Entretien

Nabil Harlow : “Au collège, on m’accusait d’être un hérétique, d’être cette personne différente”

18 décembre 2023
Par Agathe Renac
Nabil Harlow était l'invité du festival Pop & Psy.
Nabil Harlow était l'invité du festival Pop & Psy. ©Mathew Brooks

Chanteur et ex-directeur artistique de Balmain Hair, Nabil Harlow était l’invité du festival Pop & Psy. L’Éclaireur l’a rencontré juste après sa conférence, pour échanger avec lui sur la masculinité, son hypersensibilité et son parcours inspirant.

Vous avez animé une conférence sur les masculinités à l’épreuve de la santé mentale. Pourquoi était-ce important pour vous de sensibiliser le public à ce sujet ?

Parce que c’est un sujet tellement important ! Beaucoup de gens ne veulent pas parler de santé mentale ou y être associés par peur d’être pris pour des “fous”, alors que ça devrait être complètement normal. Avoir une dépression, c’est comme avoir un rhume. On se soigne, on traite le problème et on fait une psychanalyse ou une thérapie. Mais changer l’image de la masculinité, c’est aussi en changer la définition.

Un stéréotype encore très répandu aujourd’hui sous-entend que les hommes ne peuvent pas parler de leur santé mentale. Vous êtes-vous déjà senti contraint de ne pas parler de vos émotions ou vos sentiments ?

Tous les jours !

Encore aujourd’hui ?

Non, plus vraiment. Mais il y a quand même ce truc un petit peu macho chez les mecs de faire attention au fait de ne pas paraître trop sensible ou fragile. C’est la société qui veut ça. L’homme est soi-disant le sexe fort et doit être solide.

©Remi Desclaux

En avez-vous souffert ?

J’en ai beaucoup souffert lors de mon enfance et mon adolescence, mais j’ai fait un travail sur moi-même et ça va beaucoup mieux aujourd’hui. En réalité, le plus dur était de cacher toutes ces émotions et d’apprendre que c’était un sujet tabou. C’était très difficile de ne pas les partager, qu’elles soient négatives ou positives. Même un élan de positivité peut faire peur aux gens.

Vous avez confié à GQ avoir été moqué pour votre hypersensibilité au collège. Comment avez-vous vécu cette période ?

Elle m’a complètement changé, car j’avais très peur de dire les choses. C’était une époque horrible, je n’aurais pas d’autres mots à vous donner. C’était très, très dur, les enfants peuvent être d’une violence inouïe.

À 19 ans, vous avez acheté un billet sans retour pour New York. Vous y avez coiffé les stars du monde entier, et vous êtes devenu le directeur artistique de Balmain Hair. Cette première carrière vous a-t-elle permis de vous libérer et vous affirmer ?

Absolument ! Ce milieu de la mode a été life changing. Ça a été mon passeport pour la liberté, pour la rencontre de nouvelles personnes différentes et d’énormément d’artistes. Il y avait beaucoup de positivité !

« Kiddy Smile a écouté mes morceaux et m’a dit : “Lance-toi dans la musique, c’est ça ton vrai rêve.” »

Nabil Harlow

Cette expérience vous a-t-elle aussi permis d’accepter votre hypersensibilité ?

Je travaille encore sur cette hypersensibilité, mais c’est plus simple de l’aborder avec la musique. En revanche, je n’en parlais pas vraiment quand j’étais dans la mode, car je ne voulais pas imposer mes sentiments aux autres. Il faut aussi savoir garder de la réserve. Aujourd’hui, je m’en nourris pour être créatif, et j’ai pu l’utiliser dans le passé pour des campagnes et des photos pour réfléchir au détail d’un mouvement, à la position d’une mannequin sur une image dans la lumière… Mais sans trop m’étendre sur le sujet.

Ces expériences vous ont permis de faire de nombreuses rencontres. Quelle a été la plus inspirante ?

Jean-Baptiste Mondino. C’est une légende. Il a inventé tellement de choses de notre époque, dans la pop culture, la mode, le côté rock… Il a réussi à enlever tout cet aspect “classique” qui a perduré très longtemps dans le milieu, et a changé énormément de choses. Il a créé toute cette image de la femme libre. Les gros clips de Madonna, Tandem de Vanessa Paradis… Tout ça, c’est lui, et plein de gens ne le savent pas. Ce sont des artistes extraordinaires, mais Jean-Baptiste Mondino a fait un travail incroyable sur l’image. C’est une vraie source d’inspiration. Aujourd’hui, on le voit dans des pubs comme celle pour Dior J’adore avec Charlize Theron. Il est toujours là et continue de changer ce milieu.

