Entretien

​​Vicdoux : “Le diable du patriarcat se cache dans les détails”

08 mars 2024
Par Clara Authiat
Vicdoux a écrit “Les Poils de la colère”.
Vicdoux a écrit “Les Poils de la colère”. ©Victoire Doux

Ancienne journaliste politique, Victoire Doux est désormais l’illustratrice engagée Vicdoux. Son cheval de bataille ? La pilosité féminine. Elle dissèque ce tabou avec beaucoup d’humour dans sa première bande dessinée Les Poils de la colère, publiée aux Éditions Lapin, ce 8 mars à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes. Une rencontre au poil !

C’est votre première bande dessinée. Vous brisez le tabou de la pilosité féminine à travers votre propre vécu. Pourquoi choisir d’explorer cette thématique ?

Ça m’est apparu comme une évidence ! C’est l’un des sujets dont je parle le plus sur mon compte Instagram. Je m’étais toujours dit que ce serait le sujet de ma première bande dessinée. Enfant, je baignais dans l’insouciance et l’adolescence est arrivée comme une claque. Lorsque mon tout premier poil est apparu, j’en ai parlé à ma grand-mère comme d’une fierté. J’avais le sentiment de devenir, pas une femme, mais une adulte. Puis, la société patriarcale m’a rattrapée : il fallait que je m’épile et de manière à ce que mes poils ne repoussent pas immédiatement.

C’est un sujet qui me tenait à cœur, parce qu’il symbolise pour moi le véritable début des injonctions dans ma vie de très jeune fille. Le hasard faisant bien les choses, les Éditions Lapin m’ont contactée pour en faire une BD. Je me suis lancée dans l’illustration il y a quatre ans, après dix ans dans le journalisme et le métier d’attachée de presse en politique. J’étais donc très honorée que ce soit une évidence pour eux que je parle de cette histoire d’épilation.

Dans quelle mesure le tabou de la pilosité féminine permet-il d’aborder l’ensemble des injonctions faites aux femmes ?

Ce qui est vicieux dans cette affaire, c’est que les femmes intègrent progressivement l’idée que c’est un moment pour elles, comme si elles allaient au spa ou se faire masser. En réalité, c’est terriblement contraignant et je suis allée jusqu’à établir un planning du poil ! Tout ça se met en place sans que l’on s’en rende compte, comme beaucoup d’injonctions faites aux femmes. J’extrapole un peu, mais c’est le même mécanisme avec les violences.

« Ça prend beaucoup de temps de déconstruire 2000 ans d’Histoire et d’injonctions faites aux femmes. »

Vicdoux

Plusieurs femmes de ma famille ont vu la violence s’installer dans leur quotidien et se normaliser. Parler de poils peut paraître anecdotique, mais le résultat c’est que les femmes continuent d’être considérées comme des objets, sans que ça ne choque personne. Le diable du patriarcat se cache dans les détails !

S’épiler, ça fait mal… Faut-il souffrir pour être belle ?

Cette phrase m’insupporte tellement ! Elle est toxique et problématique pour les petites filles, puisque son équivalent au masculin n’existe pas. En plus de ça, je suis brune et mes cheveux sont très épais, donc niveau pilosité je suis gâtée. Quand j’en parle avec des amies blondes, elles ont le sentiment d’avoir moins subi cette pression parce que leurs poils se voient moins.

Lorsque j’étais ado, pensant bien faire, ma mère m’a présenté l’épilateur électrique pour que je sois “tranquille” et que je ne m’embête pas à enlever mes poils tous les deux jours. J’ai trouvé ça extrêmement douloureux, alors que ma petite sœur, elle, le faisait sans problème. Ça me donnait l’impression d’être douillette, de ne pas être comme les autres. Même en utilisant le rasoir, je me faisais des petites coupures et je n’enlevais que les poils visibles entre le jean et les chaussettes.

Planche de la BD Les Poils de la colère de Vicdoux.©Éditions Lapin

Certaines femmes revendiquent leur choix de s’épiler. Comment percevez-vous cela ? 

Pendant des années, je n’étais à l’aise qu’épilée, donc je comprendrai toujours celles qui choisissent d’éradiquer leurs poils. Je ne suis pas là pour donner des leçons. La seule question que je pose c’est : à quel point sommes-nous libres ? Sachant que, dès l’enfance, nous sommes bassinées avec l’idée qu’une femme n’a pas de poils. Dans les pubs pour des rasoirs, les femmes s’épilent sur des peaux imberbes !

