Décryptage

Mois des fiertés : les anime sont-ils en train de vivre leur révolution ?

07 juin 2023
Par Samuel Leveque
“Sasaki et Miyano”.
“Sasaki et Miyano”. ©Studio Deen

Depuis quelques années, l’animation japonaise, d’ordinaire assez frileuse sur la question de la représentation des personnages LGBTQIA+, a fait des pas de géant et a multiplié les initiatives bienvenues.

La société japonaise et la question des identités de genre, c’est tout un paradoxe. Si les communautés homosexuelles, bi ou trans n’ont jamais été aussi explicitement discriminées par la loi qu’en Occident, elles ont longtemps été confrontées à une forte invisibilisation, ainsi qu’à une représentation généralement caricaturale ou érotisante dans les médias. Appartenir à la communauté LGBTQIA+ au Japon, d’accord, à condition d’être un clown ou un objet de fantasme.

Mettre discrètement le pied dans la porte

Cependant, les choses changent depuis quelques années. Malgré l’opposition farouche du gouvernement conservateur, les droits des personnes LGBTQIA+ ont largement évolué sur l’archipel, notamment avec la reconnaissance au niveau local de différentes formes de pactes d’union s’approchant du mariage. La société civile japonaise est désormais largement favorable au mariage pour tous, version nippone. Aujourd’hui, la littérature, les films, les séries et les mangas abordent ces questions sous tous les angles possibles et imaginables.

Mariage (symbolique) de deux femmes à Disneyland Tokyo en 2013.©Capture Twitter

Restait la question de l’animation japonaise, traditionnellement plus timorée sur ces questions, et issue de studios rechignant souvent à adapter des œuvres mettant en scènes des protagonistes ouvertement queers. Par peur de faire fuir les annonceurs ou de briser une certaine forme de consensus télévisé, la japanime a toujours eu les plus grandes difficultés à les représenter à travers des personnages complexes et attachants, plutôt que de simples caricatures.

Bien sûr, les anime mettant en scène des couples d’hommes ou de femmes existent depuis des décennies. Dès 1983, une série comme Stop !! Hibari Kun ! mettait en scène un personnage principal trans présenté de manière positive et joyeuse. Cependant, ces derniers ont longtemps été cantonnés à des comédies romantiques un peu faiblardes (comme Junjou Romantica) ou à des récits dans lesquels les relations restaient très allusives et métaphoriques (comme Noir). À cette époque, il existait quelques exceptions, mais elles restaient beaucoup trop rares.

Stop !! Hibari Kun mettait en vedette un personnage trans dès 1983.©Fuji TV

Plus récemment, des œuvres phares ont réussi à sauter le pas et à assumer sans l’exprimer tout à fait explicitement la présence de couples du même genre dans des anime grand public. L’une des premières tentatives remarquées est sans doute la fabuleuse série de patinage artistique Yuri !!! On Ice en 2016, qui décrivait la relation intense entre un jeune patineur et son mentor.

Le récit n’affirmait jamais explicitement que les deux personnages étaient ensemble, mais culminait tout de même avec une scène d’échange d’anneaux suivie d’une quasi-embrassade ne laissant guère de place au doute. Et, sans surprise, le ton très queer de l’anime n’a fait fuir ni les annonceurs, ni les spectateurs et spectatrices.

Yuri !! On Ice a fait progresser la visibilité des personnes LGBTQIA+ dans la pop culture japonaise.©MAPPA

Les exemples se sont alors rapidement multipliés, dans des genres aussi variés que surprenants : Otherside Picnic et ses deux héroïnes explorant des mondes alternatifs inquiétants, le duo d’exorcistes de The Night Beyond the Tricornered Window ou encore, plus récemment, le couple évident formé par les deux héroïnes de l’anime de fantasy The Executioner and Her Way of Life.

Ces exemples ont néanmoins un point commun : ils tournent un peu autour du pot et peinent à franchir la limite consistant à nommer de manière explicite l’existence des personnes LGBTQIA+. On nous fait comprendre, mais on n’y explicite jamais rien.

Passer de l’implicite à l’explicite

Il est parfois très frustrant de se retrouver face à des anime mettant en scène de manière éclatante des familles homoparentales (Miss Kobayashi’s Dragon Maid ou le très récent Buddy Daddies) ou des couples prêts à tout sacrifier par amour (comme dans le très bel anime post-apo Vampire in the Garden diffusé sur Netflix), sans que la ligne consistant à nommer les choses ne soit franchie.

Une sorte de timidité des programmateurs mâtinée d’une certaine forme d’hypocrisie pas toujours très agréable à regarder quand on est une personne concernée. Comme si l’on se retrouvait confronté à un petit reste de honte ou de renvoi à une discrétion obligatoire.

