À l’occasion des 30 ans du film culte d’Henry Selick, L’Éclaireur répond à la question éternelle : L’Étrange Noël de Monsieur Jack est-il un film de Noël ou bien un film d’Halloween ?
L’Étrange Noël de Monsieur Jack fête ses 30 ans en 2023 ! Le film culte d’Henry Selick, associé – à raison – au nom de Tim Burton, s’est construit une solide réputation au fil des années, malgré un échec relatif lors de sa sortie et un studio qui n’y croyait absolument pas.
Avec ses personnages charismatiques, ses chansons mémorables et toute sa direction artistique incroyable, The Nightmare Before Christmas – son titre original – est le programme parfait pour les fêtes d’Halloween. Horrifique, mais familial, macabre, mais poétique, sombre, mais enchanteur. Néanmoins, depuis 30 ans, une même question revient. L’Étrange Noël de Monsieur Jack, est-il un film d’Halloween ou bien un film de Noël ? L’Éclaireur va trancher, et la réponse ne sera pas « les deux », ça serait trop facile…
Tout commence quand un jeune animateur ambitieux du nom de Tim Burton est recruté chez The Walt Disney Company. L’artiste a déjà son propre univers bien défini : enfant bercé par les films de monstres de la Hammer, il convoque dans ses créations le macabre et l’horreur, tout en gardant une sensibilité très personnelle. La plupart de ses dessins sont régulièrement refusés par le studio, lorsqu’il travaille sur les longs-métrages d’animation Disney – il crée par exemple de nombreuses créatures pour Taram et le Chaudron magique (1985) –, mais Tim Burton, créatif dans l’âme, persiste.
Il propose ainsi à la direction l’idée d’un long-métrage inspiré de l’œuvre de Dr. Seuss (Le Grinch) parodiant le poème de Clement Clark Moore nommé The Night Before Christmas. Burton imagine un personnage, Jack, roi proclamé de la fête d’Halloween, en pleine crise existentielle. Pour couronner le tout, l’artiste pense à la stop-motion (l’animation en image par image) et non pas à la 2D traditionnelle de l’époque. Sans surprise, Disney refuse (la société n’est pas en état, à ce moment-là, d’expérimenter) et Tim Burton quitte l’entreprise pour voler de ses propres ailes. Dix ans plus tard, il revient victorieux des succès de Batman (1989) et Edward aux mains d’argent (1990), et cette fois-ci, Disney – en pleine renaissance artistique – valide le projet.
Un jour monde sans fin…
Revers de la médaille, Tim Burton est désormais trop accaparé par ses films en prise de vues réelles et ne peut réaliser lui-même le long-métrage. Il confie donc le poste à Henry Selick, tout en gardant un contrôle sur la production, sur l’histoire et sur le design des personnages. Le film sort en octobre 1993 et respecte la vision initiale de son concepteur : un film sur les monstres d’Halloween, qui décident de s’emparer de la fête de Noël. Avec les années, son statut de film culte s’impose et L’Étrange Noël de Monsieur Jack est plébiscité par tous, tout en étant régulièrement enrichi par d’autres œuvres.
Avec l’introduction, le ton est posé : des créatures ancestrales sortent des tombes, de sous les lits et de l’obscurité pour se rassembler au son d’un hymne célébrant Halloween et, surtout, le meilleur représentant de la nuit horrifique, Jack, le Roi des Citrouilles, talentueux maître de la peur. Les monstres vivent à Halloween Town et leur seul but est cette nuit du 31 octobre.
Le film pose un constat assez terrible, en réalité : les monstres sont piégés, malgré eux, dans cette seule notion d’existence liée à la fête d’Halloween. Pour créer rapidement une ambiance immersive, le film peut compter sur le compositeur Dany Elfman, qui ajoute à L’Étrange Noël de Monsieur Jack une partition mémorable, très théâtrale et shakespearienne. Avec This Is Halloween, le monde est posé et l’histoire peut commencer.
S’échapper par l’auto-destruction
Jack, maître de la peur, est las. Une nouvelle fête d’Halloween est passée, avec succès, mais cela fait des années qu’il effraie et terrorise les humains. Le Roi des Citrouilles n’y trouve plus d’intérêt. Vagabondant dans une forêt étrange, il découvre un passage le menant à la ville de Noël. Jack est fasciné et décide de s’emparer de cette fête lumineuse pour la célébrer à sa façon.
