En dépit d’un slogan qui promet de s’adresser à tous les joueurs, Final Fantasy XVI porte un numéro qui pourrait effrayer ceux qui ne suivent la série que de loin. Ce qui est certain, c’est que cet épisode s’apprête à bouleverser drastiquement la franchise.
Sept ans après les péripéties d’un quinzième volet qui a connu un parcours chaotique, Final Fantasy XVI fait table rase du passé pour remettre la série à plat. Sur le papier, rien de très inhabituel, puisque Square Enix a toujours mis un point d’honneur à redéfinir (plus ou moins largement) sa formule à chaque opus. Mais jamais de manière aussi « brutale » qu’à l’occasion de la sortie de ce seizième épisode. L’adjectif n’est évidemment pas choisi au hasard tant la proposition de ce Final Fantasy XVI s’annonce cinglante et sans concessions. Le visage tout entier de la saga ne risque-t-il pas de s’en trouver définitivement transformé ?
L’ouragan Final Fantasy XVI
C’est bien parce que la série n’a pas toujours su rester en phase avec les attentes des joueurs qu’elle a rencontré quelques écarts de parcours, et ça, les créateurs de Final Fantasy XVI l’ont bien compris. Si les studios de développement n’ont peut-être pas toujours le temps de se nourrir d’autant de références vidéoludiques que le font les joueurs les plus insatiables, il n’en reste pas moins primordial de rester attentif à l’évolution du média pour ne pas se retrouver à contre-courant.
Déjà, pas question pour le producteur Naoki Yoshida et le réalisateur Hiroshi Takai de se lancer dans un projet aussi disproportionné et dispersé qu’avait pu l’être le quinzième opus durant toute la durée de son développement.
Final Fantasy XVI reste donc sourd aux sirènes du monde ouvert pour inscrire son histoire dans les limites plus cadrées et plus maîtrisées d’une structure linéaire semi-ouverte. Un choix qui colle évidemment aussi à la dominante action assumée par cet opus, qui ne peut trouver sa pleine efficacité que dans le cadre d’une progression menée tambour battant.
Pas de compromis cette fois, le nouveau Final Fantasy s’éloigne sensiblement de ses origines de RPG (jeu de rôle) au tour par tour pour s’inviter dans la cour des jeux d’action les plus ambitieux. Une volte-face qui ne manque pas de panache, même si Square Enix nous y prépare doucement depuis plusieurs années.
Cette fois, plus de compromis
Le poids de la nostalgie vous fait-il regretter cette lointaine époque d’avant la fusion entre Squaresoft et Enix, lorsque la rivalité entre les séries Final Fantasy et Dragon Quest servait de terreau propice à la création des plus belles perles du jeu de rôle japonais ?
Il est vrai que la notion même de J-RPG n’a plus grand-chose à voir avec celle de ses débuts, la démarcation entre les genres s’étant à ce point estompée au fil des années qu’on ne peut plus concevoir un jeu d’action sans éléments de RPG et inversement.
D’ailleurs, à chaque fois que Square Enix s’est borné à conserver une posture hybride entre l’action en temps réel et le tour par tour, le résultat n’a jamais vraiment convaincu les joueurs. Le mode stratégique de Final Fantasy XV qui figeait le temps entre chaque action pendant les combats avait ainsi l’inconvénient de hacher le rythme des affrontements, même si son activation restait totalement optionnelle. Il s’agissait là d’une solution bancale imaginée par les concepteurs pour offrir une pause tactique aux joueurs peu familiers des jeux d’action en temps réel, mais qui se faisait au détriment de la fluidité du jeu.
Également proposé en option dans Final Fantasy VII Remake, le mode Classique était surtout là pour rassurer les puristes du tour par tour en automatisant partiellement l’action pour ne demander aux joueurs de choisir que les commandes à activer au moment voulu. Encore plus accessible que le mode Facile, il n’a probablement été utilisé que par une portion très minoritaire de joueurs n’ayant pas de scrupules à voir le personnage attaquer et se défendre automatiquement.
Dans sa volonté de n’effrayer personne, Final Fantasy XVI conserve d’ailleurs lui aussi un mode Histoire dans lequel les combats sont largement assistés et automatisés, alors même que le mode Action intègre une solution pertinente pour pallier le problème.
Le jeu permet en effet de s’équiper ou non d’accessoires bien spécifiques qui rendent les affrontements plus accessibles, par exemple en offrant plus de temps pour esquiver les assauts ennemis ou en utilisant automatiquement les potions pour éviter la mort. En tout cas, rien dans ce seizième volet ne vient entraver la fluidité de l’action, qui se doit d’être au paroxysme de la frénésie durant toute la durée de l’aventure.
