Pas de vagues de Teddy Lussi-Modeste entend mettre en lumière l’abandon du corps enseignant sur fond de harcèlement scolaire. Un film important, complexe, mais déstabilisant, porté par François Civil.
Après avoir enfilé la casaque des Mousquetaires, François Civil est de retour dans un long-métrage, cette fois-ci plus contemporain. Avec Pas de vagues, l’acteur quitte le costume de D’Artagnan pour se glisser dans celui de Julien, un professeur de français jeune et volontaire qui tente de créer du lien avec ses élèves. Mais un jour, il est accusé par Leslie, une jeune fille discrète, de harcèlement.
C’est le début d’une descente en enfers douloureuse pour l’enseignant pris en étau entre une direction démissionnaire et un lycée au bord de la crise de nerfs. Réalisé par Teddy Lussi-Modeste, le film bénéficie d’une écriture détonante qui ne tombe cependant jamais dans l’excès de l’horreur. Le scénario de ce dernier peut d’ailleurs compter sur le génie d’Audrey Diwan au scénario, réalisatrice de L’Événement, célébré à la Mostra de Venise (2022).
Un cri étouffé
La cinéaste, récemment césarisée pour L’Amour et les Forêts (2023), coscénarise donc Pas de vagues avec Teddy Lussi-Modeste. Une écriture à quatre mains bienvenue, tant le sujet peut paraître risqué. Le choix du point de vue est d’ailleurs intéressant. S’attaquer à un sujet social – sur les établissements en crise –, mais aussi humain avec la question du harcèlement scolaire, peut interroger. En tout cas, au départ, il déstabilise. Car dans son film, Teddy Lussi-Modeste choisit de montrer le point de vue de l’enseignant, un enseignant qui ne cessera jamais de clamer son innocence face aux accusations et une administration dont le maître-mot est de ne « pas faire de vagues ».
Parfois, on craint ainsi une fin explosive et dramatique qui pourrait rappeler à nos mémoires les morts de Samuel Patty ou de Dominique Bernard. Fort heureusement, le cinéaste ne tombe jamais dans cette brutalité, pour offrir avant tout un film sur les destins brisés ; un destin qu’a connu personnellement Teddy Lussi-Modeste, alors professeur de français à Aubervilliers accusé en 2020 par l’une de ses élèves de harcèlement.
En racontant sa propre histoire, le cinéaste veut avant tout disséquer les maux de l’administration scolaire, qui délaisse souvent les hommes et les femmes du corps enseignant. « C’est un cri, explique Teddy Lussi-Modeste dans la promotion du film, mais quand il y a un cri, il y a de l’espoir. » Le but du réalisateur est, en effet, de montrer la passion du travail, et l’importance du lien entre les professeurs et leurs élèves pour « déconstruire les discours de haine qui traversent nos sociétés ». Un thème nécessaire, qui a parfois du mal à trouver son écho.
Le choix de la controverse
La polémique provoquée par le film sur les réseaux sociaux fournit peut-être un élément d’explication : de nombreux internautes dénoncent en effet le parti pris des scénaristes. Ils considèrent que le long-métrage alimente l’imaginaire autour des fausses accusations, prenant alors le risque de donner des arguments aux personnes qui remettent en question la parole des victimes de harcèlement aujourd’hui. Il n’y a pas de doute, ce choix cinématographique peut déstabiliser les spectateurs.
Pourtant, c’est là tout l’attrait du film d’un point de vue artistique : son aspect dérangeant. En soulevant des problématiques complexes et grâce à un rythme nerveux – parfois proche du thriller –, il crée le malaise non seulement vis-à-vis d’un François Civil complètement acculé, mais aussi vis-à-vis des victimes d’un système scolaire, les victimes d’un système violent, entre élèves, entre professeurs, avec la sensation d’un huis clos asphyxiant. Un engrenage inexorable qui rappelle La Salle des profs, le représentant de l’Allemagne dans la catégorie meilleur film international aux Oscars 2024.
Enfin, côté direction d’acteurs, Teddy Lussi-Modeste peut compter sur l’interprétation de François Civil, habité par sa fonction de professeur transformé par une affaire qui se révélera bien plus grande que lui. L’acteur français, qui porte véritablement le film sur ses épaules, trouve ici l’un de ses meilleurs rôles dramatiques. Mention spéciale également pour la jeune Mallory Wanecque, qui incarne avec une force brute une élève aussi rebelle que sensible.
L’urgence sociale
En somme, Pas de vagues est un film avec plusieurs problématiques plus ou moins maîtrisées. Si le cinéaste se saisit de considérations importantes aujourd’hui dans le débat social, en voulant se faire le porte-parole de la fonction enseignante, il peut parfois déstabiliser par le choix du point de vue adopté et l’angle d’attaque de son film. En même temps, Teddy Lussi-Modeste est un partisan des partis pris arrêtés (ou des controverses) après avoir travaillé sur Une fille facile (2019), ou encore le scénario de Jeanne du Barry (2023) de Maïwenn.
Pour autant, son écriture sous tension permet de rendre compte dans Pas de vagues d’une urgence sociale tant du côté des élèves que des professeurs, mais aussi d’un film scénaristiquement prenant, aux problématiques complexes. Reste à savoir si ce discours – parfois touffu – saura convaincre le public. Réponse le 27 mars dans les salles obscures.
Pas de vagues, de Teddy Lussi-Modeste, avec François Civil et Mallory Wanecque, 1h32, le 27 mars au cinéma.