Entretien

Violet Indigo : “Aujourd’hui, j’ai vraiment trouvé la musique qui me ressemble”

23 décembre 2023
Par Lisa Muratore
Violet Indigo promet de marquer l'année 2024.
Violet Indigo promet de marquer l'année 2024. ©Shiv.fr

Violet Indigo a marqué l’année 2023 et s’apprête à faire des étincelles en 2024. L’Éclaireur a rencontré l’artiste aux 1001 talents pour faire le bilan de ces derniers mois, parler de ses projets et de ses bonnes résolutions.

Que retenez-vous de votre année 2023 ? 

Je retiens qu’il est très important de dormir [rires] ! Plus sérieusement, cette année a été compliquée, car j’ai dû faire face au jeu qu’implique l’industrie de la musique, entre la communication, la visibilité et les institutions françaises pour la culture. J’appelle vraiment ça un jeu, car c’est troublant d’être à la fois reconnue, mais aussi constamment challengée.

Violet Indigo. ©Shiv.fr

Tout cela m’a mise face à mes insécurités, mes côtés négatifs comme positifs. 2023, c’est une année durant laquelle j’ai beaucoup appris sur moi : comment je gère les choses et comment j’ai envie de les gérer. Je suis très reconnaissante. Ça me donne envie de me donner encore plus ! 

Vous vous attendiez à ce que ce “jeu”  soit aussi difficile ?

Oui, car mon père est musicien. Toute ma vie, il m’a répété que c’était très dur. Il n’avait pas envie que je me lance dans la musique, au départ. Il avait raison. Même si je savais à quel point ça allait être dur, on ne sait jamais vraiment jusqu’où ça tire sur nos ressources et sur nos vies. Ceci étant dit, je suis encore jeune, et j’ai cette soif d’expérience pour mieux gérer le reste. 

Si vous deviez retenir un événement marquant cette année, lequel serait-ce ? 

Ce n’est pas pour vous lécher les bottes [rires], mais le Fnac Live est l’un de mes plus beaux souvenirs. Jouer devant 20 000 personnes a été l’un des moments les plus forts de l’année. Les gens m’ont accueillie avec bienveillance. Je me souviens quand la programmatrice m’a appelée, j’étais super contente. D’autant plus que je jouais sur le même line-up que Charlotte Adigéry, qui est une artiste que j’admire énormément. Je me souviens de cette reconnaissance et de cet amour. C’est génial d’avoir une institution qui a une grande portée sur la culture et de jouer durant ce festival. 

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Comment et pourquoi avez-vous voulu vous lancer dans la musique ? 

Je ne me suis jamais donné le choix de faire autre chose. Même si j’ai très mal vécu la pratique musicale quand j’étais enfant, les colonies de vacances musicales m’ont beaucoup aidée. Jusqu’à mes 15 ans, j’y suis allée deux fois par an. Ces vacances m’ont permis de faire des essais, de composer avec des gens, de découvrir le rock, mais aussi de pratiquer beaucoup d’instruments. Quand j’étais là-bas, je me permettais aussi de composer.  

En dehors de ces colonies, je continuais à voir certains membres. On faisait des groupes, ça m’encourageait à écrire. C’est d’ailleurs comme ça que je me suis mise sur Garage Band. Avant ça, on m’avait offert une guitare et j’avais déjà fait de la batterie. Après quoi, le chant est venu naturellement, même si ce n’était pas la première voie à laquelle je me destinais. 

Les standards de jazz avec lesquels mon père pratiquait le chant sont entrés dans ma tête. On a commencé à chanter ensemble, pour rire au début, puis il m’a dit : “Tiens, c’est vraiment pas mal, tu devrais te lancer” [rires] ! Quand j’étais au collège et que l’on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je répondais : “Je veux faire de la musique.”

En revanche, savoir quel genre de musique, comment le faire, avec qui le faire, cela m’a pris du temps. Je n’étais vraiment pas partie pour faire ce que je fais aujourd’hui. Je voulais faire du rock, j’ai toujours aimé ça. Je voulais avoir un groupe comme les Runaways, un girls band avec des bons morceaux et des choses vraiment concrètes !

Comment définiriez-vous votre univers musical ? 

J’ai envie de commencer mon propre style. Je dirais que c’est du R’n’Bass, parce que mes principales inspirations viennent du R’n’B, de la néo soul et du jazz. La bass music inclut du UK Garage, de la jungle et de la drum’n’bass, quelque chose de très puissant et très rythmique. 

Quelles sont vos références ? Quels artistes vous ont inspirée musicalement, mais aussi esthétiquement ? 