“Le premier véritable Action RPG de la saga”
C’est en ces termes que Square Enix présente Final Fantasy XVI pour appuyer son choix de se rapprocher davantage de l’action virevoltante qui a le vent en poupe ces dernières années, au détriment des composantes rôlistes. Il faut dire que la Creative Business Unit III a pu s’appuyer sur l’expérience de Ryôta Suzuki, dont le nom est intimement attaché à celui de Devil May Cry 5, pour assurer la bascule vers des sensations plus directes et brutales. Une première dans la série Final Fantasy qui bénéficie là du savoir-faire d’un vétéran de Capcom pour faire de cet épisode le plus furieux de la saga.
En clair, les combats de ce nouvel opus ne se limitent pas aux combos traditionnels et y ajoutent un nombre important de compétences liées aux Primordiaux. En recevant leur bénédiction, le héros Clive Rosfield devient en mesure de jongler entre différents styles qui donnent chacun accès à des attaques spéciales directement liées aux chimères. L’aspect RPG se retrouve ensuite dans le déblocage des techniques permettant de développer les compétences que l’on souhaite privilégier en fonction de notre manière de jouer.
À la fois technique et accessible, car très intuitif, le système de combat de Final Fantasy XVI semble vouloir insuffler toute sa fougue au titre en rendant les confrontations aussi épiques que plaisantes à jouer. Notre compagnon canin Talgor ne manque d’ailleurs pas la moindre occasion d’intervenir pour nous épauler, ajoutant un soupçon de tactique appréciable.
Un Final Fantasy classé 18+
Très imprégné d’influences médiévales fantastiques dans la veine de Game of Thrones, l’univers de Final Fantasy XVI nous présente un monde placé sous l’hégémonie des Cristaux-mères dont l’énergie éthérée menace de se tarir. Les conflits se multiplient alors, faisant basculer les différents royaumes de Valisthéa dans un chaos guerrier indescriptible où les armes blanches et la magie se côtoient pour donner lieu à des batailles dévastatrices.
Plus destructeurs encore, les pouvoirs des Primordiaux, attribués à de simples mortels qualifiés d’Émissaires, incarnent la puissance absolue qui fascine autant qu’elle fait peur. Si le quinzième volet avait le mérite d’inscrire les fameuses invocations de la série dans un contexte narratif vraiment développé, Final Fantasy XVI va plus loin en les plaçant cette fois au tout premier plan.
Shiva, Ifrit, Bahamut, Phénix, Titan, Garuda, Ramuh et Odin ne sont plus de simples chimères à invoquer de temps à autre pour faire place nette en combat. Ils font vraiment partie intégrante de la proposition de ce nouvel épisode qui s’efforce non seulement de les inclure dans sa trame narrative, mais aussi de les rendre jouables.
En résultent des confrontations à très grande échelle entre Primordiaux qui s’étripent sauvagement dans des joutes surréalistes, à mi-chemin entre Godzilla vs Kong et L’Attaque des Titans (même si les concepteurs préfèrent citer Evangelion).
Si vous trouviez les combats entre humains déjà trop brutaux, attendez-vous à être estomaqué par ces règlements de comptes dantesques qui devraient enfin donner toute leur envergure aux chimères iconiques de la franchise.
Le nouveau visage de la série ?
Quelle que soit la réussite du jeu et surtout l’accueil dont il bénéficiera auprès des joueurs, Final Fantasy XVI symbolisera de toute façon un tournant décisif au sein de la franchise. L’audace et le panache qu’il incarne en tant que « premier véritable Action RPG de la saga » sous-entend que son passage a pour vocation de laisser des traces indélébiles dans le devenir de Final Fantasy. Faut-il s’en inquiéter ?
Il y aura quoi qu’il arrive une frange de puristes qui n’adhérera pas à cette proposition, et c’est tout à fait compréhensible. Le cas de The Legend of Zelda est d’ailleurs on ne peut plus parlant. Porté aux nues par un nombre incalculable de joueurs dépassant de loin la seule communauté des fans de Zelda, l’épisode Breath of the Wild avait redéfini à lui seul le visage de la franchise, au grand dam de certains.
La sortie événementielle de Tears of the Kingdom a confirmé qu’il n’était pas question pour Nintendo de revenir aux sources de la saga alors qu’il y a largement matière à creuser cette nouvelle formule en monde ouvert.
Final Fantasy XVI va-t-il lui aussi transformer durablement l’orientation de la série de Square Enix, au point de l’éloigner définitivement de ses origines de RPG au tour par tour ? C’est bien possible. Mais qui pourrait prédire quelles seront les prochaines tendances du jeu vidéo dans dix ou 20 ans ?
On ne pourra en tout cas pas reprocher à la saga Final Fantasy d’avoir refusé de sortir de sa zone de confort en faisant la sourde oreille aux désirs fluctuants des joueurs dont les goûts sont en constante évolution.