Les mentalités et les stéréotypes sont-ils différents aux États-Unis ?

Certains sont similaires, mais les Américains ne s’occupent pas de ce qu’il se passe chez leur voisin. Ils ne se prennent pas la tête avec les “qu’en dira-t-on ?”. Ils travaillent, ils sont très motivés et ils ont une énergie très positive, même avec leurs amis. Ils veulent vraiment qu’ils atteignent leurs buts et ils les tirent vers le haut. Il n’y a pas cette jalousie, cette ascension sociale ou cette volonté d’être supérieur que j’aie pu voir en Europe.

Après une dizaine d’années dans la coiffure et dans le monde du luxe, vous avez décidé de vous lancer dans la musique. Qu’est-ce qui vous a poussé à interpréter vos propres textes ?

J’ai toujours écrit. Au collège, je changeais déjà les paroles de Björk et Michael Jackson pour les réécrire. Ça me permettait aussi d’exorciser pas mal de choses qui se passaient dans ma tête, donc c’était un processus assez dark. J’ai ensuite écrit mon premier son à l’âge de 17 ans. Il s’appelle Hotel Paris et je l’ai intégré dans mon EP ! La prod était différente, mais j’ai gardé les trois quarts des paroles que j’ai écrites il y a 20 ans. C’est fou quand j’y pense…

Ensuite, j’ai eu cette carrière dans la mode et le Covid est arrivé. Je me suis beaucoup remis en question durant cette période. J’avais l’impression de ne plus avoir de but et ce milieu prenait une direction qui me fascinait de moins en moins. Les mannequins, les réseaux sociaux, la beauté… Tout a changé. Le confinement m’a forcé à m’arrêter et je me suis posé un milliard de questions.

Je n’avais pas pris le temps de réfléchir à ces sujets depuis des années, car je faisais Paris-New York deux à trois fois par mois et je courais partout. J’ai profité de ce moment pour repenser ma carrière et envisager de me lancer dans la musique. J’ai bricolé deux-trois trucs, j’ai fait des FaceTime avec mon pote Kiddy Smile qui a écouté mes morceaux et m’a dit : “Lance-toi dans la musique, c’est ça ton vrai rêve. Il faut absolument que tu le fasses.” Je me suis chauffé et je l’ai fait.

Des encouragements de Kiddy Smile sont clairement une très bonne raison de se lancer ! Que souhaitez-vous raconter à travers vos chansons ?

J’aimerais surtout que ces chansons rencontrent un public et qu’elles leur parlent, comme la musique m’a parlé et accompagné quand j’étais plus jeune. Je pense que la psychanalyse commence déjà avec les sons qu’on écoute. Ils nous apportent toujours une réponse, peu importe ce qui nous arrive dans la vie. Ils nous rappellent forcément un moment de joie, de tristesse, de rupture… Je pense qu’ils sont vraiment là pour nous accompagner et nous aider. La musique est magique.

Votre premier EP se nomme L’Hérétique. Pourquoi avoir choisi ce nom ?

L’Hérétique est complexe, ça veut dire beaucoup de choses à la fois. C’est une chanson que j’ai écrite en pensant à Jeanne d’Arc. C’est une femme qui m’a fasciné dès l’enfance. J’avais fait une visite au Mont-Saint-Michel quand j’étais gamin, et je voyais des statues à son effigie dans tous les lieux où j’allais. J’ai alors demandé à ma mère pourquoi elle était aussi importante et elle m’a emmenée à la bibliothèque pour découvrir son histoire. J’ai vu tout ce qu’elle a fait pour la France et c’est juste incroyable. C’était une héroïne et, à la fin, on l’a accusée et brûlée. C’est à ce moment-là que je me suis dit que l’être humain était capable du pire.

Son histoire a fait écho à certains passages de ma vie. On m’accusait toujours d’être un hérétique au collège, d’être cette personne différente qu’il faut mettre au bûcher, qu’il faut brûler parce qu’elle est différente. Cette musique était donc un hommage à l’hérésie.