C’est fou que ce soit tabou alors même que 100 % de la population a des poils et, il faut le rappeler, les poils ne sont pas là pour rien, ils ont une fonction. Je suis curieuse du rapport que l’on pourrait avoir à la pilosité dans un monde dégenré. Si nous considérions nos poils comme faisant partie de notre corps, au même titre qu’un bras ou une jambe, ressentirions-nous ce besoin de les enlever ? Ça prend beaucoup de temps de déconstruire 2 000 ans d’histoire et d’injonctions faites aux femmes.

Lorsque des célébrités comme Angèle ou Madonna postent des photos d’elles avec des poils sous les bras, une pluie de commentaires sexistes s’abat sur elles, notamment liés à la saleté… Pourquoi cette association de pilosité féminine à la saleté a-t-elle la peau si dure ?

Sur Instagram, j’ai remarqué que les hommes sont souvent les premiers à laisser des commentaires négatifs tels que “Tu es dégueulasse”. Quand je regarde leur photo de profil, ce sont des hommes bien poilus… C’est vraiment l’hôpital qui se fout de la charité [rires]. Laisser pousser ses poils ne veut pas dire arrêter de se laver ! C’est fou que ce soit à ce point attribué à la saleté. Je pense que c’est lié à la transpiration. Depuis que j’ai laissé pousser mes poils sous les bras, je n’ai quasiment plus aucune odeur et je mets nettement moins de déodorant. Au bout de quelques mois, mon corps s’est autorégulé.

Vous êtes très présente sur Instagram. Dans quelle mesure cette plateforme permet-elle de diffuser des représentations qui soient plus inclusives ?

C’est très contradictoire parce qu’on a une mise en avant de la femme parfaite selon la société et d’un autre côté des femmes et des hommes qui essaient de montrer autre chose, davantage en phase avec la réalité, afin de rompre avec l’idée de perfection. Ces personnes contribuent ainsi à davantage d’inclusivité dans les représentations. Par exemple, de plus en plus de marques de maillot de bain ne retouchent plus leurs photos.

Quand j’en discute avec ma mère, qui a 60 ans et fait partie de la génération biberonnée à cette image de la femme parfaite diffusée dans les magazines, je vois à quel point c’est dur pour elle de déconstruire tout ça. Instagram peut alors faire évoluer le regard que l’on porte sur nos corps. Même en passant par des challenges ludiques, comme le JanuHairy [une tendance qui encourageait les femmes à ne pas s’épiler pendant tout le mois de janvier, ndlr]. Cela permet de montrer des corps différents et d’initier une véritable prise de conscience collective.

Avez-vous d’autres projets de BD ? 

J’ai en tête un projet de BD-discussion avec ma mère. Cette année, j’ai déménagé et j’ai été amenée à vivre avec elle en Normandie quelque temps. Ces moments nous ont rapprochés et j’ai réalisé qu’elle avait vécu des expériences qui ne sont pas normales. Par exemple, en rentrant d’une manifestation, on m’avait distribué un violentomètre, qui est une sorte de règle qui permet d’évaluer si une situation est violente ou non. Je l’ai montrée à ma mère et je ne pensais pas qu’on irait aussi vite dans le rouge… J’ai envie de mettre ça en BD, même pour que des femmes de sa génération prennent conscience de certaines choses.

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Quelles sont les femmes qui vous inspirent ?

L’une des premières autrices qui m’ont inspirée, c’est Cy. Elle a publié plusieurs BD dans lesquelles elle montre des corps de la vraie vie, notamment aux Éditions Lapin, ce qui n’a fait qu’accroître mon plaisir d’être éditée chez eux. Au quotidien, je suis très inspirée par les femmes de ma famille. Chacune à sa manière : ma grand-mère paternelle, infirmière pendant la Seconde Guerre mondiale, qui a caché des juifs ; ma grand-mère maternelle, qui a eu ma mère très jeune et qui s’en est sortie sans avoir fait beaucoup d’études ; ou encore ma mère qui a su se défaire de l’emprise de mon père. Et puis, ma sœur, à qui je dédie la BD et que je considère comme ma jumelle sans qu’on le soit. C’est la première femme à m’inspirer tous les jours, par ce qu’elle fait et ce qu’elle est. 

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