SCH entretient un lien fort dans son esthétisme avec l’Italie. Ainsi, à l’occasion des 50 ans du rap cette année, L’Éclaireur a voulu se plonger dans les liens féconds entre les scènes hip-hop des deux côtés des Alpes.
Brushing le plus célèbre de la scène française, SCH détonne. Si la mixtape qui l’a fait percer en 2015 s’appelle A7, du nom de l’autoroute qui s’étend de Lyon à Marseille, les inspirations de l’auteur viennent de plus loin : Julien Schwarzer, de son vrai nom, est un homme d’influences ; imaginaire allemand par le patronyme (grand-père berlinois), mais surtout ancrage italien. Nul rappeur français n’a ainsi été autant influencé par la péninsule, sa scène et son imaginaire. Le prétexte idéal pour décrypter les liens féconds entre l’Italie et le rap français, entre échanges esthétiques et production commune.
Itinéraire d’un prince du Sud
Depuis 2015 et sa collaboration avec Lacrim, précurseur en ce domaine, SCH a fait du chemin. Devenu juré – charismatique – de Nouvelle École diffusée sur Netflix, acolyte de Jul et de Soso Maness, il est devenu l’un des plus grands vendeurs français de rap, mais pas seulement : une icône populaire et sympathique gentiment moquée par le Palmashow.
Les débuts sont modestes, néanmoins. Père routier, mère infirmière, l’artiste grandit à Aubagne, quartier de La Louve, dans l’orbite directe de la planète Mars. Le jeune Julien Schwarzer a ainsi sûrement rêvé de go fast qui ne venaient pas de Marbella, mais d’Italie, de trafics issus de quelques ports napolitains dont il a puisé l’eau pour en faire son encre.
D’A7 aux albums qui suivront, notamment Julius I et II (2018-2021) jusqu’à Autobahn sorti l’année dernière, l’imaginaire de SCH s’est donc résolument nourri d’une grappa noire et sombre, forcément italienne. Influence napolitaine, d’abord, avec le morceau Gomorra et son clip monumental tourné dans le maintenant célèbre quartier de la Scampia, à Naples, triste exemple d’un urbanisme à la fois mégalomane et défaillant.
SCH ne fait pourtant pas dans la dénonciation. Son originalité est ailleurs, elle réside dans la mise en scène d’un corps qui détonne alors, marqué par des tatouages, un style vestimentaire peu vu, et osons le mot, une forme de coquetterie nouvelle en France, de Prince du sud.
Du Gucci pour les braves
Ici donc, pas de musculature tappe à l’œil et viriliste, mais le choix d’une cohérence de l’esthétique qui retient le regard. Quarante-sept millions de vues plus tard pour ce seul morceau, on remarquera encore cette patte : la voix rocailleuse, mais aussi ce style de flingueur flingué très 2015, maillot de foot à manches longues par plein été, t-shirt et vestes ultracintrées, queue de cheval sur cheveux parfaitement lissés – ultime clin d’oeil au bad boy romain ou calabrais.
Si SCH garantit n’être ni homosexuel, ni policier – d’ailleurs il ne l’évoque jamais en ces termes, machisme oblige –, il possède un style qui fera jaser de notre côté des Alpes. Ce style se précisera plus tard jusqu’à sa formule finale : une exubérance – chemise griffée (Armani, Gucci ou Balenciaga, forcément), vestes kitch et coûteuses, une paire de Gucci pour masquer le regard – mâtinée de galères.
« Mon daron s’appelait Otto, il aimait pas les putos
Mon pote on gravit, on s’arrose
Ici, tout pour la famille, Cosa Nostra
Cœur en glace, rappelle-toi l’incendie
Les gens que j’aime, table à mille eu, j’sais qu’ils m’envient eux. »
SCHJulius, 2018
L’esthétique Camorra, le bling bling en plus, celle des vraies frappes telles qu’elles se rêvent en écoutant de la grosse chanson italienne. Celle de la mafia et du parrain.
Au Soleil noir des quartiers, le rappeur conteur
Autant de références donc, qui peuvent aussi se voir comme un enchaînement de clichés lassants et éculés autour d’une Italie pas tout à fait contemporaine. Ce serait pourtant se gâcher une partie du plaisir. Car il s’agit ici en fait d’un chant d’amour à un imaginaire, la possibilité d’une narration. Alors que d’autres se rêvent en parrain, villa – louée – à l’appui, SCH a l’habileté d’être l’éternel renégat, guetteur parfois, tueur à gage élégant et mélancolique perdant tous ses amis ; le vilain petit canard d’une obscure famille de substitution.
