Entretien

Furies : “Imaginer un duo de personnages féminins badass était un choix politique”

13 mars 2024
Par Agathe Renac
“Furies” est disponible depuis le 1er mars sur Netflix.
“Furies” est disponible depuis le 1er mars sur Netflix. ©Netflix

Deux semaines après son arrivée sur Netflix, Furies est toujours dans le Top 3 des séries les plus visionnées de la plateforme. Ses créateurs, Yoann Legave et Jean-Yves Arnaud, se sont prêtés au jeu de l’interview pour nous faire entrer dans les coulisses de ce show événement.

Développer une série d’action française était un pari plutôt risqué. Pourquoi souhaitiez-vous vous lancer dans cette aventure ?

Yoann Legave : C’est un genre qu’on adore et qu’on suit depuis des années, aussi bien du côté des Coréens que des Américains et des Anglo-Saxons. Malgré leur succès à l’étranger, la France n’explore plus vraiment ce type de récits et de mythologies. Il faisait pourtant partie de l’ADN de nos productions il y a quelques années, même du temps de l’ORTF – oui, j’ai cité l’ORTF (rires) ! On était persuadés que ce crime organisé, cette action et tout l’univers qui tourne autour pouvaient très bien fonctionner chez nous. On avait très envie de se lancer dans cette aventure, mais ces productions coûtent cher et Netflix nous a donné les moyens de le faire.

Jean-Yves Arnaud : Yoann a raison, il y a toute une culture française – notamment les films de Jean-Pierre Melville et Henri Verneuil – qu’on a un peu oubliée. Pourtant, l’action nous offre un genre très mythologique, très puissant. On peut créer des personnages hors normes. On adore cette écriture qui mélange les genres et développe un univers qui nous sort de notre quotidien et nous fait vivre des choses très cathartiques.

La plupart des têtes d’affiche des films d’action sont des acteurs très stéréotypés. À l’inverse, votre série est portée par un duo féminin efficace et ultra badass. Pourquoi était-ce important pour vous de bousculer les codes ?

J-Y. A. : C’est un choix politique.

Y. L. : Absolument. On consomme beaucoup de films d’action avec des hommes très forts, virils et puissants, et on s’est dit qu’on aimerait créer un nouvel univers avec d’autres figures. Pour des raisons politiques et créatives, on voulait réinventer le genre en imaginant deux personnages féminins effectivement très badass. C’était très important pour nous qu’elles soient aussi fortes que toutes ces figures masculines qu’on adore. C’était un sacré défi de dénicher des actrices qui dégagent cette force et on est très contents d’avoir trouvé Lina et Marina pour jouer avec nous.

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J-Y. A. : Que ce soit pour écrire ou présenter une série aux diffuseurs, on doit trouver des références. On a alors réalisé qu’il y a très peu de femmes fortes dans les films d’action – et c’est encore plus difficile de trouver un duo féminin qui n’a pas de relation mère-fille. On est entré dans une sorte de “no woman’s land”. Pourtant, on a été élevé par des femmes puissantes, on est entourés par des figures féminines tout aussi fortes et on voulait leur rendre hommage. En tant que papa de deux petites filles, c’est important pour moi qu’elles grandissent avec ces modèles. Elles ne seront pas obligées de se demander : “Ça donnerait quoi, un Jason Statham avec des cheveux longs ?” Attention on est hyper fans de Jason Statham, The Rock et compagnie, mais Marina et Lina incarnent le genre avec brio, et proposent autre chose qu’une simple mâchoire serrée et des sourcils froncés.

Justement, vous avez déniché un casting prestigieux et on est très impressionnés par le jeu de Lina El Arabi, Marina Foïs et Mathieu Kassovitz dans les scènes d’action. Quel type d’entraînement ont-ils suivi ?