Lycoris Recoil nous présente un couple d’héroïnes soudées et amoureuses sans jamais l’expliciter tout à fait.©A1 Pictures

Même le fabuleux Lycoris Recoil (un anime d’action bourré de gunfights et porté par son couple d’héroïnes incroyable) finissait par tomber dans ce travers. On y voit à plusieurs reprises un couple d’hommes partager le même lit, tandis que les deux héroïnes célèbrent leur union par un simulacre de mariage à Hawaii.

Une référence évidente au fait bien réel que beaucoup de couples japonais LGBTQIA+ vont y célébrer leur union, le mariage pour tous y étant reconnu et promu à destination des étrangers depuis des années.

Bref, on en revient trop souvent au même point : dans la japanime, vous pouvez exister, mais pas trop fort, ou du moins en restant gentiment cantonnés à des comédies romantiques comme le (superbe) Bloom into You.

Petit à petit, ce tabou de la verbalisation a fini par sauter. Il y a eu L’Étranger de la plage et son adorable binôme d’amoureux vivant un émouvant passage à l’âge adulte, puis l’anime de fantasy steampunk Sabikui Bisco, mettant en scène un personnage ouvertement bisexuel (et, croyez-nous, pour avoir essayé de les recenser, ils ne sont pas nombreux). Enfin, et surtout, il y a eu 2023.

Une normalisation et une intégration en grand progrès

En toute discrétion, deux anime ont définitivement enterré ces derniers mois l’idée qu’il était impossible de revendiquer une identité LGBTQIA+ dans un anime sans en passer par de tortueuses périphrases et des allusions cryptiques. Tout d’abord, il y a eu le très lumineux The Magical Revolution of the Reincarnated Princess and the Genius Young Lady qui, outre son titre à coucher dehors, a surpris par son héroïne, solaire et attachante et, surtout, lesbienne revendiquée.

The Magical Revolution of the Reincarnated Princess and the Genius Young Lady.©Diomedea

Dans un registre plus sombre, la dernière série Gundam en date, Mobile Suit Gundam: The Witch from Mercury, toujours en cours de diffusion, se déroule dans un univers dans lequel le mariage pour tous a été acté il y a fort longtemps. L’héroïne, Suletta, vient d’une planète isolée et rétrograde et se retrouve rapidement fiancée pour des raisons politiques à une certaine Miorine.

Face à son incompréhension sur la question du mariage homosexuel, Suletta voit sa fiancée lui rétorquer : « Vous êtes un peu réac sur Mercure : ici, ça ne pose aucun problème. » L’égalité des droits n’est plus une vague information, mais bien une idée revendiquée comme progressiste.

Mobile Suit Gundam: The Witch from Mercury.©Studio Sunrise/Crunchyroll

Il n’y aura (et c’est heureux) sans doute pas de retour possible en arrière : désormais, l’animation japonaise peut afficher des personnages de toutes les orientations sexuelles. Le nombre d’anime ouvertement queers n’a jamais été aussi élevé, et ce simple fait apporte un vent de fraîcheur bienvenu à une production qui continue de livrer 60 séries par trimestres, dont un grand nombre demeurent stéréotypées ou peu originales.

Peut (encore) mieux faire

On pourrait d’ailleurs continuer cette liste de séries animées japonaises faisant des progrès remarquables sur la représentation des personnes LGBTQIA+ et vous parler des très réussis Given, Adachi to Shimamura ou Sasaki & Miyano, mais il faut aussi pointer les (nombreux) progrès restant encore à accomplir en la matière.

D’une part parce que les représentations positives listées ci-dessus sont en très forte concurrence avec d’autres séries ou la représentation genrée reste ratée, voire grotesque, empreinte de fétichisation ou carrément offensante. D’autre part parce que la japanime semble avoir encore des difficultés à traiter avec finesse certaines questions.

Tengoku-Daimakyou : la représentation des personnes trans dans les séries animées japonaises est en progrès, mais reste maladroite.©Production I.G

L’exemple des personnages trans, non binaires ou intersexes est par exemple assez révélateur de cette maladresse. C’est indéniable, ils existent bien dans l’animation japonaise. Cependant, leur représentation est souvent si bête et tournée en simple objet de comédie que les exemples positifs tiennent en quelques paragraphes. Même les plus récents comme celui entrevu dans l’animé de science-fiction A Journey beyond Heaven ne sont pas exempts de maladresses.

Skip and Loafer.©P.A Works

Là encore, les choses sont en train de changer. Depuis quelques semaines, la délicieuse série Skip and Loafer est diffusée sur Crunchyroll. Cette comédie romantique met en scène l’arrivée d’une adolescente dans une grande ville. Elle est hébergée par sa tante, une femme trans présentée comme un personnage doux, attachant et aimant faisant partie de sa normalité quotidienne. C’est quasiment la première fois que cela se produit. Il y en aura d’autres, et on a déjà hâte de les découvrir.

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