La première personne à laquelle je pense, c’est forcément Lady Gaga. J’étais super fan et j’ai été très matrixée par les popstars dans les années 2000 [rires]. Je me souviens de ses premiers clips. C’est la première fois que je voyais une artiste pousser son esthétique aussi loin, juste pour avoir une réaction. C’était loin d’être creux. C’était aussi la fin d’Amy Winehouse. Je me souviens d’avoir demandé à mes parents de m’offrir Back to black. C’est le premier album que j’ai eu. Je chantais Rehab à six ans. 

Clip de Rehab d’Amy Winehouse.

Parmi mes inspirations, je pense aussi à David Bowie, en termes musicaux, mais aussi esthétiques. C’est vrai que les Runaways avec Joan Jett, cette image des vestes en cuir, quelque chose de très rock, me plaisent toujours. Les artistes qui m’ont donné envie de faire de la musique à 100% sont Erykah Badu, J Dilla, D’Angelo… Des choses proches du jazz, mais ramenées à leur propre univers. 

Jorja Smith et Arlo Parks aussi sont des artistes que je respecte beaucoup. L’Angleterre, même si je suis Américaine, me parle vraiment. Le métissage culturel qui s’est passé en Angleterre a été différent de celui des États-Unis et ça se ressent dans tous les genres de musique. Ce sont des influences qui sont premières et j’ai l’impression que les Anglais sont parvenus à faire leur propre son. 

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Vous êtes également DJ et vous faites de la musique électronique. Qu’est-ce qui vous attire dans ce genre de sonorités ? 

Des amis ont voulu monter la Darude, puis la Tchoin. Ils m’ont dit que je devais vraiment apprendre à mixer pour me produire dans une de leurs soirées. Ils m’ont donc appris à mixer. Moi qui n’aime pas pratiquer, je me suis lancée à fond dans le mix. Je voulais vraiment les rendre fiers de me faire confiance, et aussi me pousser, tout simplement. Quand j’ai commencé, le Covid est rapidement arrivé, mais ça m’a donné l’occasion de mixer tranquillement, chez des gens qui avaient des platines. 

C’est très important pour écouter et acquérir des réflexes différents. Après quoi, je suis allée à une soirée et j’ai commencé à diffuser des workshops. Beaucoup de gens mixaient et c’est là que j’ai découvert toute la musique électronique que je ne connaissais pas. J’ai trouvé le lien entre hip-hop et musique électronique grâce à des cultures anglaises et américaines, comme la ghetto tech. J’ai pris le temps de trouver des gens qui m’intéressaient et j’ai rencontré des artistes qui ont vraiment fait mon éducation musicale. Aujourd’hui, grâce à cela, j’ai vraiment trouvé la musique qui me ressemble. 

Comment se déroule votre processus d’écriture ? 

J’ai toujours le son avant les mots. Même si ce n’est rien de concret, il me faut, au moins, une petite mélodie pour poser les mots dessus et pour caler les choses rythmiquement. À l’origine, comme je suis instrumentiste, il me faut la basse et la batterie pour travailler. 

Après, soit je vis quelque chose et ça sort tout seul, soit c’est du yaourt qui sort. J’essaie de penser à des thèmes et ensuite de les appliquer à l’ambiance du morceau. Comme le premier EP était basé sur l’amour et que maintenant je suis en relation stable [rires], j’essaie de me pousser un peu plus vers d’autres thématiques. J’ai très envie d’écrire des paroles cryptiques à la Bob Dylan. Je veux travailler mon vocabulaire, je n’hésite pas à aller sur des sites de rimes et à découvrir de nouveaux mots. 

Selon vous, la musique est-elle cathartique ?

Elle me permet d’avoir confiance en moi. On dit souvent de moi que je suis timide en dehors de la scène. Peut-être, mais sur scène, je suis là. La scène me désinhibe. C’est vraiment mon moment pour moi, pour avoir confiance en ce que je dis. Aujourd’hui, je travaille un peu plus pour me confronter au public. 

Violet Indigo. ©Shiv.fr

Entre le studio et la scène, que préférez-vous ? 

Pour moi, l’un ne va pas sans l’autre. Je n’ai pas envie de faire des morceaux pour ne pas les faire sur scène. Ce sont deux euphories différentes. Finalement, je préfère la scène, mais c’est aussi parce que j’en ai fait énormément cette année et beaucoup moins de studio. J’ai un peu peur du studio, pour être honnête, car j’ai le syndrome du “je ne vais pas bien faire”. Je ne suis pas perfectionniste, mais j’aime bien préparer les choses. J’aime trouver du sens, donc je me mets énormément la pression. 

À quel moment savez-vous que vous tenez le bon morceau ? 

Cette compréhension est en lien avec les autres. Souvent, j’ai l’impression que c’est raté, jusqu’à ce que quelqu’un me dise que c’est bien. J’ai un rapport à autrui qui est toujours en train de se former. J’ai tellement envie de bien faire que je ne vais pas m’arrêter jusqu’à ce que quelqu’un me dise : “C’est bon, j’ai ta musique dans la tête.” 