La musique a-t-elle été un moyen d’extérioriser vos pensées et vos sentiments ? Est-ce une forme de thérapie ?

Bien sûr ! Je mets beaucoup d’amour dans mes chansons. Quand je les termine, ça libère mon cœur. La musique est vraiment une thérapie pour moi.

Vos clips sont de vraies œuvres artistiques. On y voit une esthétique léchée, tout est réfléchi dans les moindres détails. Quelles sont vos influences et pourquoi cette démarche artistique est-elle importante pour vous ?

Je crois que rien ne se fait par hasard et je me suis interrogé sur mes choix : pourquoi avoir attendu 20 ans pour faire ma musique ? Pourquoi me lancer dans ce projet à 40 ans ? J’en suis venu à la conclusion que la vie est très bien faite. Pour moi, l’image est aussi importante que la musique et je pense que toutes ces années dans la mode, avec les plus grands photographes et vidéastes du monde, à apprendre comment gérer la lumière et à être attentif au moindre détail, m’ont permis d’imaginer toutes ces choses. J’ai aussi compris que j’avais besoin de les réaliser par moi-même. Je devais rencontrer mon univers avant de me lancer dans la musique, et j’adore la réalisation.

Vos clips sont-ils influencés par les films et les séries que vous voyez ?

Bien sûr. Déjà, j’ai une petite obsession pour la belle époque qui revient toujours un peu partout. Le clip de J’aurais aimé est aussi inspiré du poème de Baudelaire, À une dame créole, dans lequel il dit à cette femme qu’il aimerait l’emmener en France pour lui faire visiter sa grandeur, ses châteaux. Quand il la décrit, on dirait qu’il fait le portrait de Noémie Lenoir, aussi bien au niveau du physique que du caractère.

Ce poème, je l’avais lu plus jeune, mais je l’avais complètement oublié. Quand il m’est revenu en tête, j’avais déjà écrit ma chanson et de nombreuses images me sont venues en tête. Ça m’a aussi fait penser à Autant en emporte le vent, qui est l’un de mes films préférés et qu’on peut retrouver à plusieurs endroits dans le clip. Je n’aurais pas l’audace de les comparer, parce que c’est la plus belle œuvre cinématographique de tous les temps et je ne sais pas si on pourra faire mieux, même si elle a été faite il y a presque 100 ans… Bref, tous ces codes de vieux films reviennent souvent dans ma DA ; j’adore ça.

On a pu voir Coco Rocha et Lyna Khoudri dans vos clips. Quelle personnalité publique rêveriez-vous d’avoir dans le prochain ?

Je ne sais pas, car je suis beaucoup trop premier degré pour fantasmer certaines choses. Mon précédent métier a tué ce fantasme en m’interdisant d’imaginer un truc qui, logiquement, est impossible. Aujourd’hui, ce que je veux vraiment, c’est pouvoir créer librement des histoires. Quand j’ai commencé à démarcher certains labels, on a voulu me rendre contemporain et moderne.

Pour les gens, c’est très bizarre de voir un garçon qui me ressemble parler de la belle époque et filmer Lyna Khoudri dans les années 1940 en pleine crise de nerfs (rires). D’ailleurs, j’ai adoré cette expérience. On a tourné le clip en deux heures et elle est incroyable. On a fait une première prise, elle est rentrée dans le personnage, je l’ai guidée, et elle a tout compris en deux secondes. Je n’aurais pas les mots pour décrire son talent.

Avant de nous quitter, pouvez-vous nous partager vos derniers coups de cœur culturels ?

J’ai adoré le film Mist de Damien Jalet. Il est vraiment incroyable. Pour moi, ça représente un peu la naissance de l’homme et de la vie. C’est de la danse contemporaine mêlée à de la lumière, à de l’eau, à de la vapeur… C’est très dur à décrire, il faut vraiment le voir, mais c’est vraiment très beau.

Pour moi, le classique indémodable qu’il faut absolument regarder c’est Fantasia. C’est un des plus beaux films du monde. En ce moment, j’adore aussi écouter les sons de Doja Cat. Elle a une vraie liberté, elle ne ressemble à personne et tout son univers est dingue.

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Article rédigé par
Agathe Renac
Agathe Renac
Journaliste