Critique

Rentrée littéraire : trois livres lumineux pour changer son regard sur le monde

18 janvier 2024
Par Pauline Gabinari
Cécile Coulon.
Cécile Coulon. ©Laura Stevens/L'Iconoclaste

[Rentrée littéraire 2024] Le mois de janvier est synonyme de nouvelles sorties littéraires. Parmi les 482 livres proposés cette année, L’Éclaireur vous dévoile trois pépites pour voir le monde autrement.

Poésie du départ 

Un filet de maison gris et noir, deux ponts, un cours d’eau et un jeune apprenti qui réalise sa première opération en solitaire. Difficile d’en dire plus tant le livre tient autant de la poésie que de l’histoire. Mais, comme on est sympa, on va faire l’effort. Dans ce roman qui sent la mousse magique directement importée de Brocéliande, Cécile Coulon nous embarque dans un pays qu’elle connaît bien, où les maisons centenaires parlent plus que les humains. Un monde singulier qui mérite le détour, construit grâce à des descriptions puissantes et évocatrices. Quand Cécile Coulon dit qu’il fait froid, on a soi-même envie de se couvrir, quand elle parle du feu, ça sent vraiment l’épicéa et la fumée un peu âcre.

Pour résumer, le garçon est un guérisseur. Comme sa mère avant lui, il se rend au chevet de ceux qui l’appellent. Il soigne ou condamne les malades grâce à la « langue des choses cachées », un dialecte mystérieux qu’on ne parle qu’à demi-mot pour nourrir les esprits fatigués. Cette fois, c’est dans un village sinistre qui donne envie de détaler – et pour cause, ses habitants l’ont appelé « Le Fond du puits » – que le garçon atterrit.

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Là, il découvre le secret de sa mère. Une terrible erreur qu’il faudra réparer. Livre peut-être plus à déclamer qu’à bouquiner silencieusement, La Langue des choses cachées enroule les sons des mots autour de l’histoire pour nous emporter dans un autre monde. C’est une longue élégie qui se lit d’une traite et dans laquelle on s’est engouffré avec plaisir. 

La Langue des choses cachées, de Cécile Coulon, L’Iconoclaste, paru le 11 janvier 2024.

Penser les plaies 

Au début, on a pensé qu’on allait se perdre dans ces histoires de famille sans fin. À la fin, on en demandait encore. Princesse déchue et esclave des champs de canne à sucre guadeloupéens, Agontimé est l’ancêtre d’une longue lignée d’hommes et de femmes, passagers clandestins, tailleurs de renom et mules de cocaïne.

Fantôme bienveillant, elle veille sur sa descendance et, à travers la langue enchanteresse de Gisèle Pineau, laisse entrevoir une fresque de plusieurs siècles de colonisation, d’esclavage et d’emprise. Une sorte de longue ritournelle bien rythmée où chaque récit personnel se relie pour redonner corps à cette tragédie de l’histoire moderne dont le souvenir a trop souvent été perdu.

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Au-delà d’une simple histoire, c’est aussi un postulat que Gisèle Pineau pose là, une théorie qui a fait ses preuves depuis quelques années, selon laquelle les afro-descendants subiraient encore aujourd’hui les séquelles psychologiques et psychiques de l’esclavage. Une œuvre essentielle, mémorielle, pour comprendre différemment le monde et ses logiques de domination, sans oublier cet accent, cette façon de parler, vraiment rafraîchissante.

La Vie privée d’oubli, de Gisèle Pineau, Philippe Rey, paru le 4 janvier 2024.

Comment retomber sur ses pattes

Comment chute-t-on ? Selon certaines études, le corps dans son avalanche se retournerait comme celui d’un chat, pour offrir dans un mouvement de protection vain sa tête et ses poignets au sol. C’est alors la mâchoire qui prend et les dents qui se brisent. Ok pour le corps, alors, mais quand on tombe dans son esprit, comment ça se passe ?

C’est l’énigme que tente de résoudre Louis Vendel. Sorte de biographie moderne à mi-chemin entre l’enquête et le récit, Solal ou la chute des corps raconte l’histoire d’un garçon bipolaire, un ami de l’auteur, qui tente encore et encore de se rattraper aux parois glissantes de son cerveau.

Autour de lui, une drôle de galaxie frappée par la même malédiction. Philippe, le joyeux maniaco-dépressif qui disparaît un soir au large du Mozambique, Victor, le pote alcoolisé qui grimpe aux balcons pour faire des blagues et Léon, le frère dont la colère emporte tout.

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Dans ce roman, tout va à la fois vite et lentement, on suit les cheminements et les impasses d’un garçon dont le portrait est dressé sans complaisance, auquel on s’attache, mais face auquel on se met aussi en colère, que l’on a envie de secouer pour se retrouver nous-même dans ce fameux cul-de-sac : comment bien accompagner quelqu’un qui chute ? Pas mal, pour un premier roman

Solal ou la chute des corps, de Louis Vendel, Seuil, paru le 5 janvier 2024.

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