Pourquoi avoir fait le choix de chanter en anglais ? 

C’est ma langue natale et ça change beaucoup de choses. En terminale, le directeur du lycée m’avait fait remarquer que lorsque je passais du français à l’anglais, c’était pour parler des émotions et de choses beaucoup plus intimes. Un peu comme le corps et l’esprit finalement. Le corps serait le français et l’esprit serait en anglais. 

Violet Indigo. ©Shiv.fr

C’est vraiment très intuitif et instinctif de parler en anglais de tous mes thèmes. J’ai aussi lu beaucoup de livres en anglais, ma culture est plus anglophone ; je me sens plus à l’aise. En français, c’est peut-être plus dur de faire sonner les mots. Si je venais à chanter en français, ça serait avec l’aide d’une personne. J’ai aussi beaucoup pensé à faire quelque chose en mode Christine and The Queens, avec des morceaux à la fois en anglais et en français. 

Vous avez un style esthétiquement défini, avec beaucoup de couleurs. Est-ce la continuité de votre musique ? À quel moment avez-vous fait ce choix ? 

Pour commencer, je ne voudrais vraiment pas ressembler à qui que ce soit. J’ai grandi avec Internet et j’ai découvert la scène emo. C’était quelque chose qui me parlait à cet âge-là, l’univers punk, un peu DIY. Ça a peut-être un lien avec le fait de sortir du lot, mais ce n’est pas pour attirer l’attention. C’est aussi la poursuite d’un univers musical et ce n’est pas pour rien que je cite Lady Gaga. Elle représente la rencontre entre l’art et la musique. 

Beaucoup d’artistes ont une belle esthétique, mais il n’y a pas ce second degré de performance et d’art. Le suprématisme, l’art russe d’avant-guerre, les formes et les couleurs m’intéressent beaucoup. J’aime aussi les années 1960 en termes de coupes. J’aime les choses qui se voient. C’est vraiment ma façon de m’exprimer et ça permet de m’identifier. Selon moi, un grand artiste doit avoir une esthétique, mais l’esthétique doit simplement accompagner la musique. J’aime aussi le fait de ne pas genrer les choses, d’être des créatures et de ne pas avoir d’étiquettes. Ce sont des choses avec lesquelles je suis très à l’aise, j’ai vraiment envie de tendre vers ça.

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Parmi tous vos morceaux, lequel préférez-vous ? 

J’en ai deux [rires]  ! Il s’agit des deux singles de l’EP. Je dois donc citer On the Low, parce que c’est mon premier morceau qui mêle le breakbeat et la pop. C’est complètement chanté. Aux Inouïs, on devait faire écouter un morceau, j’étais la dernière à passer. Comme je suis quelqu’un socialement en retrait, les gens ne s’attendaient pas à cette explosion [rires]. Ça reste un morceau que les gens aiment beaucoup, il arrive à fédérer. Je vois plein de choses quand je l’écoute.

Je dois aussi citer Toxic parce que j’adore rire de moi-même et rire des autres. Quand j’ai écrit ce morceau, j’ai pensé à moi, j’ai pensé à mon mec, j’ai pensé à mon père… Même si je fais un peu moins ce genre de musique, j’adore l’avoir bien fait, y avoir apporté ce côté néo soul, presque “pharrellesque”. Je suis très contente d’avoir relevé ce challenge. Je me suis libérée sur ce morceau, et j’en suis vraiment fière ! Il incarne cette confiance que j’essaie d’avoir de plus en plus. 

Quelles sont vos résolutions pour 2024 ?

J’en ai beaucoup trop ! J’adorerais accompagner un artiste en première partie. Le rêve, ça serait de faire la première partie de Charlotte Adigéry. Elle doit penser que je suis folle [rires], mais c’est une artiste vers laquelle je tends en termes de discours et de musique. Peut-être faire un jour un featuring avec elle, ou un remix ? Une autre de mes résolutions serait de faire une date de concert anglophone, car c’est très important pour moi que les gens comprennent ce que je dis. J’aimerais aussi avoir fini mon album. Le projet a commencé !  

Une œuvre en particulier vous a-t-elle marqué cette année ?

J’ai lu Le Consentement (LgF). Un ami m’a parlé de la culture française à cette époque, durant les années 1970 et 1980. Le livre de Vanessa Springora catalyse ces deux décennies, ainsi que cette culture du viol portée à son apogée. La France a toujours d’énormes séquelles aujourd’hui, mais à ce moment il y avait ce non-dit. Lire tout cela, sur cette époque, m’a vraiment appris des choses. Je n’ai pas dormi de la nuit, car je voulais absolument le finir. Je trouve que c’est très bien fait, c’est bouleversant, mais surtout, c’est important d’en parler ! J’ai adoré ce livre.

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Article rédigé par
Lisa Muratore
Lisa Muratore
Journaliste