Critique

Pédés : explorer les homosexualités masculines aujourd’hui

15 juin 2023
Par Thomas Louis
“Pédés” est paru le 2 juin 2023.
“Pédés” est paru le 2 juin 2023. ©TippaPatt/Shutterstock

À l’occasion du mois des fiertés, présentation de Pédés, un recueil de huit textes comme huit manières de penser, d’analyser, de traduire les homosexualités masculines dans tout ce qu’elles ont de plus riche.

Lorsque l’on se rend sur le compte Instagram de la maison Points, où Pédés est publié (dans la collection « Points féministe »), il semble assez évident de retrouver la couverture de cet ouvrage. Sur notre écran s’affichent des publications pour promouvoir le livre, à ceci près que certaines lettres sont remplacées par des astérisques : P*D*S. Une forme de censure de certains termes, devenue presque habituelle aujourd’hui sur les réseaux sociaux, afin d’éviter la censure de certaines thématiques par la plateforme ou les raids malveillants.

Mais, loin des écrans, le livre lui-même ne fait l’objet d’aucune limite. Dans ce recueil de huit textes écrits par des journalistes, des écrivains, des militants, « pédés » est un mot que l’on peut prendre comme une insulte, mais que l’on peut aussi choisir de s’approprier à travers différents prismes. De le modeler, d’en faire un outil. Pourquoi pas une arme.

Un collectif de huit voix

Ce livre est le fruit de huit réflexions, coordonnées par Florent Manelli. Huit réflexions comme huit manières de créer une solidarité autour d’un même terme. Adrien Naselli, qui signe le texte Mickaël, explique que « la démarche derrière ce livre est de faire entendre plusieurs voix de gays ensemble, dans la mesure où ça n’arrive pas si souvent ».

Florent Manelli. ©Sev Pieto

Julien Ribeiro, auteur du texte Untitled (Portrait of a Silent Fag), ajoute : « Le livre est plus qu’une tentative de remédier à l’invisibilité des expériences homosexuelles dans le discours dominant – c’est une revendication de notre présence et de notre potentielle solidarité. Ce n’est pas seulement une réponse à l’homophobie ambiante, c’est aussi une affirmation de l’importance de raconter nos propres histoires, de définir nos propres identités et de réclamer notre place dans le monde. »

Derrière cette affirmation, on retrouve huit plumes dont la présence est soigneusement pensée. Julien Ribeiro précise d’ailleurs : « La construction de notre collectif n’est pas le fruit du hasard, mais plutôt le résultat d’une invitation délibérée et soigneusement réfléchie de Florent Manelli. Cette invitation a été lancée à un groupe diversifié d’individus, tous dotés de voix distinctes, d’expériences variées et d’histoires uniques à raconter. Nous sommes venus de différents horizons, mais nous avons été unis par notre désir de raconter nos histoires et de donner une voix à ceux qui sont souvent ignorés […] Chacun de nous apporte à la table sa perspective unique, ses expériences personnelles. »

Julien Ribeiro.©Nanténé Traoré

Justement, des expériences personnelles, il en est question dans ces textes, comme autant de parcours de vie, d’individualités, de manières d’être « pédés ». Il semblerait vain de vouloir faire un ouvrage exhaustif, mais n’importe lequel de ces récits porte en lui un sens profond, qui donne toute sa puissance au terme de « collectif ». C’est peut-être aussi la raison pour laquelle on retrouve avant chaque texte une présentation de la plume qui en est à l’origine. Elles ont un rôle crucial pour Julien Ribeiro, qui explique que « ce sont plus que de simples préfaces ou introductions – ce sont des passerelles vers les univers que nous explorons. Chaque texte de présentation est écrit par l’auteur du texte précédent, créant ainsi un dialogue continu et interconnecté qui traverse tout le livre. Ce choix est en lui-même un acte de collectivité ».

Des identités multiples

Pédés est un livre qui, à certains égards, est également porté par une forme de pédagogie. Pour Adrien Naselli, « l’idée de départ était d’écrire des textes accessibles, qui ne soient pas de la recherche universitaire, ni des textes trop littéraires ». Ainsi, dès qu’il est question d’une référence culturelle ou d’un terme plus spécifique, des notes de bas de page sont systématiquement intégrées.

Adrien Naselli. ©Olivier Roller

L’enjeu ? « Que l’on ne soit pas lu que par des pédés, mais aussi par des lesbiennes, par des femmes hétéros, par, peut-être, des hommes hétéros », déclare Adrien Naselli, pour qui l’angle social est particulièrement important dans son texte Mickaël. Ce prénom est celui de son cousin, dont il explore le lien à travers ce prisme : « Comment est-ce que nous, qui avons grandi ensemble, qui sommes tous les deux gays, pouvons avoir des vies aussi différentes ? ». Pour l’auteur – également journaliste – une piste semble se détacher : l’homosexualité est conditionnée par la classe.

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Julien Ribeiro, quant à lui, rend accessible son parcours, dont il parle en évoquant « des sujets qui sont souvent évités ou ignorés, notamment notre rapport au silence et à la mort. Ce sont des thèmes difficiles, mais je crois fermement qu’il est important de les aborder ouvertement et honnêtement. En brisant le silence autour de ces sujets, nous pouvons commencer à déconstruire les stigmates et les peurs qui y sont souvent associés. Mon objectif, en partageant mon histoire, est de montrer que même dans les moments les plus sombres, il y a de l’espoir, de la résilience, et la possibilité de lutte et de changement ».

Dans Untitled (Portrait of a Silent Fag), il est notamment question de séropositivité politique, dont le socle reste les préjugés et les stéréotypes : « La séropositivité politique est une affirmation de notre engagement à lutter pour la justice et l’égalité. C’est un appel à la solidarité, non seulement au sein de la communauté LGBTQ+, mais aussi avec tous ceux qui sont touchés par le VIH et le sida. »

Anthony Vincent.©Charlotte Rosatti

Du racisme dans la communauté avec le texte d’Anthony Vincent, à l’accueil des réfugié·e·s avec celui de Ruben Tayupo, Adrien Naselli précise : « Il y a une tentative de montrer que les gays sont très multiples et participent, de fait, à toutes les sphères de la société avec leur regard qui n’est ni celui d’un homme, ni celui d’une femme, mais qui est ce genre à part que l’on essaie de définir. »

Autant de parcours complémentaires, donc, qui forment un ouvrage riche et passionnant, dont le point de départ reste ce terme : « Pédés ». Pédés est aussi une réflexion sur la langue, que des textes comme celui de Camille Desombre/Matthieu Foucher, Pédé·s dans la peau, incarne de la plus belle des manières, afin de s’emparer de ce mot au service du collectif. Car, comme le dit l’avant-propos : « Nous sommes des milliers. Des millions. Partout. À avoir été nommés par ces quatre lettres qui font trembler le sol. Pédé. Nous sommes pédés. »

Pédés, collectif, coordonné par Florent Manelli, avec des textes de J. Boualem, C. Desombre, A. Naselli, J. Ribeiro, R. Tayupo, N. Traoré, A. Vincent et F. Manelli, Points, collection « Points féministe », 2023, 256 p., 9,40 €.

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