« Le goût du chiffre, le goût du risque
Qu’est-ce qu’on aurait pas donné?
Pour le gang, pour son respect
Lequel on aurait pardonné?
J’ferai pire pour bâtir un empire
Suis les ordres, le cadavre est lesté
J’respire, j’le mets dans ma tire et j’expire
J’repense aux fois où j’aurais pu y rester. »
SCHA7, 2015
De la place d’outsider qu’il se dessine ainsi, SCH a, en fait, toute liberté pour être le conteur privilégié de ce monde qui n’existe pas tout à fait. Son talent n’est pas spécifiquement dans la technicité de la rime, mais dans la capacité à créer un univers – résolument populaire – plus ambigu en fait qu’il n’y paraît, où parrains et sous-fifres se mêlent. La Vida Loca est ainsi la voisine d’une vie misérable, et les deux se confondent. Qu’on le veuille ou non, des quartiers nord de Marseille aux cités de Naples, un même horizon d’attente unit misères et aspirations, pour le pire comme pour le meilleur.
Hype esthétique et jeux de miroir
Ce jeu de références fonctionne des deux côtés de la frontière. On ne sera pas surpris de retrouver une intro en français dans le clip de Mentalité du rappeur italo-tunisien Baby Gang. Ce dernier reprend les codes d’un désenchantement très actuel – quartiers français ou italien, même combat, même racisme –, tandis que le chanteuse Priestess s’appuiera sur l’équivalent italien de nos clichés français avec sa chanson Maria Antonietta, ode à la reine déchue, à Monet et à la crème brûlée qu’elle décrit comme « l’ultimo dessert ».
Trap et drill ou la possibilité d’un rap universel (et uniformisé ?)
Mais, outre une fascination esthétique indéniable et des proximités entre artistes encouragées par des maisons de production communes, comme le prestigieux label Def Jam, ces liens ont aussi profité de l’émergence de la Trap dans les années 2010, puis de la Drill, l’un de ses sous-genres, c’est-à-dire un rap aux mélodies plus simples, efficaces, qui met l’accent sur un phrasé très normé (rime sur le début de la phrase suivante, déformation des mots, importances relatives des paroles).
Alors que, vu depuis les centre-villes, le rap a toujours été perçu comme une langue déformée ou réappropriée, l’apparition de ces nouveaux genres a changé la donne. Les liens entre rap et langue sont transformés : c’est un ton et une intonation qui sont recherchés. Une esthétique aussi – et c’est là toute la limite du genre –, plaquée sur des thématiques récurrentes : hymne au trafic et à la vie dure, jusqu’au risque de l’uniformisation et de la lassitude
Deux langues pour une musique
Le sens relégué en second plan, la musicalité prend le dessus et l’écoute d’un artiste allemand, anglais ou italien par un auditorat européen, qui n’en comprend pas les paroles, est rendu possible. Perspectives réjouissantes pour les maisons de disque qui peuvent maintenant oser l’export sans risquer l’écrasement absolument par les productions anglophones.
En témoigne ainsi le nombre de featuring entre grands noms des deux pays : SCH encore avec Ghalli et Sferra Ebbasta, mais aussi Gaza et Lazzo sur le son Ke lo Ko ou encore Booba, véritable king à l’importance peu dite en France mais qui a joué, comme d’autres avant lui, un rôle de passeur avec le hip hop US le plus pointu, et qui est souvent cité, en Italie, comme une référence.
Ce qui ne veut pas dire que la langue est évacuée : là où esthétique et goût d’un phrasé se rencontrent, le rythme, la cadence, la possibilité d’intonation ou non ont leur importance. Force est de constater que, toute perspective commerciale oubliée, le français et l’italien ont des rythmes proches, la possibilité d’un jeu sur les sons qui, sans être les mêmes, offrent des similitudes et des parallèles.
Ainsi, liés par des langues cousines, grâce aussi au renouveau d’un rap marseillais plus proche de Rome que de Bruxelles, et qui enflamme maintenant tout le territoire, rappeurs français et italiens cultivent une connexion qui perdure et se renouvelle. Une vibe unique qui vibre en parallèle. C’est un italien, Sferra Ebasta, qui le résume le mieux dans la très bonne interview de Raplume : « Je pense que la France et l’Italie sont comme des cousins. Le hip-hop français influence le hip-hop italien et la culture italienne influence le rap français. Nous sommes liés. »