Thomas B. Reverdy : “En tant qu’enseignant, j’ai plus l’impression d’être un travailleur social qu’un bourgeois éclairé qui œuvre pour la jeunesse”

C’est le récit d’une journée de cours pas commune pour nous, mais banale pour de nombreux professeurs. Montée en pression lente et inéluctable, Thomas B. Reverdy retrace dans Le Grand Secours (Flammarion) huit heures dans une école de banlieue jusqu’à son explosion fatale. Une expérience qu’il a lui-même vécue en tant que professeur dans le collège-lycée où il enseigne la littérature depuis 20 ans. 

Contrairement à vos autres romans, vous avez choisi d’ancrer Le Grand Secours dans un territoire que vous connaissez bien, celui de Bondy, en Seine-Saint-Denis, où vous enseignez. Pourquoi ? 

Ce livre part d’un constat un peu fatigué. Celui que certaines banlieues sont gouvernées par le “pas de vagues”. On attend gentiment que cela se dégrade et, quand ça explose, quand les émeutes éclatent, on met des sparadraps. La période que l’on vient de vivre est d’ailleurs intéressante, car, plutôt que de mettre un sparadrap, on a répondu aux émeutes par le conflit. Le sentiment d’abandon par les pouvoirs publics dans les banlieues se fait vraiment ressentir. 

Une situation qui, selon vous, impacte les conditions dans lesquelles vous enseignez…

Il y a une certaine forme de paupérisation dans le métier d’enseignant. C’est un métier qui s’est durci dans certains endroits, qui est mal considéré et plutôt mal payé. Quand j’ai commencé, être agrégé était quelque chose d’important. Vingt ans plus tard, j’ai l’impression qu’on ne nous raconte plus la même histoire.  

Quelle est cette histoire ? 

Aujourd’hui, en tant qu’enseignant, j’ai beaucoup plus l’impression d’être du côté du travailleur social que du bourgeois éclairé qui œuvre pour l’émancipation de la jeunesse. Tout ça, c’est un ensemble à force d’abandon, de maltraitance. C’est un métier de plus en plus difficile qui attire de moins en moins les jeunes. De fait, le nombre de personnes qui s’inscrivent au concours public réduit d’année en année. 

Pour autant, vous maintenez qu’il s’agit d’un métier plein d’espoir…

Bien sûr ! Être prof, c’est un métier d’action, c’est un métier concret. On est avec des enfants tous les jours, ils sont intelligents, sensibles et peuvent tous devenir président de la République ! À 12 ans, c’est encore possible… Et notre rôle à nous, c’est de leur souhaiter le meilleur et de leur permettre d’y arriver. Donc c’est un métier où l’on est obligé d’être optimiste. 

Vous écrivez dans Le Grand Secours : “Tant qu’ils ont en face d’eux des adultes qui leur montrent autre chose, qui les élèvent, qui leur disent que le monde est plus vaste […], ça fonctionne”. Que voulez-vous dire ?

Effectivement, je pense que c’est important et que ça fait partie de mon job de proposer aux élèves autre chose. Que le prof soit l’occasion d’une rencontre avec “autre que soi”. Quelqu’un qui va leur proposer de la littérature alors qu’il n’y a pas de livres chez eux, dont le niveau de langue ou l’allure n’est pas la même.

Je pense qu’on ne peut pas demander aux élèves de nous plaindre. C’est à nous de nous occuper d’eux, donc il faut, au contraire, qu’on leur donne une image de réussite. Parce que, pour beaucoup, si ce n’est pas nous qui leur donnons, je ne vois pas ce qui peut les pousser à faire des études. Je me souviens même d’un collègue qui leur disait qu’il avait un bateau. Il leur faisait croire qu’on était vachement riche et ils étaient un peu bluffés ! 

Le Grand Secours, c’est aussi une ode à la littérature et à l’écriture d’invention. Pourquoi est-il important pour vous de souligner son importance ?

Au fil des années, la pratique de l’écriture à l’école recule. Au lycée et au collège, on fait de moins en moins de rédaction. La dernière réforme a d’ailleurs supprimé l’épreuve d’écriture d’invention au bac. Je trouve que c’est dommage, car petit à petit, on oriente l’écriture vers l’écriture argumentative en se disant qu’on est en train de travailler le raisonnement, mais en réalité, on est juste en train d’appauvrir l’imagination. D’une certaine manière, l’école tue l’imagination et je trouve ça assez triste.  

En tant que professeur, avez-vous trouvé une parade ? 

En classe de 1^re, j’essaie de consacrer une heure par semaine à l’écriture. Pour cela, je donne en début d’heure une consigne un peu absurde aux élèves comme : “C’est mercredi matin, il fait beau, vous allez décrire votre trajet.” Et, de séance en séance, on arrive à des exercices de plus en plus farfelus, par exemple : “Vous ouvrez la porte de la B110. Votre prof de français est devenu une femme. Qu’est-ce qui a bien pu se passer ?” 

Et les élèves sont réceptifs ? 

Plutôt, oui. Ce qui me plaît bien, c’est le moment où ils comprennent qu’on est là pour se marrer, pour faire ce qu’on veut et là, ils y prennent du plaisir. Ce qui est assez touchant aussi, c’est de voir des élèves pas bons en français et assez mal à l’aise scolairement qui peuvent quand même s’amuser durant ce type de moment.

D’ailleurs, face à l’écriture argumentative, vous persistez avec un roman de fiction…

Tout à fait, car je trouve la forme romanesque pertinente pour faire passer des idées, même si elle n’a pas forcément la côte ces dernières années. En France, dans la chose écrite, on aime beaucoup les intellectuels, car on aime les débats. C’est encore vrai pour cette rentrée littéraire où l’on retrouve certes des romans, mais où sont glissés des récits personnels et beaucoup d’essais déguisés.

Le Grand Secours, de Thomas B. Reverdy, Flammarion, 2023, 320 p..