Y. L. : Lina et Marina ont suivi trois ou quatre mois d’entraînement physique pour suivre les chorégraphies, jouer avec leur corps et travailler de nouveaux muscles qui allaient leur servir dans les scènes d’action. Au final, Lina est devenue complètement fan de muscu (rires). De son côté, Mathieu s’est entraîné pendant des semaines avec Jude Poyer, le chef chorégraphe qui a géré une grande partie des scènes d’action et qui est une super-star dans son genre. Il a travaillé à Hong Kong dans les années 1990, et plus récemment avec Gareth Evans [le réalisateur de Gangs of London, ndlr].

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J-Y. A. : Il faut savoir que Mathieu s’entraîne depuis longtemps et pratique la boxe thaï depuis des années. Il nous a dit qu’il aimerait bien qu’on voit cette discipline à l’écran, car elle n’était pas très représentée. On a échangé avec Jude pour voir comment on pouvait la rendre cinématographique – parce qu’il faut avouer que ce n’est pas le style de combat le plus spectaculaire. Au final, le duel sur le parking avec “Moby Dick” marche super bien, c’est très brutal.

Y. L. : Lina et Marina ont aussi suivi un entraînement avec des armes pour s’habituer à les avoir en main, apprendre à les manier de la manière la plus crédible possible, et elles se sont ensuite entraînées avec Jude pour apprendre les chorégraphies. Il y a évidemment des doublures et des cascadeuses qui gèrent les parties dangereuses, mais elles voulaient assurer le plus de scènes possible, car c’est aussi ce qui les excitait dans ce projet.

Qui dit série d’action, dit armes, cascades et danger. Faites-nous entrer dans les coulisses et dites-nous toutes les règles que nous ne connaissons pas et qui se cachent derrière ces productions.

J-Y. A. : Ça a été une vraie découverte pour nous aussi ! Les scènes d’action commencent avec le scénario, qui donne les grandes étapes de la séquence et les émotions des personnages. Ensuite, Jude, qui est une encyclopédie et un vrai génie, nous fait des retours sur les différentes alternatives et cherche les angles les plus efficaces pour mettre l’action et ces plans en valeur. Il travaille avec ses cascadeurs pour trouver les meilleurs cadres et les meilleurs mouvements en fonction des décors.

Quand tout est validé, le reste du tournage est très smooth parce que chacun sait exactement ce qui va se passer, qui va jouer, quand, et à quel moment les doublures vont intervenir. Sur le plateau, Olivier Sa supervisait la sécurité. Son rôle était de s’assurer que personne ne soit blessé. Il donnait les tops, les règles, et expliquait qui devait entrer ou sortir à tel et tel moment. Il faut aussi savoir que l’armurier est le seul à pouvoir charger les armes et les donner aux comédiens. À la fin de la scène, les acteurs et actrices doivent garder leurs pistolets vers le bas, jusqu’à ce que l’armurier les récupère. Au final, tout est hyper sécurisé et cadré.

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Y. L. : Les cascades très physiques demandent énormément de répétitions pour assurer la sécurité des comédiens. Ils la maîtrisent parfaitement, savent où sont les angles de caméra et connaissent le danger.

J-Y. A. : Mais des coups de pied partent quand même, de temps en temps… Dans la scène de la prison avec la nonne, Lina s’éclate sur le distributeur et a réellement reçu un coup de pied. Il n’était heureusement pas à pleine puissance, mais il y a un vrai risque, donc tout doit être calculé.

Furies est aussi rythmé par des intrigues secondaires très intimes, comme une histoire d’amour, des secrets de famille ou encore la question du deuil. Pensez-vous qu’une bonne série d’action est une production qui sait mêler les genres ?

Y. L. : Comme toutes les séries, une bonne série d’action est une série de personnages. Si on veut réussir à capter l’attention des spectateurs durant huit épisodes – parce que c’est long, huit épisodes, surtout aujourd’hui –, il faut de très belles scènes d’action, mais aussi un développement complet des héros. On doit suivre leurs émotions, leurs histoires d’amour, leur vie, leur deuil… Il faut susciter l’empathie du public.

