Quelques jours après la Journée internationale des droits des femmes, Il reste encore demain, fable féministe en noir et blanc, est attendue dans les salles de cinéma ce mercredi 13 mars. À cette occasion, L’Éclaireur revient sur le phénomène italien, artistique et sociétal.
Il reste encore demain a fait sensation en Italie au moment de sa sortie, l’année dernière. Attendu ce 13 mars dans les salles obscures, ce phénomène cinématographique réalisé par Paola Cortellesi suit Délia, mère de trois enfants, qui, tous les matins, se réveille sous les coups de son mari. Mais un jour, l’arrivée d’une mystérieuse lettre va tout remettre en question, et notre héroïne – à qui la réalisatrice prête ses traits – va se surprendre à rêver d’un avenir meilleur.
L’actrice, révélée en Italie en tant qu’humoriste et présentatrice télé, présente avec Il reste encore demain son premier long-métrage en tant que cinéaste. Avec ce film, l’artiste aujourd’hui âgée de 50 ans dit avoir voulu raconter l’histoire de femmes ordinaires qui, grâce à des actions extraordinaires, ont bâti la nation italienne contemporaine.
Pour cela, Paola Cortellesi s’est inspirée des récits de ses aïeules, de ses grands-mères, de ses tantes et de ses parents. Des récits qui avaient tous pour point commun un héritage fait de sévices quotidiens, perçus comme normaux dans l’Italie post-Seconde Guerre mondiale, et qui résonnent encore aujourd’hui dans la société italienne.
Quand la fiction parle de la réalité
Malgré le fait que le film se déroule à Rome dans les années 1940, Il reste encore demain fait pourtant écho aux violences dont les femmes sont encore victimes au XXIe siècle. En effet, la comédie dramatique de Paola Cortellesi a dépassé le simple phénomène artistique pour devenir un phénomène politique et social. Marquée par le patriarcat ambiant, la société italienne s’est largement emparée du long-métrage après qu’un meurtre a relancé le débat sur la prise en compte des féminicides en Italie.
Quelques semaines après la sortie en salles d’Il reste encore demain, une jeune étudiante de 22 ans du nom de Giulia Cecchettin a été assassinée au couteau par son ancien compagnon, signant ainsi le 106e féminicide en Italie en 2023.
« J’ai tué ma petite-amie », a déclaré Filippo Turetta au moment de son arrestation, alors que des photos de sa compagne apparaissaient aux quatre coins du pays au même titre que l’affiche du film. La réalité rattrapait ainsi la fiction, déclenchant une vague de manifestations à travers toute l’Italie, et incitant les spectateurs à se déplacer en salles.
Un concurrent sérieux du box-office italien
En faisant tristement écho à l’actualité, Il reste encore demain est devenu un phénomène public. Et en réunissant plus de 5 millions de spectateurs, le film a connu un succès inattendu. Non seulement il figure dans le top 10 du meilleur score au box-office italien de tous les temps, en passant devant La Vie est belle (1997) de Roberto Benigni, mais il a aussi battu, en Italie, les plus grandes productions hollywoodiennes de l’année, Barbie et Oppenheimer.
Il reste encore demain a, en effet, pris l’ascendant avec 4,8 millions d’entrées en fin d’année, contre 4,3 millions pour le film de Greta Gerwig avec Margot Robbie et 3,7 millions pour celui de Christopher Nolan. Un score qui, il y a quelques mois, paraissait impensable étant donné le faible coût du long-métrage, mais surtout son graphisme en noir et blanc, loin de l’effervescence des blockbusters hollywoodiens.
Un phénomène de cinéma
Pour autant, c’est peut-être ce choix artistique qui fonde tout l’attrait d’Il reste encore demain. La profondeur de ce contraste apporte une certaine patte au long-métrage, tout en rendant hommage au néoréalisme italien qui, dans les années 1950, mélangeait le drame et la comédie avec une grande subtilité.
Car Il reste encore demain ne manque pas de fantaisie, même dans ses scènes les plus violentes. Paola Cortellesi fait le choix de ne pas montrer la brutalité des coups, en les remplaçant aussi subtilement par un exercice de danse contemporaine entre le mari – incarné par l’excellent Valerio Mastandrea – et son épouse battue.
Malgré son sujet, le long-métrage ne tombe jamais dans le misérabilisme et choisit de montrer des moments de légèreté. L’échange chaleureux avec un Américain au coin d’une rue, les confidences secrètes à une amie, la clope au bec, ou encore un grand sourire aux dents tartinées de chocolat… Paola Cortellesi s’amuse, grâce à plusieurs mécanismes scénaristiques bien sentis, à dépeindre la soif de liberté de son héroïne. La cinéaste apporte ainsi du rythme à un film redoutablement triste.
Car derrière cette légèreté bienvenue, se cache un sombre propos ; un constat qui fait froid dans le dos quand on découvre le destin de Marcella, la fille de Délia, ou encore la banalité d’un environnement violent, physiquement et verbalement.
Le long-métrage opère ainsi une mise au point crue, le spectateur étant sans arrêt ramené – comme par une claque – au sujet principal. C’est en cela d’ailleurs que réside l’intelligence d’écriture de Paola Cortellesi : derrière son aspect fantasque, Il reste encore demain est un véritable drame, dans lequel le quotidien se confond avec l’horreur. Il en ressort ainsi une œuvre puissante, mais belle ; un premier film important, d’une grande vitalité, qui, on l’espère, résonnera en France comme en Italie.
Il reste encore de demain, de et avec Paola Cortellesi, et Valerio Mastandrea, 1h59, le 13 mars au cinéma.