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Qu’est-ce que Viginum, la nouvelle agence contre les ingérences numériques étrangères ?

02 novembre 2021
Par Kesso Diallo
L’État se prépare en vue de la prochaine élection présidentielle.
L’État se prépare en vue de la prochaine élection présidentielle. ©Geralt/Pixabay

Opérationnel depuis le 15 octobre, ce service est chargé de lutter contre les manipulations de l’information, à quelques mois de la prochaine élection présidentielle.

5 mai 2017. Deux jours avant le vote du second tour, le mouvement En Marche ! d’Emmanuel Macron annonce avoir été victime « d’une action de piratage massive ». Des milliers de courriers électroniques et de documents se retrouvent sur Internet. Parmi eux, des fichiers authentiques, mais aussi des faux, fabriqués dans le but de fragiliser le candidat et de déstabiliser l’élection présidentielle française. La Russie est accusée d’être à l’origine de cette fuite baptisée les « Macron Leaks ». Celle-ci n’a toutefois eu que peu d’influence sur le vote final, les documents ayant été mis en ligne quelques heures avant le début de la « période de réserve », qui interdit toute activité à caractère de propagande électorale de la veille du scrutin à la fermeture des bureaux de vote afin d’assurer que la sérénité du choix des électeurs.

En octobre 2020, l’assassinat de Samuel Paty a été suivi d’une campagne de désinformation anti-française sur les réseaux sociaux. Emmanuel Macron a alors mis en place la « task force Honfleur » pour en identifier l’origine, qui s’est avérée turque : « Une politique de mensonges d’État relayés par les organes de presse contrôlés par l’État turc » avait visé le Président en mars dernier, affirmant que les propos tenus dans son discours sur le séparatisme islamiste avaient été déformés. Lors du conseil de défense du 12 janvier 2021, il décide de maintenir cet effort de lutte contre la désinformation avec une nouvelle structure au sein du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN). Naît alors l’Agence de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères (Viginum).

Une agence pour identifier les menaces

La création de ce service est annoncée en juin par le patron du SGDSN, Stéphane Bouillon, à l’Assemblée nationale : « Notre objectif, c’est d’arriver à détecter les attaques quand elles viennent de l’étranger, de pouvoir les caractériser et de pouvoir ainsi, d’une certaine manière, les attribuer. » Concrètement, le rôle de Viginum est de veiller, détecter et analyser les opérations et techniques des acteurs étrangers pour diffuser et amplifier en ligne des contenus hostiles à la France dans le but de porter atteinte aux intérêts de la Nation. C’est le cas par exemple de tentatives de manipulation de l’opinion sur les réseaux sociaux à l’aide de bots (comptes autonomes).

Pour mener à bien sa mission, la Viginum – dirigée par l’ancien magistrat de la Cour des comptes Gabriel Ferriol et opérationnelle depuis le 15 octobre – dispose d’un budget annuel de 12 millions d’euros. Il comptera 40 employés d’ici la fin de l’année, principalement des analystes, des ingénieurs spécialistes des données et des experts en médias numériques. Dans le cadre du projet de loi de finances 2022, l’agence va par ailleurs bénéficier de 25 emplois supplémentaires, portant ainsi son effectif à 65 personnes. Ces agents travailleront à partir de sources ouvertes, autrement dit avec des informations publiques (médias, Internet, réseaux sociaux, publications professionnelles, gouvernementales…).

La Viginum recueillant et traitant toute sorte de données, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) a été saisie. Elle a d’ailleurs examiné un projet de décret proposé par le service afin d’établir un cadre légal. Elle rendra prochainement son avis. « Lorsque nous aurons le cadre légal » fourni par le décret, « nous pourrons ajuster nos outils », a indiqué Marc-Antoine Brillant, directeur adjoint de Viginum lors du Forum international de la cybersécurité en septembre dernier.

Un comité éthique et scientifique pour surveiller ses activités

La création de cette nouvelle agence présente un risque : être perçue comme un outil d’influence au service du gouvernement à quelques mois de la présidentielle. Conscient de ce danger, Stéphane Bouillon a assuré en juin dernier une transparence totale, ainsi qu’une surveillance des activités de Viginum notamment par le biais d’un comité éthique et scientifique. Présidé par la conseillère d’État Béatrice Bourgeois-Marcheau, ce dernier est chargé de suivre l’activité de ce service et peut faire des recommandations. Il est composé de sept autres personnalités « qualifiées dans les domaines juridictionnels, scientifiques ou médiatiques ». Parmi elles figurent la magistrate Marie-Christine Tarrare, Pauline Talagrand, rédactrice en chef adjointe à l’investigation numérique de l’Agence France Presse et Jean-Maurice Ripert, ancien ambassadeur de France en Chine et en Russie.

Enfin, dans le cadre de sa mission, la Viginum n’a pas pour but de riposter. Une fois la menace identifiée, ce rôle revient à l’État qui peut, par exemple, décider de rendre ces ingérences publiques ou « agir auprès des réseaux sociaux pour qu’ils interviennent et suppriment les comptes litigieux », comme l’a précisé Henri Verdier, l’ambassadeur français pour le numérique.

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Journaliste
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