J-Y. A. : En réalité, on ne sait pas écrire autrement avec Yoann. On a toujours besoin de mixer les genres. Quand on s’est rencontrés en école de scénariste, on a décidé de bosser ensemble parce qu’on partait dans tous les sens quand on échangeait nos envies. Il y avait de l’action, du polar, du Lovecraft… Et ça nous porte dans toutes les histoires qu’on raconte, encore aujourd’hui. Si on enchaîne uniquement les cascades et les combats, on peut très rapidement perdre et fatiguer le spectateur.

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Y. L. : C’est souvent ce qu’on reproche aux films d’action. Encore une fois, on adore Jason Statham et The Rock, mais les personnages manquent parfois de profondeur.

J-Y. A. : Et surtout, on voulait donner envie aux spectateurs de revenir en rythmant les épisodes par des rebondissements et des révélations. Il y avait une vraie volonté de créer un divertissement de haut niveau où on se laisse embarquer par l’histoire.

Le premier épisode est très efficace et plonge immédiatement les spectateurs dans la série. Quels débuts de films ou d’épisodes vous ont le plus marqués ?

J-Y. A. : Il était une fois dans l’ouest. On se retrouve dans la ferme McCain, avec le père et les enfants. Les oiseaux s’envolent, il se met à courir, un des gamins se fait abattre et les hommes de Frank sortent petit à petit, se rapprochent de lui…

Y. L. : Je pense qu’on peut aussi prendre tous les Sergio Leone.

J-Y. A : On en revient à la mythologie ! Leone, ce n’est que ça. On s’attache à ses personnages, on a accès à leurs émotions et leur intériorité, et ils sont hors normes.

Y. L. : Si je devais choisir une série, je pense que je choisirais Buffy contre les vampires. On voit cette jeune fille blonde, on imagine qu’elle va être la victime de l’histoire – parce que les jeunes filles blondes le sont toujours –, mais il y a un twist dès la première séquence et elle tue les vampires. C’est ultra, ultra efficace, et c’est génial de voir un personnage féminin aussi badass.

Votre meilleur et pire souvenir de tournage ?

J-Y. A. : Le pire est lié aux conditions météorologiques. On a tourné dans un belvédère à Saint-Cloud, on était pas très bien équipés, et on a eu très très froid. Cette nuit était affreuse (rires) ! Le meilleur concerne le début de l’épisode 3, avec le mariage dans les années 1930. Je me souviens du jour où on a écrit cette scène et des images qui me venaient en tête à ce moment-là. Quand je me suis retrouvé au milieu des 50 figurants, j’ai vu tout ce que j’avais imaginé prendre vie devant mes yeux. C’était vraiment kiffant. J’avais l’impression d’être dans Peaky Blinders pendant une journée entière.

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Y. L. : Mon pire souvenir est aussi lié à des conditions météorologiques et concerne l’épisode 7. On était dans la forêt, au milieu de la nuit, durant une semaine et dans le froid. On regardait des scènes très très cool, avec des explosions, des gens qui meurent et de l’action, mais il était trois heures du matin et il faisait super froid (rires). Pour mon meilleur souvenir, j’aimerais rendre hommage à nos actrices qui étaient au cœur de l’une des premières séquences qu’on a filmées. Elles sont toutes les deux dans la voiture, et Lyna demande à Selma : “Est-ce que t’es ma mère ?” À ce moment, j’ai vu notre scénario prendre vie. Je me suis dit : “Elles sont mes personnages, ça va marcher.” Pour un auteur, c’est une satisfaction absolument géniale. On rêve beaucoup de notre création, on désire profondément que ça fonctionne, mais, quand la scène se déroule devant nos yeux, avec les comédiennes, c’est un pur plaisir.

J-Y. A. : Lina et Marina vont adorer ta réponse (rires).

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste