Critique

Psychopompe : l’envol salvateur d’Amélie Nothomb

25 août 2023
Par Benoît Gaboriaud
Psychopompe : l’envol salvateur d’Amélie Nothomb
©Jean-Baptiste Mondino

[Rentrée littéraire 2023] Psychopompe ! Voici un nom bien intriguant qui, de ce fait, sied parfaitement à l’univers d’Amélie Nothomb. L’autrice l’a choisi pour intituler son 32e roman : un ovni autobiographique. Elle y a mis tous les ingrédients qui ont fait son succès : une touche de conte, un brin de mysticisme et quelques bizarreries. Mais que vaut ce cru 2023 ?

C’est désormais acté ! Une rentrée littéraire ne peut avoir lieu sans la publication d’un nouveau récit d’Amélie Nothomb. Cette année, « seulement » 466 romans sont attendus en librairie, mais nous pouvons d’ores et déjà parier que celui de l’autrice belge sortira du lot et caracolera en tête des ventes, d’autant que la romancière a particulièrement le vent en poupe ces dernières années.

En 2019, le prix Goncourt lui a échappé de peu pour Soif (LgF), mais le Renaudot de consolation lui a été attribué en 2021 pour Premier sang (LgF). Elle y rendait hommage à son père, Patrick, décédé en mars 2020, en plein confinement. Elle n’avait pas eu alors l’occasion de lui dire au revoir. Dans Psychopompe (Albin Michel), elle raconte cette démarche, initiée par son envie d’être un oiseau dès l’enfance : une cause à effet pour le moins surprenante, mais nous ne pouvions pas en attendre moins de la part d’Amélie Nothomb.

Du vol à l’écriture

« Écrire, c’est voler », apparaît en quatrième de couverture. Les thèmes sont donnés : l’écriture et les oiseaux ! Amélie Nothomb aurait bien pu être la muse de Luc Plamondon, auteur de SOS d’un Terrien en détresse : « J’ai jamais eu les pieds sur Terre / J’aimerais mieux être un oiseau / J’suis mal dans ma peau / J’voudrais voir le monde à l’envers. » Ces paroles cultes résument finalement assez bien ce nouveau roman autobiographique un brin alambiqué mais à la trame particulièrement originale. Le récit va de sa petite enfance à aujourd’hui : une vaste période relatée en 156 pages. Point trop n’en faut ! Comme elle le souligne ici, l’autrice n’aime pas le superflu mais ne cesse de brouiller les pistes. 

Amélie Nothomb.©Jean-Baptiste Mondino

L’oiseau comme fil d’Ariane

En guise d’introduction, Psychopompe propose un conte traditionnel nippon et cruel que lui racontait sa nounou lorsqu’elle avait 4 ans à peine. La tragique héroïne, une femme-oiseau, lui provoque le déclic : son espèce totémique est aviaire ! Une idée farfelue qui présageait le pire, mais, dès la page 12, nous voilà rassurés. Ce cru 2023 ne sera pas un conte revisité à la manière de Barbe bleue (2012, LgF) ou Riquet à la houppe (2016, Albin Michel), mais bien une autobiographie détonnante, domaine dans lequel elle excelle tout particulièrement – souvenons-nous de Stupeur et tremblements (1999, Grand Prix du roman de l’Académie française, LgF), La Nostalgie heureuse (2013, Albin Michel) ou Pétronille (2014, LgF). Dans ces ouvrages, Amélie Nothomb faisait part d’une grande autodérision. Celui-ci en est malheureusement dépourvu et s’éparpille, même si l’oiseau en reste tout du long l’habile Fil d’Ariane. 

« L’écriture comporte l’énorme péril de la chute, parce qu’elle est un vol. »

Amélie Nothomb
Psychopompe

Du Japon à la Birmanie, en passant par la Chine et le Bangladesh, l’enfant, fille de diplomate, voit en l’oiseau un modèle de vie, sous le regard amusé de son entourage et du lecteur. L’engoulevent oreillard – un nom d’oiseau résolument « nothombien » – devient alors son mentor, comme une évidence. Le ton est léger, mais de fortes turbulences, causées par les agressions sexuelles de quatre hommes lors d’une baignade en mer au Bangladesh, conduit le récit vers d’autres préoccupations.

L’autrice avait déjà subtilement abordé ce traumatisme dans Biographie de la faim (LgF) en 2004. Ici non plus, elle ne s’appesantit pas sur le sujet, mais traite davantage de ses conséquences : une période de haine contre soi-même se manifestant par une anorexie maladive. Son salut, elle le doit à son véritable envol, réalisé par le biais de l’écriture.

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Ainsi, Amélie Nothomb devient cette femme-oiseau tant fantasmée, mais non sans risque : « Michel Leiris regrettait que l’écriture ne comporte pas un danger comparable à la corne du taureau dans la tauromachie. Il se trompait de métaphore. L’écriture comporte l’énorme péril de la chute, parce qu’elle est un vol. » Ce vol l’amène par la suite à envisager son rôle de psychopompe, conduisant les âmes des morts et tout particulièrement celle de son père, l’occasion de revenir sur ses projets précédents : Soif et Premier sang

Un cru alambiqué

En cours de lecture, ou de vol pourrions-nous dire, difficile de savoir où Amélie Nothomb veut nous emmener, tant elle change de cap et de ton ! Dans sa deuxième moitié, truffée de références mythologiques et de citations littéraires parfois abracadabrantes, Psychopompe s’apparente davantage à une chronique intimiste qu’à une autobiographie romancée. La femme s’y dévoile moins que l’écrivaine, qui s’adonne durant plusieurs paragraphes à une masturbation intellectuelle fastidieuse. Assez inégal, Psychopompe nous permet malgré tout de percer davantage le mystère Amélie Nothomb.

Psychopompe, d’Amélie Nothomb, Albin Michel, 156 p., en librairie depuis le 23 août 2023.

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