Dans de nombreuses familles, les retrouvailles de fin d’année ne se limitent pas à de copieux repas. Elles se prolongent autour de parties de jeux de société plus ou moins endiablées. Compétitions entre frères et sœurs, occasions de se remémorer des souvenirs familiaux ou de faire des blagues graveleuses : à chaque famille sa façon de jouer.
Qu’il semble loin le temps où jeu de société en famille rimait obligatoirement avec Monopoly ou Cluedo. Portées par les nouvelles générations de joueurs et une offre devenue pléthorique (33 millions de boîtes ont été vendues en 2022 en France), les sessions de jeux n’ont plus rien à voir avec celles du début des années 2000. D’une famille à l’autre, on possède ses propres « classiques », et le jeu auquel on joue en dit beaucoup sur nous.
Exploding Kittens et Galèrapagos : “Il faut de l’interaction”
« Rendre ma sœur folle lorsqu’on joue à Exploding Kittens, c’est un peu mon super-pouvoir, plaisante Mathieu, 24 ans. Il y a un côté poker dans ce jeu [où il ne faut pas tirer de chaton explosif sous peine de perdre la partie, ndlr], surtout lorsqu’on choisit où placer la carte chaton dans le paquet. C’est devenu un jeu dans le jeu : j’essaie de la faire perdre et elle me le rend bien. » Si cette rivalité profite parfois aux joueurs « neutres » à leurs côtés, le frère et la sœur n’hésitent pas à s’allier pour triompher lorsque le jeu le permet.
« Je me souviens d’une partie de Galèrapagos [où l’objectif est de quitter une île déserte sur un radeau, ndlr] dans laquelle nous sommes partis tous les deux en abandonnant nos cousins sur l’île après une sacrée trahison, se souvient Mathieu. Une sombre histoire de promesse les yeux dans les yeux finalement conclue par un tir de revolver. »
Pour lui, tout l’intérêt des parties réside dans ce genre de rebondissements et les discussions animées qui les encadrent. Il analyse : « Dans “jeu de société”, il y a “société”. Il faut donc de l’interaction entre les gens, sans oublier que cela reste un jeu. Car la famille, même si on la trahit le temps d’un jeu, c’est important. »
Un jeu dont on adapte les règles : “Pour que personne ne se sente mal”
Cet attrait pour le drama n’est pas partagé par Marie et sa famille. La trentenaire se souvient encore des plateaux retournés et des pleurs de sa petite sœur lorsqu’elle perdait à La Bonne Paye. « Pour éviter ce genre de moments, mes parents ont trouvé une solution : adapter les règles du jeu. Je me souviens notamment de nos parties de Boggle chaque été. C’est un jeu où l’on doit former des mots à partir de lettres au hasard. Normalement, on ne peut en faire que de trois lettres minimum. Pour ma petite sœur, c’était deux, pour moi trois et pour mes parents quatre minimum. Tout le monde s’y retrouvait et s’amusait. Maintenant que j’ai des neveux et nièces, j’essaie de conserver cette approche avec eux, pour que personne ne se sente mal. »
Blanc Manger Coco : “Ma mère fait semblant d’être choquée”
Dans sa famille, Lucyle a l’habitude des parties de Trivial Poursuit ou des blind tests. « Mais certaines personnes ne veulent plus jouer parce qu’elles n’écoutent pas autant de musique ou qu’elles estiment ne pas avoir assez de culture générale. Sans oublier qu’on se fâche régulièrement avec ma sœur et qu’il nous arrive de tricher pour ne pas perdre. Depuis, on joue à Blanc Manger Coco : c’est un des seuls jeux que ma mère accepte de faire avec nous. Le but est de faire des associations d’idées les plus débiles possibles en complétant des phrases. La plupart du temps, c’est quand même un humour assez “beauf” et graveleux », glisse la femme de 29 ans.
Mais pas de quoi réserver le jeu pour des soirées entre amis plutôt qu’en famille. « Nous sommes plutôt ouverts sur des sujets comme la sexualité. On ne se raconte pas de choses intimes, mais lorsqu’on joue à un jeu d’ambiance comme Blanc Manger Coco, on en rigole facilement. Ma mère fait semblant d’être choquée, mais elle en rit comme nous », conclut Lucyle.
Dixit, Dany : “Un bon moyen de mieux se comprendre”
Autre jeu d’association d’idées, moins axé sur l’humour, mais plutôt sur la créativité et l’interprétation : Dixit. Un joueur énonce une phrase à laquelle lui fait penser sa carte illustrée et les autres joueurs doivent choisir parmi leurs cartes celle qui représente également cette phrase. Valérie, 56 ans, a découvert le jeu grâce à ses enfants.
« C’est ouvert aux interprétations et il est drôle de voir comment deux membres d’une même famille peuvent parfois être à des années-lumière l’un de l’autre ! Il y a beaucoup de discussions pour savoir comment un joueur en est arrivé là et ce qu’il voulait dire. C’est un bon moyen de mieux se comprendre. Il y a un côté psychanalytique. »
Chaque partie avec ses trois fils et son mari ouvre également la porte à de nombreux souvenirs familiaux. Valérie en tire d’ailleurs l’un de ses plus gros fous rires de l’année écoulée : « Une carte représentant un lapin avec une montgolfière a été associée à une anecdote d’enfance de mon fils cadet que je surnommais “lapin” étant petit. À l’époque, il avait conçu un cerf-volant pendant plusieurs jours avec son père. L’objet n’a même pas volé 30 secondes avant qu’une bourrasque venue de nulle part ne l’emporte. Repenser à ce moment et pouvoir en rire tous les cinq, avec chaque personne qui partage son point de vue sur la scène, c’était génial ! »
Carcassonne, 7 Wonders, Catan : “On joue environ cinq fois par semaine”
Si certaines familles ne jouent qu’à l’occasion des fêtes ou pour égrener les heures d’un long dimanche pluvieux, d’autres sortent les plateaux très régulièrement. Plus qu’un passe-temps, il s’agit d’une véritable passion. C’est le cas de David, 37 ans, adepte des jeux de société depuis l’enfance et qui garde en mémoire des parties de Risk pouvant s’étaler sur un après-midi entière.
« J’ai toujours été moteur pour faire jouer mes proches. J’ai de la chance, car ma femme aime beaucoup les jeux de société et nos enfants de 7 et 10 ans se prêtent facilement au jeu. En général, on fait des petites parties en famille le soir après manger, mais également le samedi soir ou le dimanche après-midi. On joue environ cinq fois par semaine et il nous arrive parfois de faire de grosses sessions où on enchaîne plusieurs jeux comme Carcassonne, Catan, 7 Wonders, Living Forest, etc. »
Même son de cloche chez Marion, 41 ans et maman d’un ado : « Nous n’avons pas de télévision à la maison et j’essaie au maximum de limiter l’usage des écrans. Donc les jeux de société représentent une bonne partie de nos loisirs en famille ! On doit en avoir une quarantaine, sans compter les extensions. On peut presque dire que, chez nous, les jeux de société, c’est un mode de vie. »