[Rentrée littéraire 2023] Portraits croisés de deux romancier·ère·s enfin prêt·e·s à exploser, Maria Pourchet et Pierric Bailly.
Autant vous le confesser tout de suite, Pierric Bailly et Maria Pourchet n’ont pas grand-chose à voir. Que ce soit leur personnalité, leur parcours, leur littérature ou leur style, ils pourraient presque diverger en tout point. Pourquoi alors les rassembler dans ces portraits croisés ? Parce qu’à y regarder de plus près, ils ont un point commun : ils sont à la croisée des chemins. D’abord considérés comme des espoirs talentueux puis comme des figures littéraires en puissance, ils ont passé un nouveau palier avec la sortie de leurs nouveaux livres, parmi les meilleurs de la rentrée, qui s’apprêtent à définitivement les installer parmi la fine fleur du roman français.
Soutenus par des lecteurs fidèles, mais aussi par des nouveaux venus, encensés par la critique, en bonne place dans la course aux honneurs : ils sont même les grands gagnants de ce mois de septembre. Et le plus drôle dans tout ça, c’est que La Foudre (POL) et Western (Stock) sont deux romans d’amour. Pas des romances à l’eau de rose qui réchauffent nos petits cœurs, mais des chroniques acides qui n’épargnent pas l’époque et racontent avec cruauté les affres du désordre amoureux, la violence des rapports homme-femme, la fragilité des êtres… Un Renaudot pour Pourchet, un Femina pour Bailly et promis, on arrêtera de cracher sur les prix.
Maria Pourchet vide ses chargeurs
Le style de Maria Pourchet ne plaît pas à tout le monde. C’est direct, ça cogne. Les bons mots s’enchaînent comme les punchlines d’un rap millimétré. Certain·e·s trouvent ça artificiel, mais on a aussi le droit d’adorer. Dans Western, la romancière est de retour avec une plume encore plus affutée que jamais.
Alexis Zagner est un comédien au sommet de sa gloire. Bête de scène, monstre médiatique, charmeur invétéré, il s’apprête à interpréter Dom Juan, un rôle taillé sur mesure, dans une pièce qui va faire l’événement. Mais, à quelques jours de la première, une polémique enfle et l’acteur est rattrapé par son passé et certains comportements déplacés. Préférant fuir la vindicte populaire, il s’évapore soudainement sans laisser de traces.
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Aurore, elle, est une quarantenaire à bout de souffle. Complètement effacée au travail, déçue par les hommes qui l’ont trop fait souffrir, dépassée par son rôle de mère, elle est devenue la passagère clandestine de son existence et espère trouver des réponses au chevet de sa mère. Sur la route de l’Ouest – pas dans les plaines arides du Texas, mais dans les forêts sombres du Lot –, ces deux êtres vont se croiser et apprendre à s’apprivoiser. Mais qu’est-ce que ces âmes en peine peuvent bien s’apporter ?
Avec une certaine maestria tant le pari était culotté, Maria Pourchet installe un jeu de miroir entre une comédie dramatique contemporaine et un western de l’âge d’or. Au fil des chapitres, l’autrice égrène les poncifs du genre pour mieux les détourner. La fuite d’un hors-la-loi, l’arrivée en gare, l’apparition nocturne du cow-boy fourbu, le calme d’un repas autour du feu avant la tempête, jusqu’au duel final. Entre Justine Triet et John Ford, Western vise juste et Maria Pourchet a la gâchette facile. Elle dézingue sans sommation une époque faite de raccourcis et de simplifications, elle invite à repenser l’amour à l’heure où le rapport entre les sexes ne se vit plus que dans la confrontation. Un miroir cruel, une déflagration.
Pierric Bailly entre dans la lumière
Tapez Pierric Bailly sur Google Images et vous découvrirez le parfait portfolio d’un homme des bois. L’écrasante majorité des clichés représentant l’écrivain sont pris en forêt, au milieu des arbres, en pleine nature. L’écrivain est discret, il avance à couvert, dans les montagnes du Jura qu’il aime tant, loin de la fureur et du tumulte de notre monde. Une vie peut-être un peu trop reculée, si l’on en juge par sa notoriété, encore trop éloignée de son incroyable talent littéraire.
John est berger. Il se passionne pour son métier même s’il doit partager son temps entre son troupeau dans les montagnes et sa vie de famille avec sa femme Héloïse dans la Vallée. Un jour, cette existence isolée, loin des préoccupations du monde civilisé, va pourtant être chamboulée quand il découvre aux informations un drame qui le touche de près. Alexandre, un ancien camarade de classe devenu un vétérinaire engagé pour la cause animale, a tué son voisin, un jeune chasseur de 20 ans, et s’apprête à être jugé.
Cette histoire le bouleverse et il décide de contacter Nadia, la femme d’Alexandre, elle aussi une ancienne amie du lycée. Peu à peu, il s’immisce dans cette vie de famille brisée, se rapproche dangereusement de cette femme abandonnée, va même jusqu’à remettre en cause son mariage. Quelle mouche l’a piqué ?
John est la victime d’une folie passagère, d’un coup de foudre coupable qui le plonge dans un insoluble triangle amoureux. Le malaise s’installe et, comme toujours chez Pierric Bailly, la nature s’invite à la fête ; majestueuse, mais inquiétante, elle vient envelopper ce troublant roman qui vous travaille longtemps.