Par ce constat, L’Étrange Noël de Monsieur Jack pourrait passer pour un film de Noël, et par certains aspects – grâce notamment à l’imaginaire de Noël convoqué – c‘est le cas, nous ne dirons pas le contraire. Mais en appréciant plus en profondeur la thématique principale du film, il en ressort une mélancolie bien éloignée de l’esprit magique des fêtes de fin d’année.
Jack veut sortir d’Halloween, piégé dans cette boucle sans fin, et son seul moyen d’y parvenir est de détruire sa raison d’être. Le film joue constamment avec la destruction de soi-même. L’obsession de Jack pour Noël va à l’encontre de sa nature profonde ; Sally, monstre de Frankenstein au féminin, détruit son corps cousu et recousu pour s’échapper de sa prison ; Oogie Boogie, monstre cupide et ambitieux, est enfermé dans un sac en toile qui prend vie et… se déchire.
Derrière les sapins et les cadeaux, le spectacle qu’offrent Jack et les autres monstres est d’une tristesse infinie. Le Roi des Citrouilles est en pleine dépression, persuadé de comprendre une fête qui ne lui correspond pas, au point de se faire passer pour un père Noël terrifiant, squelette animé coiffé d’un bonnet et d’une fausse barbe : vision traumatisante s’il en est. Tim Burton et Henry Selick sont forts pour créer des scènes mémorables à l’esthétisme troublant.
L’animation splendide du film sert ses personnages, ses numéros musicaux et contient tout le lyrisme noir du (ou des) cinéaste(s). Halloweentown est totalement sombre et macabre – du pur gothique –, mais, curieusement, c’est le « vrai » monde qui contient les scènes les plus terrifiantes. Quand Jack se met en tête de distribuer des cadeaux et se rend en plein ciel, il est chassé et abattu par des missiles, créant une rupture forte avec l’ambiance onirique du reste du film.
Certes, un onirisme sous forme de cauchemar, mais contenant toute une poésie. Dans le « vrai monde », cette poésie a disparu et laisse sa place à une froideur déconcertante. Vite, retrouvons le monde des monstres !
L’acceptation tragique du destin
Jack échoue. Son plan est un échec et le ramène à sa terrible condition : il est Halloween, il n’est pas Noël et ne le sera jamais. Tout le film est teinté d’une sensation douce-amère, qui crie en réalité une énorme frustration : personne ne peut échapper à son destin, même en essayant de tordre les règles. Là où L’Étrange Noël de Monsieur Jack retrouve la poésie de Burton, c’est lorsque son personnage principal est mis face à la vérité et qu’il l’accepte.
En bon maître de l’horreur, le Roi des Citrouilles, dans un des plus beaux moments chantés du film (Poor Jack), se complaît dans sa condition de terreur et s’arme des plus belles idées pour l’année suivante. Il ressort de tout cela une sensation de folie un peu abstraite. Les monstres sont à la fois source et victimes du malheur. Et mieux vaut en rire et s’en satisfaire, que se perdre dans la tristesse.
Jack l’apprend à ses dépens et, via son échec, retrouve une partie de lui-même, mais (et c’est la beauté du film) ne réalise pas son rêve. Naturellement, le long-métrage se termine tout de même sur une pointe d’optimisme : le méchant est puni, la romance s’installe, et Jack est (un peu) « récompensé », mais la boucle va forcément recommencer.
Alors, non, malgré le très entraînant What’s This?, dans lequel Jack découvre toute la beauté de Noël, malgré la neige, malgré les cadeaux et les sapins, L’Étrange Noël de Monsieur Jack n’est pas un film de Noël optimiste, où l’espoir se transmet d’année en année à chaque réveillon.
Il est un film centré sur des personnages emprisonnés dans leur propre quotidien tragique, qui ne peuvent échapper à leur condition grotesque de porteurs d’effroi, condamnés à répéter la même musique chaque année, tout en tenant – en plus – le mauvais rôle. C’est une véritable histoire de peur, portée par une direction artistique où le gothique règne en maître !
Et peu importe le nombre de portes magiques que Jack ou les autres trouvent. Pâques, Noël, Thanksgiving… Il peut y aller et tenter de se les approprier, il sera toujours rappelé à être ce qu’il est : le Roi des Citrouilles, pour l’éternité.