France, mais ce pourcentage était de 79,2 % entre 2017 et 2021. Le bilan est édifiant : en dépit d’une tendance à l’amélioration, « il est clair que la représentation des hommes et des femmes dans les jeux vidéo n’est pas encore égale », pour reprendre les termes exacts de cette étude très documentée.

Nintendo va-t-il accorder plus de place à ses héroïnes ?©Nintendo

Ce constat s’illustre d’ailleurs très bien à travers la ludothèque des jeux Nintendo, où les héroïnes se comptent encore sur les doigts de la main. Les premiers protagonistes féminins y étaient souvent relégués au simple rôle de « potiches » à délivrer : c’était le cas de Pauline (Donkey Kong), de Peach bien sûr (Super Mario Bros.), mais aussi de la princesse Daisy.

Et si cette dernière va devenir une figure récurrente de la franchise à partir de Super Mario Land, c’est seulement parce que Nintendo devine l’urgence d’inclure quelques personnages féminins dans ses titres multijoueurs (Mario Kart, Mario Party, Super Smash Bros.…) afin de satisfaire les joueuses. Et tant pis si Daisy n’est en réalité qu’un simple clone de la princesse Peach en termes de design, il faudra s’en contenter.

Daisy fait acte de présence dans les séries Mario Party, Super Smash Bros. ou Mario Kart.©Nintendo

Passives et sans défense, les demoiselles de Nintendo semblent vouées à toutes se ressembler et ne doivent surtout pas venir concurrencer les héros masculins. D’ailleurs, en dehors du jeu Super Princess Peach sur Nintendo DS, qui s’amusait des excès d’émotivité de son héroïne pour offrir enfin un premier rôle à la demoiselle à l’ombrelle, Peach semblait condamnée elle aussi à rester éternellement dans l’ombre de Mario.

Mais, à la lumière de la transformation opérée dans le film d’animation Super Mario Bros. où l’on peut voir Peach donner une leçon de maîtrise à Mario en matière de plateforme, il n’est pas si surprenant de la retrouver en véritable caméléon dans le jeu Princess Peach: Showtime!

La place des héroïnes selon Nintendo

Même l’identité de Samus Aran, vedette de la série Metroid, avait été délibérément cachée aux joueurs par les concepteurs du jeu original. Comme si le fait de savoir que le personnage n’était pas un homme risquait de les dissuader de s’adonner au soft. Nous sommes alors en 1986 et seuls les joueurs ayant réussi l’exploit de terminer Metroid sur NES en moins de cinq heures avaient le privilège de découvrir « le chasseur de l’espace » sans son casque… réalisant avec stupeur qu’il s’agissait d’une femme.

Un code permettait aussi de voir Samus privée de sa combinaison spatiale intégrale sans avoir à terminer le jeu en moins de trois heures, preuve que la féminité du personnage était alors surtout utilisée comme une source de motivation à destination des joueurs masculins. Depuis, Nintendo a compris que la saga Metroid avait tout à gagner à afficher l’image d’une femme forte dans un premier rôle, n’hésitant pas à souligner son physique avantageux dans Metroid: Zero Mission où elle n’hésite plus à se débarrasser de son encombrante armure spatiale pour gagner en agilité et en furtivité.

Évolution de l’apparence de Samus dans la saga Metroid

Si l’on observe attentivement la nature des jeux faisant intervenir des personnages féminins dans l’univers Nintendo, on se rend compte que la grande majorité de ces héroïnes n’ont été créées que pour servir de bouche-trous. Ainsi, Toadette n’existe que pour permettre à Mario Kart et Mario Party d’offrir plus de choix aux joueuses qui cherchaient désespérément des personnages féminins à incarner. Elle doit donc se contenter d’apparitions très secondaires dans les autres titres de Nintendo.

Même constat pour Harmonie qui aurait pourtant dû être la véritable star de Super Mario Galaxy. Au lieu de cela, elle ne devient réellement jouable que dans les épisodes hors-série où il est possible de la découvrir en version… bébé !

Est-ce tout ce qu’il reste d’Harmonie, le personnage central de Super Mario Galaxy ?©Nintendo

Une pionnière nommée Zelda ?

Longtemps reléguée, elle aussi, au rôle de princesse en détresse (dans une série qui porte pourtant son nom !), Zelda a dû patienter de longues années avant que Nintendo ne se décide à lui accorder une place plus reluisante. Il lui a fallu profiter du passage en 3D pour se grimer discrètement en guide masculin dans le fameux The Legend of Zelda: Ocarina of Time. Et même si l’on ne sait toujours pas s’il s’agit d’un déguisement ou d’une transformation, le rôle que Zelda joue sous l’identité de Sheik en fait l’un des personnages les plus inoubliables de toute la série.

Une double identité qui lui colle d’ailleurs à la peau puisqu’on la retrouvera ensuite grimée en pirate méconnaissable dans The Wind Waker. Nous sommes en 2002 et, même si les premiers rôles féminins restent encore très minoritaires dans le jeu vidéo, le changement des mentalités est en train de s’installer, même chez Nintendo.

La révélation de l’identité de Sheik est le point culminant de The Legend of Zelda: Ocarina of Time.©Nintendo

Mais qui se souvient de Linkle, l’improbable pendant féminin de Link dans Hyrule Warriors Legends, un jeu d’action permettant d’incarner un florilège de personnages issus de la saga The Legend of Zelda ? Créée spécialement pour l’occasion, Linkle y apparaissait comme une Hylienne au physique très proche de celui du héros de la série. Elle arborait une tunique verte, de longues bottes en cuir et des nattes blondes, mais elle se révélait surtout redoutable à l’arbalète. Le jeu date seulement de 2016, mais Linkle semble déjà être tombée dans l’oubli, Nintendo n’ayant visiblement pas trouvé l’inspiration nécessaire pour exploiter ce personnage au-delà des épisodes d’Hyrule Warriors.

Qui se souvient encore de Linkle, le pendant féminin de Link dans Hyrule Warriors Legends ?©Nintendo

Peach, future Bayonetta ?

Il y a pourtant bien une star des consoles Nintendo qui tranche avec l’image bien proprette des autres héroïnes du constructeur : Bayonetta. On la doit à PlatinumGames, qui a étonnamment choisi d’en faire une exclusivité sur les consoles Nintendo à partir des épisodes 2 et 3. Sous la houlette du réalisateur de Devil May Cry, Hideki Kamiya, l’action survoltée de Bayonetta a su mettre tout le monde d’accord.

Il faut reconnaître que la sorcière de l’Umbra ne manque ni de charme, ni d’humour, ni de panache pour se débarrasser de ceux qui la collent un peu trop, avec toute la démesure qui la caractérise. Son arsenal démoniaque aura fait trembler la Wii U puis la Switch, tandis que l’héroïne se plaisait à ridiculiser les personnages masculins.

Mais il reste tout de même beaucoup de chemin à faire avant que la princesse Peach ne voie son image évoluer au point de rivaliser avec la sorcière la plus badass de toute l’histoire du jeu vidéo. Cela dit, Princess Peach: Showtime! n’est peut-être que la toute première étape d’une longue transformation à venir…

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